Le printemps berbère: l’espoir avorté

Le printemps berbère: l’espoir avorté

Kamal Guerroua, Toulouse, le 19 avril 2011

«Tout ce qui anesthésie les masses fait l’affaire des gouvernants»
Jean Dutourd écrivain français (1920-2011)

Ce fut un gigantesque saut démocratique; le premier bouleversement historique important qu’avait vécu l’Algérie indépendante. Loin de toutes fausses chimères ni panégyrisme oiseux, ce fut le second souffle après l’insurrection du novembre 1954. Une déferlante démocratique qui aurait fait dérouiller la machine totalitaire du régime du parti unique de l’époque. Pareille à la révolte étudiante
de mai 1968 dans le quartier Latin en France dans sa mobilisation, son encadrement, sa structuration de base, pourtant improvisée, la révolte d’avril 1980 avait trouvé son principal déclic dans l’interdiction faite à l’écrivain notoire Mouloud Mammeri de présenter sa conférence sur la poésie Amazigh ancienne à l’université de Tizi Ouzou. Et revoilà la question identitaire refoulée en
1949 sur fond de berbérisme aux calendes grecques, revenue en force pour ranimer la scène politique combien agonisante de l’ère post-Boumédiène. Un printemps grâce auquel l’Algérie de l’époque Chadli a pu revisiter les recoins inexplorés du gisement refoulé de sa diversité. Trente et un an sont déjà passés et l’histoire qui sombre dans les vertiges de la mémoire ne cesse d’interpeller le fondement des luttes aussi acharnée qu’échelonnée qu’a jalonnées le mouvement démocratique berbère. Printemps d’espoir au départ, il s’est mué en printemps du cartable en 1995, puis en la sinistre appellation de printemps noir en 2001, pour finir dans des rites folkloriques en cette fin de décennie du troisième millénaire. Mais au-delà de toutes les convenances et en deçà de toutes les surenchères, critiques et rajouts sur ce printemps-là, où en est-il réellement? .

1- Une identité authentique et une culture spécifique :

Les remous de l’histoire s’entendent de très loin dans les profondeurs algériennes étant donné que la mémoire populaire a un fort ancrage dans le vécu social du pays, la dimension berbère est en fait, authentique, réelle et palpable dans le façonnement du moule formateur de la personnalité algérienne. En effet, les études historique, anthropologique, et ethnologique le prouvent à satiété. Sans remonter loin dans le temps écrirait l’historien Mohamed Harbi « rappelons que berbère à l’origine, l’Afrique du nord dont est issue l’Algérie a évolué successivement depuis le VII siècle dans le cadre des empires Arabe, Maghrébin, Almoravide (1073-1147) et Almohade (1137-1269), Ottoman(1570-1830) et Français (1830-1962) »(1). En réalité, ce chevauchement ininterrompu de diverses civilisations a fortement déteint sur les influences et confluences culturelles de notre pays en l’habillant d’une coloration civilisationelle aussi stimulante qu’enrichissante. Une raison parmi d’autres qui aurait fait d’elle une contrée hospitalière, accoucheuse de vraie démocratie au sens classique du terme, et pionnière de la citoyenneté dans sa forme embryonnaire dans la mesure où elle fut le berceau de « Tajmaât », un conseil tribal de concertation et de dialogue où se discutaient librement les affaires de la Cité. Dans cet aspect-là, il faut le reconnaître, les berbères furent des maîtres à penser bien avant l’avènement du siècle du Périclès à Athènes en Grèce antique avec son Agora, et le Forum politique dans l’empire Romain. Néanmoins, ce constat est à prendre avec les pincettes de précaution car le tribalisme, l’allégeance claniste et les alliances familiales furent le levain nourricier de la société berbère ancienne, l’historien Charles André Julien écrit à ce propos ce qui suit « il semble que l’on se trouve là devant l’une des constantes les mieux établies des berbères, leur farouche opposition aux grands commandements lorsqu’ils viennent d’eux mêmes, leur volonté de contrôler directement ceux d’entre eux qui arrivent au pouvoir, et aussi leur esprit de clan étroit qui empêche une tribu victorieuse de composer avec les vaincues, de les associer à leur action, bref, de passer du groupe ethnique à l’État, aucun des chefs berbères n’a réussi à dépasser le stade du clan »(2). Ironie du sort, bien des siècles plus tard, cette dichotomie ravageuse entre l’élan foncièrement libérateur des coutumes ainsi que la culture et l’archaïsme des structures les encadrant se transpose, comme par enchantement dans les institutions sociale et politique actuelles de notre pays. En ce sens, ce postulat vérifié dans les périodes anciennes de la Berbérie se perçoit nettement aujourd’hui dans les réseaux obscurs, la domination de la culture des clans, les coups de force, les coups tordus et les coups bas se mélangeant à une culture du sérail hermétiquement indéchiffrable, rentière, et profondément clientéliste dans le régime politique algérien. Aussi loin que l’on remonte dans les ères les plus reculées, les Aguellids berbères (Rois guerriers) bien qu’ils fussent pacifistes, avaient toujours tenu la dragée haute aux envahisseurs étrangers, l’expérience du Roi Massinissa (238-148 A.V J. C ) avec Carthage et Rome ainsi que celle de son petit fils Jugurtha(160-104 A.V J.C) en sont édifiantes. D’autre part, la résistance de la culture berbère à l’usure du temps en dépit de l’absence du support de l’écriture et grâce à une mémoire orale forte est un fait rare dans l’histoire humaine, à ce titre le philosophe iranien Daryush Shaygan appelle ce phénomène « le syndrome de l’éphémère»(3). En vérité, comparativement aux civilisations qui s’étaient illustrés par des vestiges écrits, la Bérberie antique n’a laissé que les fresques du Tassili et des gribouillis éparpillés sur les grottes du Hoggar. Preuve, s’il en est, de leur existence sur le territoire maghrebin.

2- Les racines du printemps berbère:

Il ne fait pas l’ombre d’un doute que la problématique identitaire et la dimension berbère de l’Algérie ne puissent point s’inscrire dans un abscisse du temps circonscrit ni dans un ordonnée d’espace limité par les seules contingences des circonstances actuelles, bien au contraire, ce sont des questions éminemment sensibles et intrinsèquement liées à son histoire ancienne, contemporaine et moderne. En effet, l’enracinement des revendications berbères, bien que superficiellement cachées, remonte à 1926, date de la création de l’Étoile nord-africaine chapeautée par Messali Hadj. par les contingents d’immigrés maghrébins . Mise sous le boisseau et escamotée par la suite dans les débats du (P.P.A- M.T.L.D), la problématique berbère ressurgit en force en 1949 dans la fameuse crise berbériste. Mais ils semble clairement que cette questions identitaire ait été longtemps reléguée en seconde zone sous réserve de ce que Harbi appelle à juste titre «l’unanimité de façade», en revanche, la liquidation physique de Ouali Bennai et le limogeage de Ait Ahmed de la direction de l’O.S (organisation spéciale) témoignent, si besoin est, de la fissure déjà existante au sein du mouvement national sur cette problématique bien avant 1954. La période de la guerre de libération fut un moment de ralliement national énorme sous la bannière du (F.L.N). Peu après l’indépendance le régime militaire soutenu par l’armée des frontières mis en place au détriment du (G.P.R.A) a faussé les choix du pays, le règne du président Boumediène y a étranglé la vie culturelle et politique, c’est pourquoi l’académie berbère a été créée en 1966 par Mohand Arab Bessoud en France sous les auspices de Taous Amrouch, Arkoun et autres. En outre, le Parti-État a sapé toute velléité revendicative et n’a laissé aucune place libre au foisonnement d’idées démocratiques. Pire, il a tissé sa toile tyrannique et cloisonné l’expression de la question identitaire dans son réduit régional en la limitant à sa forme dialectale la plus rudimentaire. Ce dogmatisme idéologique et cette pensée
monolithique ont amené le régime à préparer la charte de 1976 et l’adopter sans l’assentiment citoyen. Quatre ans plus tard, le fameux article 120 bâillonne les voix discordantes et interdit l’accès aux responsabilités étatiques des militants non issus du (F. L. N). Tous ces facteurs-là se sont réunis pour que derechef rejaillisse la rengaine identitaire avec en toile de fond la politique économique d’ anti-pénurie engagée par le président Chadli pour absorber la paix sociale. C’est à la lumière de ce panorama amer, pour le moins que l’on puisse dire, que la région de la Kabylie, foyer de la résistance pendant l’occupation française et bastion de révolte de 1963, ait renoué avec son caractère irréductiblement contestataire. Mais si la flamme de la révolte estudiantine a entamé la paille du régime, il n’en reste pas moins qu’elle ait buté sur le terrible fantôme de sa répression. En vérité, le printemps initié par Bacha, Saadi, Zenati, Mehenni, Boukrif, Ait larbi et autres a immanquablement choqué plus d’un par son ampleur et a donné lieu aux premières convulsions démocratiques du jeune État algérien. Durant plus d’un mois, toute la rue kabyle a remué suite à l’interdiction le 10 mars de la conférence de Mammeri sur la poésie Amazighe ancienne, et l’incarcération par la suite des 24 artisans de la révolte, tenus pour responsable d’atteinte à la sureté d’État. En effet, le printemps berbère comme dirait Djamel Zenati « a rallumé la flamme du militantisme en veille depuis le mouvement national, il a produit des idées et des problématiques en rupture avec les canons idéologiques officiels. Il a brisé le mur de la peur et du silence; il a ébranlé la dictature et ouvert la voie de la contestation publique, trois décennies après, tout s’inverse. L’espoir a laissé place au désenchantement et la lassitude. Le désengagement politique et le dessèchement intellectuel ont atteint un niveau inquiétant »(4). Aussi serait-il hautement intéressant de mettre le point au passage sur le fait que le printemps berbère d’avril 80 fut une réaction spontanée de la couche estudiantine au mépris des autorités sur la question linguistique et identitaire et à laquelle s’était rallié l’ensemble de la population de la région. Ainsi, tout fut paralysé, école, université, centres culturels, administrations du fait de la série de grèves qui s’en était suivie et les arrestations, les perquisitions, viols et torture commis par les cerbères du régime. Le printemps berbère est, en un mot, un raz de marée démocratique énorme et d’envergure nationale.

3- La décennie noire et la régression démocratique:

Parler de l’Algérie indépendante sans évoquer la plaie béante de la décennie noire et le virage crucial d’Octobre 1988 serait une entreprise vaine et sans aucun intérêt car si le printemps berbère avait étrenné les habits de la démocratie, les jeunes d’Octobre 88 se seraient parés des oripeaux d’une ouverture démocratique fondamentale arrachée au forceps au prix de 500 morts et des milliers de blessés, torturés et détenus. Néanmoins, le rêve de ce deuxième printemps n’avait duré que l’espace d’une liesse populaire éphémère. En réalité, les caciques du parti unique s’étaient cachés derrière des réformes esthétiques livrant l’Algérie à un pluralisme politique de champignons. En ce sens, d’une part, l’esprit et la verve revendicatifs se sont brisés avec l’abandon du mouvement culturel berbère de ses aspirations sociale, culturelle en faveur d’une fusion partisane ( M.C.B coordination, M.C.B rassemblement) pleine d’amalgames qui l’a rendue affaibli politiquement, démuni socialement, et exsangue de ses énergies mobilisatrices . D’autre part, les effets positifs de la révolte d’Octobre avaient été jugulés par une récupération machiavélique de la part du système qui avait réussi à se régénérer en avatar démocratique. Le drame de la culture berbère se situe, sans aucun doute, dans cette double mort qu’a subi le mouvement démocratique. Pire il s’en trouve quadruplé par l’effet d’absence chronique de la dimension berbère dans la constitution de 1989. En acteur actif et observateur averti de la scène politique algérienne Ait Ahmed en laisse le diagnostic suivant « qui aurait pu croire que l’indépendance, promesse d’une réappropriation de notre identité à tous pourrait ne pas sonner le glas de l’oppression culturelle et de la discrimination linguistique? En cent trente ans de colonisation en effet, et à l’unique exception de la chaire de berbère créée à l’université d’Alger, pas une école qui enseigne leurs langues aux chaouis, aux berbères, aux kabyles et aux mozabites! L’arabe ne fut pas épargné: exclu de l’école- quand école il y a avait- il était enseigné dans les lycées comme langue étrangère»(5). Au regard de ce constat lucide, l’on pourrait en déduire que la régression politique de l’Algérie s’est amorcée bien avant les années de braise du terrorisme. Quant à la culture berbère, le summum de l’injustice a été atteint avec le boycott du cartable en 95-96 et plus fortement encore dans les émeutes ayant suivi l’assassinat du poète et chantre de la culture berbère Lounès Matoub en 1998, et les événements tragiques du printemps noir de 2001.

4- Berbérité authentique ou amazighité folklorique

Il est hors de propos que l’irrépressible besoin de liberté qu’avait charrié le printemps noir d’Avril 2001 suite à l’assassinat du jeune Massinissa Guermah dans l’enceinte de la gendarmerie nationale à Béni Douala aux confins de Tizi Ouzou, avait fendillé toute la langue de bois qui caractérisait jusqu’alors le discours de la classe politique algérienne. Avec son terrible bilan de plus de 125 victimes assassinés par balles réelles, le printemps de l’espoir avait perdu de son lustre et de sa lumière diaphane pour épouser le fantôme terriblement cauchemardesque des tragédies nationales qui s’ajoutent au bilan combien macabre de la guerre civile des années 90. En dépit de l’ampleur politique et de l’emballement médiatique qu’avait fait éclore la marche historique du 14 juin 2001, l’oreille sourde et le discours démagogique avaient pris le dessus sur le souci de rassemblement des voix algériennes dispersées. Répression, déni de justice, humiliation sont les mots d’ordre d’une élite politique «délitisée». En effet, la constitutionnalisation tardive de la langue berbère en tant que langue nationale en 2002 n’a été que la cerise sur le gâteau car indépendamment du fait qu’elle soit une des dimensions nationales de la personnalité algériennes au côté de l’arabe et de l’Islam dans la constitution de 1996, elle n’a pas cependant pu reconquérir son véritable statut de langue officielle, institutionnelle, communicationnelle et véhiculaire pour lequel nombre de sacrifices ont durement été consentis par des générations entières de militants. Aussi serait-il pertinent à cet égard de préciser que la venue au monde du mouvement d’autonomie de la kabylie (M.A.K) est profondément due aux désillusions diverses, et désenchantements protéiformes qu’a provoqués la non officialisation de Tamazight au lendemain de la répression féroce du printemps noir de 2001, pire encore ils sont la résultante de la faillite des appareils d’État de se maintenir au-dessus de la mêlée, loin des intérêts des uns et de la convoitise des autres. Pour Ferhat Mehenni président du M.A.K, le problème réside dans la reconduction de l’État colonial, à cet égard et dans ce fil conducteur, il écrit « en Kabylie comme ailleurs, pendant des années, la classe politique a tâtonné cherchant à se frayer une voie vers la liberté. N’ayant pas le courage d’assumer ses responsabilités historiques, elle pensait que la solution au problème de cette inexistence officielle était fondamentalement liée à l’absence de démocratie en Algérie […] Le détail fondamental que l’on oublie, ou qu’on s’interdit de voir est le fait qu’au lendemain des indépendances des années 50-60, il n’y a pas de création de nouvel État mais reconduction de l’État colonial exactement tel quel »(6). Il est à remarquer que si ce noir pessimisme et ce repli identitaire sont encore persistants de nos jours, c’est parce que l’État algérien indépendant est en grande partie responsable de la faillite du système social en général et du noyautage de la société civile en particulier. En effet, il a malheureusement pulvérisé les acquis nationaux et précieux de l’Algérie, essuyé un échec cuisant dans la gestion de la question identitaire dans sa diversité entière et dans la consolidation de l’harmonie linguistique dans le pays en se cloîtrant dans une culture jacobine, centralisatrice et assassine des différences. En ce sens, le modèle de l’État qu’a imprimé le régime aux institutions nationales est dénué de visée stratégique de rassemblement à moyen et à long terme. La machine du pouvoir a tué l’esprit de l’État, et les résidus de la nations sont emportés par les miasmes de l’État, le drame de l’Algérie est qu’elle est toujours au stade stationnaire du départ, ne pouvant ni avancer ni reculer, une situation qui enfreint sa cohésion et désagrège son tissu social. Mais loin d’assombrir le tableau et rappelons-le d’une façon sérieuse, claire et honnête, la construction des nations est une obligation de l’État surtout en ces moments actuels très sensibles de la vie de l’Algérie. Si le régime installé en 1962 continue dans cette lancée suicidaire en mettant des œillères sur les réalités sociologiques du pays, l’Algérie perdrait son lustre et sa vigueur et sombrerait dans le chaos car la consécration d’une langue ou d’une culture n’est aucunement la folklorisation circonstancielle et conjoncturelle de ses facettes factices mais c’est la revivification de sa sève nourricière à travers une redynamisation de son rôle véhiculaire dans la société. Il n’ y aurait pas de culture morte ni de langue agonisante s’il y avaient des hommes viables et des compétences réunies sous l’étendard de l’unité nationale ancrée dans les diversités régionales. Quoique l’on dise ou quoique l’on fasse, l’algérianité est une construction constante, elle se façonne, se socle et se maintient en dehors des nationalismes étriqués et des visions syncopées qui, ne reflétant pas une identité accomplie, se rabattent sur des nationalismes dispersés, moribonds et ostracistes. ce sont là les signes avant-coureurs de ces « identités meurtrières » dont parle avec une extrême lucidité l’écrivain libanais Amin Maalouf. L’Algérie du troisième millénaire doit regarder longuement en face, scruter scrupuleusement ses failles, et analyser soigneusement ses incohérences multiformes car une nation qui ne se mettrait pas sur le billard de l’ autocritique, l’auto-analyse, et l’auto-dissection va certainement à sa dérive. Aujourd’hui, plus que jamais, qu’on le veuille ou pas, la question identitaire est le noeud gordien du problème algérien, l’on doit se voir, se connaître, et se reconnaître pour avancer. L’on doit connaître notre chemin, baliser nos repères, éclaircir nos visions, élargir nos connaissances, rallumer nos esprits, apaiser nos douleurs et parler sereinement avec nous-mêmes car à défaut de ce travail de perspectivisme et de rigueur , il n’y aurait jamais plus de solution salvatrice. Qu’il soit clairement mis en évidence, la berbérité est un héritage national qui appartient à toute l’Algérie de Relizane à Tamanerasset, d’Alger à Oran et de Tlemcen à Gouraya, elle n’est pas l’apanage de la Kabylie, si cette dernière s’en était précocement revendiqué, c’est en grande partie en raison de facteurs sociohistoriques liés notamment à la conscience forgée dans l’émigration, et aux influences du mouvement national algérien .

5- Le printemps berbère dans le kaléidoscope du printemps arabe

Il est extrêmement frappant de constater que cette concordance à la fois stimulante et réelle du calendrier commémoratif du double printemps 80 et celui noir avec l’accélération de la roue révolutionnaire du printemps arabe est une double victoire pour la rue algérienne. Celle-ci, en attente impatiente de réformes politique, sociale et économique concrètes venant de la part du régime politique en place et de la société civile, se morfond dans son silence et sa colère. Le feed-back tarde à venir et les pensées roulent à vide. En fait, les réformes promises par le chef de l’État sont loin de satisfaire une rue désenchantée et complètement meurtrie, la corruption bat des records alarmants, l’affaire Khalifa a ouvert le bal de ces détournements incroyables des deniers publics, la Sonatrach, l’auto-route Est-Ouest plongent le citoyen dans un climat de suspicion générale de façon à le rendre désolidarisé avec son État et sa patrie. A ce titre, les autorités doivent ressouder ce maillon de confiance brisé. Dans la foulée, l’Algérie se classe selon l’agence Transparency International à la 111° place parmi les 180° pays du monde sur l’échelle de la corruptiblité des institutions en fin de 2007, d’autre part, selon les dernières révélations du monde diplomatique, les réserves de change qui atteignent 116 milliard de dollars en septembre 2010 n’arrivent pas à juguler la grogne sociale, le déblocage dernièrement de 20 milliards pour absorber la colère de la rue prouve, si besoin est, que l’État au lieu de s’affirmer économiquement ne fait que réactiver la redistribution éhontée de la rente pétrolière et le bradage des richesses nationales. Les masses traditionnellement enclines à la révolte se mettent à l’offensive, ainsi 90000 gardes communaux refusent de se laisser faire en abandonnant leur statut de patriotes, les étudiants quant à eux sortent de leurs terriers et menacent de peser fort si les choses ne s’améliorent pas, le système (L.M.D) qui même en Europe a prouvé ses limites, se renforce en Algérie dans l’incurie générale des responsables. Loin d’assombrir le tableau qui est déjà très sombre, l’on pourrait dire que l’Algérie actuelle nécessite une opération chirurgicale d’urgence. En effet, elle est terriblement sous l’anesthésie et attend celui qui va l’opérer. Mais encore faut-il répéter à mille reprises que la démocratie est loin d’être une panacée universelle ni encore moins un produit d’importation, bien au contraire, elle est avant toute chose, une recette et une marque de fabrique locale, moulée dans la culture de terroir et façonnée par l’esprit des droits et l’âme des devoirs. Et c’est là qu’intervient la citoyenneté authentique, véritable fondatrice de la nation. Mais faisant table rase de ce marasme multidimensionnel, le pays à l’image de tout l’espace arabo-musulman souhaite sa révolution spécifique au regard de son actif revendicatif ( printemps berbère, Octobre 88, printemps noir..) et il est souhaitable que cela se fasse dans l’ordre et qui dit ordre dit idée, et qui dit idée dit génie, c’est-à dire, le génie de l’élite et la clairvoyance des masses. Si Isabelle Manraud du monde diplomatique s’est interrogé s’il y avait une exception algérienne dans le raz de marée secouant le monde arabe(7),
moi, je me pose la question suivante: existe-il réellement un miracle algérien? Si l’espoir du printemps berbère était avorté à sa naissance, y-aurait un espoir algérien réussi? Si la réponse est
par l’affirmative, lequel? En attente de réponse, je laisse le soin aux cubains qui lorsque ne trouvent point de réponse à leurs divers questionnements disent » hay que resolver »(on doit résoudre).

Notes

(1) Benjamin Stora et Mohamed Harbi, la guerre d’Algérie 1954-2004, la fin de l’amnésie,
Robert Lafont, Paris, 2004, p27
(2) C.André Julien, histoire de l’Afrique du nord, tome II, éditions Payot, 1975, p306
(3) Aicha kassoul, Mohamed Lakhdar Maougal, Said-Naceur Boudiaf, Les élites algériennes:
histoire et conscience de caste, des guerres puniques aux guérillas islamiques, Éditions Apic,
2003
(4) Djamel Zenati, «il faut réinventer le militantisme», entretien au journal El Watan 19 avril 2010
(5) Hocine Ait Ahmed, l’affaire Mécili, Éditions la découverte, 1989, p192
(6) Ferhat Mehenni, Le siècle identitaire: la fin des États post-coloniaux, préface de Roger
Kaplan, Michalon,2010, p27-30-31
(7) Isabelle Manraud, «L’Algérie en quête de printemps», Le Monde Diplomatique, dossiers et doc,
n°407, avril 2011