Enlèvement et disparition de Brahim Aouabdia : Une complicité flagrante de la justice

Enlèvement et disparition de Brahim Aouabdia : Une complicité flagrante de la justice

Résumé des faits à partir de la décision du Comité des droits de l’homme du 13 mai 2011 suite à une communication présentée par l’organisation Trial.

Algeria-Watch, 13 janvier 2015

Brahim Aouabdia a été arrêté sur son lieu de travail le 30 mai 1994 à 9 heures du matin, par des policiers en tenue officielle, qui l’ont embarqué à bord de sa propre voiture. Ils n’avaient pas de mandat d’arrêt et ne lui ont pas indiqué le motif de cette arrestation. De nombreuses personnes présentes dans l’atelier de confection dans lequel il travaillait y ont assisté.

Il a été emmené au Commissariat central de Couidat à Constantine qui est également le siège de la police judiciaire de la wilaya . Son épouse s’y est rendue le jour même et a vu sa voiture stationnée en face. Après deux semaines, elle s’est rendue tous les jours au Palais de justice, espérant le voir au moment où il serait présenté devant le procureur, en vain. A la fin du mois de juin 1994, le délai maximum de garde à vue étant dépassé depuis plus de deux semaines, elle écrit au Procureur de la République pour s’enquérir des motifs de sa détention au secret, mais sa plainte n’est pas enregistrée. Le dépôt d’une plainte formelle ne lui a fourni aucune réponse non plus. Tous ses courriers aux différents ministères sont restés sans réponse.

Trois ans plus tard, le 29 mars 1997, elle est convoquée par un officier de la police judiciaire au siège du Commissariat central de Constantine, qui lui notifie un procès verbal, selon lequel son époux «avait été conduit à leur service, et qu’il avait été ensuite remis au Centre territorial de recherche et d’investigation (CTRl) de la cinquième région militaire de Constantine en date du 13 juillet 1994 ». Mais ni la date ni le motif de l’arrestation ne sont mentionnés. Elle s’y est tout de suite rendue mais il lui a été dit que son mari n’y avait jamais été.

Mme Aouabdia apprendra plus tard que son mari, ainsi que 22 autres personnes, qui pour la plupart avaient été arrêtées et avaient disparu durant la même période et dans les mêmes circonstances, ont fait l’objet d’une condamnation à mort par contumace, prononcée par le Tribunal criminel de Constantine 3 le 29 juillet 1995. Le parquet de cette juridiction qu’elle a sollicité afin d’obtenir des informations n’a pas répondu et elle s’est vue refuser une copie de ce jugement. Elle parviendra toutefois à se procurer une copie de l’arrêt de la Chambre d’accusation de Constantine, rendu le 6 juin 1995, qui ordonnait le renvoi de son époux, ainsi que des 22 co-accusés, devant le Tribunal criminel, tous étant considérés en fuite, et prononçait un mandat d’arrêt à leur encontre. La décision fait également état du fait que tous faisaient l’objet de poursuites pénales en vertu d’un réquisitoire du Procureur de la République de Constantine en date du 12 juillet 1994, pour des crimes qui auraient été commis dans la région.

Les indications sont en complète contradiction avec le procès verbal évoqué ci-dessus qui indique que M. Aouabdia avait été transféré au CTRI le 14 juillet 1994, et qu’en conséquence, à la date où le Procureur le déclarait en fuite, le 12 juillet 1994, il était encore détenu au Commissariat. Le Procureur ne pouvait ne pas savoir qu’il était détenu.

Mme Aouabdia a été contrainte d’entamer une procédure de déclaration de décès dans le cadre de l’Ordonnance n°06/01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale du 27 février 2006 pour échapper aux tracasseries administratives causées par l’absence de son époux. Il a fallu qu’elle fasse établir par la sûreté de Wilaya de Constantine un « procès verbal de disparition ». Daté du 19 mars 2007, celui-ci atteste que «M. Brahim Aouabdia est considéré comme disparu après l’enquête et les recherches infructueuses menées par ce service ». Ce sont les services qui sont à l’origine de la disparition de Brahim Aouabdia qui ont délivré cette attestation. En foi de ce constat, un jugement déclaratif de décès a été établi par le Tribunal de Constantine en date du 23 mai 2007 avant que l’acte de décès ait été délivré. Il faut noter que la date de décès retenue par le juge (30 mai 1994) est celle de l’arrestation de Brahim Aouabdia par la police judiciaire, alors même qu’il a été transféré le 13 juillet 1994 au CTRI, selon le procès verbal établi par ces mêmes services. Il était donc, à cette date, toujours en vie.

Dans les semaines et les mois qui ont précédé l’enlèvement de Brahim Ouabdia, de nombreuses arrestations de membres de conseils communaux, députés, militants ou sympathisants de FIS interdit depuis le 4 mars 1992 ont été effectuées. Les personnes arrêtées par la Police judiciaire étaient détenues au secret au Commissariat central de Constantine et torturées pendant plusieurs semaines ou mois avant d’être transférées au CTRI de la 5e région militaire qui relève du DRS. Quand les personnes étaient enlevées directement par des membres du DRS, elles étaient directement emmenées au CTRI et détenues au secret. Vraisemblablement c’est là que beaucoup d’entre elles sont décédées sous la torture.