Une révision constitutionnelle… pour quoi faire ?

La constitution

Une révision … pour quoi faire ?

El Watan, 5 novembre 2006

Si dans un premier temps, la révision constitutionnelle envisagée par le président Abdelaziz Bouteflika quelque temps après son arrivée au pouvoir avait pour but essentiel, sinon unique, de faire sauter le verrou d’une seule réélection possible (limitation à deux du nombre de mandats présidentiels par la constitution de 1989, reprise par celle de 1995), les choses ont pris une tournure totalement différente avec la mystérieuse maladie qui frappe le chef de l’Etat depuis maintenant une année. On savait le président malade, mais pas avec un tel degré de gravité. C’est évidemment les péripéties de son hospitalisation à l’hôpital du Val-de-Grâce, de la très lourde opération qu’il y a subie et de la longue convalescence qui a suivi qui ont mis le doigt sur la gravité de la maladie du président. Et depuis, ses très rares apparitions sur la scène médiatique, contrairement à ses habitudes et à sa nature profonde, n’ont fait que confirmer ce que tout le monde ne faisait que supputer : le président traîne une maladie très fortement handicapante. Et c’est bien cela qui est à la base de la course contre la montre qui se joue présentement pour faire réviser la Constitution et faire en sorte de créer une nouvelle donne qui rendra irréversible les acquis de ce qu’il faut bien qualifier de « système politique bouteflikien ».

Le système Bouteflikien

Dès son arrivée au pouvoir en avril 1999, le président Bouteflika avait annoncé, non pas encore sa volonté de réformer la constitution dont il a hérité, mais, et c’est tout comme, son aversion pour elle. Elle présentait déjà à ses yeux toutes les tares d’une constitution bâtarde qui n’est ni franchement présidentielle ni parlementaire. En tant que président de la république, elle ne lui donnait pas assez de pouvoirs pour mener en toute indépendance sa propre politique, sans interférence des autres pouvoirs constitutionnels : il visait par là les pouvoirs du chef du gouvernement qui, bien que très fortement limités, pouvaient théoriquement interférer sur les siens propres. Et déjà, cela lui était intolérable. Il y voyait aussi une certaine contradiction entre le fait que le chef du gouvernement soit désigné (et révoqué) par le président de la république (donc totalement dépendant de lui), mais dans le même temps, il était tenu de faire avaliser son programme de gouvernement par l’Assemblée nationale par l’intermédiaire de ses deux chambres. Il y a donc, toujours en théorie, la possibilité pour le président de la république d’être désavoué par la représentation nationale. Et cela aussi lui est inconcevable. Ce risque d’être désavoué par l’APN et le Conseil de la nation n’est pas aussi théorique que cela en a l’air. Les péripéties de l’élection présidentielle de 2004 ont montré qu’un clash pouvait très bien survenir entre une Assemblée nationale dominée par un parti, celui de l’ex-chef du gouvernement, candidat concurrent à la présidence de la république, et le président-candidat à sa propre succession. Il aurait suffi d’un peu de courage politique à Ali Benflis, encore à la tête du FLN pour faire voter l’APN contre les onze ordonnances avec lesquelles le président avait légiféré à l’intersession, pour qu’une crise politique majeure ne surgisse, avec les conséquences néfastes pour les uns et les autres (mais surtout pour le président-candidat). Ajoutons qu’en théorie, le chef du gouvernement peut présenter à l’Assemblée nationale un programme totalement différent de celui pour lequel le président a été élu au suffrage universel. Par ailleurs, Abdelaziz Bouteflika, dès son installation au pouvoir, avait montré son aversion pour la chambre haute du parlement : le Conseil de la nation. Le bicaméralisme institué en 1995, dans le but avoué de couper la route aux dérives probables d’une éventuelle majorité islamiste à l’APN, n’a jamais eu l’heur de lui plaire, en ce sens que pour lui, il ne fait que compliquer la situation, sans rien apporter de concret au jeu politique. Dans sa configuration actuelle, le Conseil de la nation ne correspond ni à une représentation territoriale réelle ni à une représentation populaire. Il s’agit d’un appendice artificiellement accolé aux autres institutions sans réels pouvoirs, si ce n’est, celui négatif, de pouvoir bloquer les lois votées par l’APN. Ajoutons-y le rôle purement honorifique (en période normale s’entend) de deuxième homme de l’Etat du président du Conseil de la nation. Ce rôle ne lui permet même pas de continuer le mandat du président de la république en cas d’empêchement (décès ou incapacité totale) : le seul rôle qui lui est dévolu dans ce cas, c’est d’occuper pendant quarante cinq jours le poste de président laissé vacant, le temps d’organiser l’élection présidentielle, à laquelle il ne peut même pas participer. Cette constitution n’était pas faite pour permettre la réalisation rapide des ambitions hégémoniques du nouveau président. Et pourtant, comme il l’avait annoncé dès le départ, il allait s’en accommoder et faire en sorte de récupérer petit à petit tous les pouvoirs qu’elle lui donnait théoriquement mais qu’un « pouvoir réel » l’empêchait d’assumer pleinement. Rappelons-nous comment il a occupé son premier mandat à la récupération de l’ensemble de ses pouvoirs constitutionnels, y compris celui de chef suprême des armées, que personne, même les plus optimistes de ses partisans, ne croyait possible. Le jeu du chat et de la souris qu’il a joué avec la haute hiérarchie militaire, seule véritable maîtresse du jeu à l’époque, a été un véritable chef-d’œuvre de manœuvres politiques qui a abouti à un changement des rôles et à une prise totale du pouvoir. La manière dont il a peu à peu grignoté les parcelles de pouvoirs, jusque-là réservées aux « faiseurs de rois », est digne d’être enseignée dans les écoles de stratégie. C’est en véritable joueur d’échecs qu’il a agi pendant les cinq ans de son premier mandat : avançant ses pions, les retirant quand il y a danger de riposte trop forte, attaquant au moment opportun et, en fin de compte, mettant échec et mat tout le clan des généraux qui lui avait tracé à l’origine toutes sortes de lignes rouges qu’il ne devait pas dépasser et récupérant définitivement l’ensemble de ses pouvoirs constitutionnels, et même plus. Ceux qui estiment aujourd’hui encore que le président est l’otage de ceux qui l’ont placé au pouvoir en 1999 ne veulent pas voir et accepter une réalité qui dérange leurs analyses et les oblige à revoir leur mode de pensée : il est en effet si simple et facile de toujours tout analyser sous l’angle du « pouvoir réel », des services omniprésents, omnipotents et seuls maîtres d’œuvre de la politique algérienne ; ou encore sous l’angle d’une guerre des clans au sein de la haute hiérarchie militaire (en activité ou non). Pourtant, il y a des évidences qui n’ont d’autre explication que la mainmise totale du président sur tous les leviers du pouvoir : tous les changements majeurs intervenus au sein de la haute hiérarchie militaire porte l’empreinte de sa volonté de soumettre l’ANP et d’en faire une armée de métier sans aucune interférence dans la sphère politique. La mise à la retraite du général de corps d’armée Mohamed Lamari, suivie de celle de tous les autres cadors qui pouvaient faire de l’ombre au président, ne peut s’expliquer que par une mainmise totale de Bouteflika sur la réalité du pouvoir. Leur remplacement par des proches et/ou des techniciens, la transformation progressive de l’ANP en armée de métier, partenaire déclarée de l’OTAN, l’éloignement significatif des militaires de la sphère politique sont autant de preuves de la mainmise du président sur « le pouvoir réel ». Même le maintien à leurs postes des deux généraux à la tête des services secrets, que la vox populi continue de considérer comme la source unique du pouvoir en Algérie —Tewfik et Smaïn — ne signifie nullement que le président soit obligé de partager avec eux des parcelles de pouvoir. Ils ne sont dans le schéma tracé par le Président que des exécutants (zélés ou pas) de sa politique. La mise sous les feux de la rampe du général Tewfik, au moment de sa promotion en tant que général de corps d’armée, est une preuve de la perte de son aura de chef des services secrets (en Algérie, quand un responsable des services secrets est mis sous les projecteurs des médias, son élimination politique est plus ou moins proche : les exemples ne manquent pas à l’image de Kasdi Merbah et Mohamed Betchine). Le président de la république est donc déjà, avec la constitution actuelle, le seul maître à bord, même si théoriquement ses pouvoirs pourraient être menacés par le pouvoir législatif qui peut mettre en difficulté son gouvernement et par le chef du gouvernement qui pourrait, dans certains cas, devenir un concurrent gênant. Le président de la république détient donc très concrètement assez de pouvoirs pour être le seul inspirateur et la seule source de la décision politique, économique et même militaire. Ce n’est donc plus ce problème d’hégémonie qui explique la décision de Bouteflika d’aller avant la fin de l’année 2006 vers une révision par voie référendaire de la constitution.

Le président malade

La première des raisons réside dans l’impossibilité légale qui lui est faite de prétendre à d’autres mandats, ce qui pour lui est totalement inacceptable : il n’a pas atteint, après tant d’efforts, ce statut de commandeur, pour être arrêté par un tout petit article d’une constitution qui va l’empêcher de se maintenir au sommet du pouvoir tout le temps qu’il le souhaitera. Une révision des dispositions constitutionnelles empêchant plus de deux mandats s’impose donc par elle-même. Il était en effet indéniable que Bouteflika ne pouvait se résoudre à rendre le tablier au bout de ses deux mandats : officiellement, il n’a pas encore atteint tous les objectifs politiques, économiques et socioculturels pour lesquels il avait été élu. Du point de vue de ses partisans, beaucoup de travail reste encore à faire, que seul Bouteflika, qui a maintenant « assaini le climat politique et rendu la paix au pays », peut mener à son terme. A cette raison essentielle viennent s’ajouter d’autres, plus ou moins contradictoires :

instaurer un véritable régime présidentiel à l’image de celui existant aux Etats-Unis supprimer le bicaméralisme dans sa forme actuelle ; instaurer une (ou des) vice-présidence(s) pour soulager le président de certaine, tâches ; et surtout instaurer un système de succession automatique en cas de décès ou d’incapacité permanente dans le but de sauvegarder et pérenniser le système qu’il a mis en place. Ceux qui, à l’image des archs ou du chef du parti UDR (Amara Benyounès), applaudissent au projet de révision constitutionnelle en pensant qu’il est possible d’en profiter pour y introduire un certain nombre de réformes démocratiques, font preuve de cécité politique : il n’est pas question pour le président d’en profiter pour officialiser la langue amazighe, encore moins d’y intégrer certaines revendications contenues dans la plateforme d’EI Kseur ; il n’est pas question non plus de donner plus de pouvoirs aux assemblées élues ou de supprimer l’article 2 de l’actuelle Constitution, instaurant l’islam en tant que religion d’Etat. Bouteflika ne changera que ce qui peut l’empêcher de se présenter à la prochaine élections présidentielle et ce qui peut limiter ses pouvoirs de président. Il y introduira aussi une procédure automatique de succession qui permettra de maintenir tel quel le système politique qu’il a mis en place. Fondamentalement, c’est la pérennité du système « bouteflikien » et sa reproduction pour les temps futurs qu’il vise. C’est l’aggravation de sa maladie qui est à l’origine de ce changement de cap : il ne s’agit plus seulement de se faire élire une troisième fois mais de faire en sorte que, quoi qu’il lui arrive (décès ou empêchement permanent) même au cours du présent mandat, son œuvre politique lui survive et maintienne vivante son image d’homme providentiel : celui qui a mis un terme à la fitna qui détruisait le pays, qui l’a remis sur les rails du développement et qui lui a rendu sa place dans le concert des nations. En effet, la grave maladie du président a introduit une donne supplémentaire à l’équation de départ : initialement il ne semblait pas que l’état de santé du président était susceptible de se détériorer au point que son activité politique, hier encore foisonnante, ait été réduite à la portion congrue. Il n’était question que de troisième mandat et d’instauration d’un système à caractère franchement présidentiel. Aujourd’hui, le problème se pose différemment et il semble bien que le chef de l’Etat et ses proches aient pris conscience de la nécessité de préserver les acquis dès le présent mandat, que le président peut très bien ne pas terminer, vu son état de santé préoccupant. Tous les efforts déployés par les services de la présidence, le chef du gouvernement et, tout dernièrement, par le ministre de l’information pour rassurer la population et les acteurs politiques sur l’excellent état de santé du président ne peuvent rien contre les faits qui, eux, sont têtus : le président a ralenti de manière drastique son activité à la tête du pays. Pour un homme qui a fait la démonstration d’une suractivité exceptionnelle, la différence avec sa sous-activité actuelle est criante et ne peut être interprétée que par des considérations médicales. Tous ceux qui suivent attentivement la vie politique algérienne ont été frappés par l’absence du président à des occasions incontournables : réceptions de personnalités étrangères de très haut rang confiées au chef du gouvernement (y compris celle, incontournable, de Mahmoud Abbas, le président de l’autorité palestinienne au cours de sa dernière visite en Algérie) ; absences aux réunions au sommet de l’Union africaine et d’autres organisations mondiales ou régionales ; événements institutionnels nationaux reportés à plusieurs reprises : conseils des ministres, haut conseil de la magistrature, etc. Tout se passe comme si le président était pris entre deux réalités contradictoires : son état de santé qui ne lui permet pas une activité politique normale et contraignante (donc fatigante) et la nécessité de paraître en public (au mieux de sa forme) pour donner le change et faire croire à la normalité de la situation. En l’absence d’informations officielles, la rumeur, plus ou moins dirigée, a pris le dessus : chacun y va de sa version, y compris ceux qui annoncent tenir de source sûre qu’il est atteint d’un cancer qui a maintenant atteint son dernier stade. Ceci rend d’autant plus nécessaire une révision rapide de la Constitution, avec cette fois-ci un autre objectif : celui d’assurer dès maintenant la pérennité du système bouteflikien. En l’état actuel des choses, rien n’indique que le système que Abdelaziz Bouteflika a mis sept ans à mettre en place lui survive (des informations plus ou moins vérifiées ont circulé au moment de l’hospitalisation du chef de l’état pour son opération à l’hôpital militaire français du Val-de-Grâce parlant de descentes ciblées des services des impôts dans certaines sociétés internationales installées en Algérie dont les propriétaires seraient des proches du Président). Le risque est réel d’assister, si rien n’est fait pour la contenir dès maintenant, à une véritable « débouteflikatisation » et à un retour au système ante. C’est ce risque que la nouvelle Constitution s’évertuera à éliminer. Comment ? D’abord en instaurant dès le mandat présent, un système de transmission du pouvoir à une personne préalablement désignée : le vice-président, comme cela se passe aux Etats-Unis, héritera du reste du mandat non consommé pour cause de décès ou d’empêchement permanent. Il aura donc pour rôle de continuer l’œuvre du président décédé ou empêché et bien sûr de préparer et gagner la prochaines élections présidentielles, celle de 2009 qui sera donc maintenue à cette date, conformément aux dispositions de la nouvelle constitution.

(A suivre)

Grim Rachid


Une révision constitutionnelle… pour quoi faire ?

(2e partie et fin), El Watan, 6 novembre 2006

Qui sera désigné successeur officiel de Bouteflika ? Le seul vrai problème qui se pose concerne le nom et la personnalité de « l’héritier ». Beaucoup de monde se presse au portillon, mais un seul sera élu : celui qui garantira le mieux la pérennité du système bouteflikien et celle de l’image de « père » et « sauveur » de la nation de l’actuel chef de l’Etat. A l’origine, il semblait que ce rôle était dévolu à son frère Saïd, à l’image de ce qui se fait dans d’autres régimes analogues à l’algérien : la Syrie, l’Egypte et la Libye. La mise à l’écart du frère du Président au début du deuxième mandat semble contredire cette option : Saïd Bouteflika semble avoir fait l’unanimité du sérail contre lui pour différentes raisons dont l’inimitié des hommes les plus influents de l’entourage du Président. Mais rien ne permet de l’éliminer de la succession : il est dans une situation de réserve de la République en attendant le moment opportun pour réapparaître en tant qu’homme de la situation ; celui de dernier recours. Les deux autres candidats les plus plausibles à l’héritage bouteflikien ne sont autres que celui qui a mis sur les rails la révision constitutionnelle, l’actuel chef du gouvernement et secrétaire général du parti FLN et son devancier au poste de chef du gouvernement, le secrétaire général du RND Abdelaziz Belkhadem et Ahmed Ouyahia. Chacun des deux peut, en effet, dans un domaine précis, aspirer à continuer l’œuvre majeure du Président : paix et réconciliation pour l’un, modernisation de l’Etat pour l’autre. Celui qui semble le mieux tenir la rampe est sans conteste l’actuel chef du gouvernement, qui, dans son irrésistible accession vers le pouvoir suprême, semble avoir bénéficié d’un soutien sans faille du président Bouteflika : d’une part, il l’a protégé contre les militaires qui, en 1999 et 2000, avaient émis un veto incontournable contre lui au poste de chef du gouvernement que déjà il était destiné à occuper. Son passé d’islamiste convaincu (le néologisme barbéfélène avait été inventé spécialement pour lui), de soutien du parti du FIS dissous et du contrat de San Egedio, ses accointances vraies ou supposées avec le régime islamiste d’Iran l’avaient décrédibilisé aux yeux de l’armée dont l’objectif premier était de barrer la route à l’Islamisme politique. D’autre part, le Président a fait de lui, non seulement un ministre des Affaires étrangères qui avait toute sa confiance, ensuite le secrétaire général du parti du FLN rénové, tiré des griffes de la contestation et redevenu le cheval de bataille de toute la politique bouteflikienne et enfin un chef de gouvernement chargé d’appliquer la politique du Président et rien qu’elle. Dans toutes ces missions, Belkhadem a brillé par un zèle jamais démenti de servir un Président, source et inspirateur de toute son activité et de ses initiatives politiques. Ajoutons que son attachement à l’islamisme politique, jamais réellement démenti, ainsi que ses relations étroites avec certains anciens éléments dirigeants du FIS dissous rendent sa candidature à la succession acceptable par une frange non négligeable de l’électorat islamiste. Le cas de Ouyahia, contrairement à ce que son éviction quelque peu cavalière du poste de chef du gouvernement pouvait laisser entrevoir, n’est pas scellé. Il n’est ni en train de faire sa traversée du désert ni de faire face, à l’intérieur de RND, à une opération de déstabilisation qui pourrait lui être fatale. Son poste de secrétaire général du RND est trop important pour le lui garder, si réellement il était passé dans l’opposition au Président, comme beaucoup d’analystes avaient essayé de le démontrer au moment de son éviction. Ouyahia n’est pas Benflis, loin de là : il a la maturité politique voulue pour savoir que son sort dépend d’une décision du Président ; un mouvement de redressement est vite créé pour le renverser ; or il continue de tenir fermement les rênes du RND, parti encore indispensable au Président pour faire accroire à une pluralité politique au sommet de l’Etat (le RND, dans ce schéma, représenterait les démocrates et les modernistes que les véritables partis de ce pôle ont refusé de jouer). Bouteflika a besoin de cette illusion démocratique qui constitue l’une des pierres angulaires de sa politique : celle qui veut faire cohabiter la mini-jupe et le kamis, les modernistes et les conservateurs, les islamistes, les nationalistes et les démocrates. Le chef du RND sait parfaitement jouer cette partition de la cohabitation. Pour qui penchera la balance le moment venu ? Personne n’est aujourd’hui en mesure de le dire. Tout se jouera, le moment venu, en fonction des données de l’heure et de l’ascension ou de la chute relative d’une des composantes de l’alliance : si à ce moment, c’est l’idéologie nationaliste (très fortement teintée d’islamisme) qui à le vent en poupe et ce sera Belkhadem l’héritier ; ou c’est la frange « moderniste » de l’alliance qui tient la rampe et Ouyahia sera le gagnant de la course à l’héritage bouteflikien. Quid de l’islamisme, qui est la troisième branche de l’alliance présidentielle ? Aboudjera Soltani, a-t-il quelques chances dans la course au trésor du pouvoir suprême ? Absolument aucune dans l’avenir immédiat. Les islamistes du MHS le savent très bien, qui continuent à faire de l’entrisme et à occuper le terrain en engrangeant un maximum de postes dans les gouvernements successifs (où ils veulent démontrer leur compétence, à l’image de leur porte-drapeau Amar Ghoul, l’actuel ministre des Travaux publics), dans la Fonction publique (administration, école, justice) et dans le mouvement associatif. Leur objectif est à plus long terme : 2012. D’ailleurs, le patron du parti islamiste, dans une déclaration qui est quelque peu passée inaperçue, avait affirmé qu’en 2012, le HMS sera majoritaire à l’APN et sera en mesure de former et de diriger le gouvernement. C’est avant tout à cela que le parti travaille. La succession de Bouteflika, pour l’instant, ne fait pas partie de ses objectifs stratégiques immédiats.

La constitution révisée pourra-t-elle pérenniser le système bouteflikien ?

La révision constitutionnelle en chantier pourra-t-elle réellement servir à perpétuer le système bouteflikien ? Pourra-t-il y avoir un « Boutefkisme » sans Bouteflika ? Probablement pas dans sa forme actuelle, où la très forte personnalité du Président domine tout le reste. Il est difficile de croire que l’un des trois dauphins puisse disposer des qualités personnelles et de l’aura de l’actuel chef de l’Etat. Abdelaziz Bouteflika a pu accaparer l’ensemble des pouvoirs grâce à une personnalité hors du commun (très proche de la mégalomanie) et à des capacités manœuvrières exceptionnelles. Ni Belkhadem, ni Ouyahia et encore moins Saïd Bouteflika ne peuvent rivaliser avec l’actuel Président pour se faire accepter du sérail et lui dicter sa loi. Le prochain Président devra donc jouer sur un autre registre que celui du pouvoir personnel omniprésent et omnipotent. Il devra nécessairement composer avec ses alliés et adversaires potentiels. Il ne semble pas que l’armée (sauf en cas de crise majeure, mettant en péril le devenir même de la République) ait envie de réinvestir la sphère politique : son nouveau rôle d’armée de métier semble lui convenir tout à fait et accapare toute son énergie. Les partis politiques de l’actuelle alliance présidentielle seront donc les seuls vrais acteurs de la scène politique, du moins dans un premier temps. C’est sur eux qu’il devra exercer son pouvoir ; et rien ne dit que la passation de pouvoirs se fera sans heurts. C’est pour cela que le président Bouteflika tient absolument à construire dès maintenant les passerelles constitutionnelles qui permettront un passage de relais entre lui et le successeur qu’il désignera lui-même. Le rôle de l’héritier sera de sauvegarder le système politique mis en place et la perpétuation de l’image de rassembleur, d’homme de paix et de père de la nation que l’actuel chef de l’Etat tient absolument à laisser à la postérité.

L’auteur : Politologue

Rachid Grim