« Filières tchétchènes » : la farce est amère !

« Filières tchétchènes » : la farce est amère !

Algeria-Watch, 17 juin 2006

Merouane Benahmed fait partie des 27 personnes accusées d’appartenir aux « filières tchétchènes », dénomination de la police, de la Justice et des médias français pour désigner les personnes arrêtées entre décembre 2002 et janvier 2005, soupçonnées d’avoir projeté en 2001-2002 des attentats en France dont « les cibles étaient – selon la procureure de la 14 e chambre du tribunal correctionnel de Paris, Anne Kostomaroff – la tour Eiffel, un grand magasin du forum des Halles, des commissariats ou des établissements abritant des intérêts israéliens » (El Watan, 6 mai 2006).

Cette affaire débute en décembre 2002 lorsque la DNAT arrête quatre personnes dont Merouane Benahmed, Menad Benchellali et Nourredine Merabet. « D’après le ministère français de l’Intérieur, ce groupe s’apprêtait à frapper des cibles russes à Paris pour venger la mort d’un émir arabe en Tchétchénie, ainsi que celle des 41 membres du commando tchétchène, auteur en octobre dernier d’une prise d’otages dans un théâtre de Moscou. » (1) Ce n’est qu’en janvier 2005 avec l’arrestation des frères Ouazane que vont s’ajouter les « projets » d’attentats contre les intérêts français.

Accusés de former « une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », le procès des 27 prévenus se déroule entre le 20 mars et le 12 mai 2006. Le jugement est rendu le 14 juin 2006: Les cinq principaux prévenus sont condamnés à de lourdes peines. Merouane Benahmed écope de la peine maximale c’est à dire de 10 ans de prison. Le procès n’a pu établir quel genre d’attentat avaient prévu les accusés – « probablement de nature chimique » – et les objectifs n’ont pas été clairement déterminés, (2) mais ce procès s’est surtout basé sur des « convictions » et très peu de preuves. Les avocats de la défense ont dénoncé un dossier « construit », avec des aveux « extorqués » et où « le droit n’a jamais été respecté ». (3)

Les accusations reposent sur les aveux de plusieurs prévenus qui par la suite se sont rétractés, expliquant avoir été soumis à des tortures psychologiques et physiques de la part de la police et de la justice. Khaled Ouazane, un des prévenus, arrêté en janvier 2005, est revenu sur les déclarations faites lors de sa garde-à vue à la Direction de surveillance du territoire (DST, contre-espionnage) au moment de son audition par le juge d’instruction. Devant le tribunal il explique avoir subi des violences: « Les genoux à terre, menotté dans le dos, j’ai reçu des coups au niveau de la poitrine, des épaules, avec un grand livre. Il fallait que je confirme ce qu’on me disait: avec l’épuisement, les coups, le manque de sommeil pendant quatre jours de garde à vue, c’était trop! » (4) Son frère Maamar Ouazane a de son côté accusé le juge d’instruction Jean-Louis Bruguière d’avoir passé un marché avec lui: en échange de sa remise en liberté il devait confirmer des projets d’attentats contre les cibles françaises.

Abderahmane Alam pour sa part a rapporté les pressions subies par lui-même et sa femme lors de leur garde-à vue dans les locaux de la DST. (5) Said Arif, qui n’avait jamais séjourné en France, est extradé de Syrie en juin 2004 – alors qu’aucun accord entre les deux pays ne le permet – après la visite de Bruguière à Damas. Il a passé 11 mois dans les geôles syriennes et accuse la France d’avoir confié « le sale boulot » aux services syriens qui l’ont torturé. (6) Son avocat conteste la compétence du tribunal saisi de faits qui ne se sont pas déroulés en France.

Merouane Benahmed quant à lui a été arrêté avec sa femme et leur petite fille de 6 mois le 16 décembre 2002. Saliha Benahmed et sa fille, toutes deux atteintes de tuberculose, ont été maintenues en détention pendant plus de 6 mois alors que la loi interdit la mise en détention de la personne qui exerce l’autorité parentale sur un enfant de moins de 10 ans (7). Les deux parents ont été malmenés en garde-à-vue et Merouane Benahmed explique dans son témoignage qu’il était prêt à avouer n’importe quoi pour faire libérer son épouse.

La DST a prétendu avoir saisi dans l’appartement dans lequel logeait la famille « des produits chimiques avec lesquels ils projetaient de commettre un attentat d’envergure » (8) ainsi qu’une « combinaison de protection NBC ». (9) Le juge d’instruction Jean-Louis Bruguière avait mandaté un ingénieur en chef de l’armement afin de procéder à l’examen des objets saisis dans les appartements qu’occupaient les prévenus. Le 20 décembre ce dernier remettait un rapport qui contredisait totalement les allégations de la presse, affirmant que les flacons trouvés contenaient des substances aucunement nocives et que la combinaison ne présentait aucune protection NBC. Ces objets n’ont jamais été présentés à Merouane Benahmed, ce qui lui aurait permis de s’en expliquer.

La juge, Jacqueline Rebeyrotte, n’a voulu approfondir aucune de ces contradictions ni de ces graves accusations de maltraitances et de tortures. L’avocate de Merouane Benahmed. Me Isabelle Coutant-Peyre, saisit le 4 avril le premier président de la Cour d’appel de Paris d’une requête en récusation de la présidente du tribunal. Elle met en doute l’impartialité de la présidente du tribunal qui dans le cadre de l’affaire dite du « groupe de Frankfort » a rendu le 16 décembre 2004 un jugement dans lequel elle qualifie Merouane Benahmed et Said Arif de « grosses pointures ». Me Coutant-Peyre considère que « l’opinion de Madame Jacqueline Rebeyrotte est déjà acquise sur la culpabilité de Merouane Benahmed, s’agissant des poursuites du chef d’association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme' ». La demande a été rejetée au motif d’avoir été soumise tardivement. Un mémoire à fin de condamnation de l’Etat français pour violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a été adressé par Me Coutant-Peyre à la Cour européenne le 20 avril 2006. Celle-ci n’a pas répondu avant la prononciation du jugement le 14 juin 2006.

Une fois de plus la justice française a montré que les principes élémentaires du droit, le respect de la personne, la présomption d’innocence et la charge de la preuve revenant à l’accusation, pour ne citer que ceux-ci, sont bafoués au nom de la lutte contre le terrorisme. Elle les sacrifie au nom d’une sacro-sainte « sécurité » qui n’est autre qu’un leurre pour les populations non averties des accords politiques pris au gré des seuls intérêts économiques des gouvernants.

 

Notes

1. http://archquo.nouvelobs.com/cgi/articles?ad=societe/
20030110.OBS5125.html&datebase=20030110

2. La Tribune du 14 juin 2006

3. 20Minutes.fr, 12 mai 2006, http://www.algeria-watch.org/fr/article/pol/france/tortures/aveux_extorques.htm

4. http://archquo.nouvelobs.com/cgi/articles?ad=societe
/20060424.OBS5220.html&host=
http://permanent.nouvelobs.com/

5. Le Figaro, 4 mai 2006

6. Libération, 20 mars 2006, http://www.algeria-watch.org/fr/article/pol/france/tortures/torture_syrienne.htm

7. Article 145-5 du Code de Procédure Pénale.

8. Le Parisien, 17 décembre 2002.

9. Le Parisien, 18 décembre 2002