L’effet rétroactif, l’ADN de la gouvernance délinquante dans le génome algérien

L’effet rétroactif, l’ADN de la gouvernance délinquante dans le génome algérien

El Watan, 15 octobre 2012

L’insécurité réglementaire rapproche l’Algérie des pays les plus pauvres du monde. Alors que son PIB – 183,4 milliards de dollars en 2011 – la situe en 48e position parmi 183 pays classés. Insécurité réglementaire ? Une des œuvres majeures de l’association Abdelaziz Bouteflika – Ahmed Ouyahia de la dernière décade. Si solide qu’elle se poursuit au-delà de la disgrâce du patron du RND. Fin août 2012, le premier ministre, se sachant sur le départ, a instruit en petit comité le ministère des Finances pour mettre un moratoire sur le moratoire fiscal. Retour en arrière sur un engagement pris avec le FCE le 28 septembre 2011, de rééchelonner les dettes fiscales des entreprises et de proclamer un moratoire sur le paiement des pénalités.

L’engagement s’est éteint avec l’été. Mesure suspensive globale. Même les entreprises qui ont obtenu l’accord de leur administration fiscale depuis le 31 mars 2012 sont touchées. C’est l’effet rétroactif. Code ADN des gouvernances délinquantes dans le monde. L’argument de l’administration algérienne est que des fraudeurs se sont glissés dans le dispositif. Des fraudeurs ? En fait, des entreprises dont l’activité principale est l’importation et non la production en Algérie. Des entreprises que le dispositif n’excluait pas au début. La preuve, les receveurs des impôts ont cosigné les documents qui engagent la procédure de rééchelonnement. Cette incartade posthume du cabinet Ouyahia est une invitation névrotique à mesurer les dégâts du swing réglementaire algérien. 500 entreprises environ ont sollicité le rééchelonnement de leur dette fiscale à la fin du printemps dernier et pour la plupart ont reçu un retour qui leur permettait de se considérer éligibles au dispositif. Elles devront toutes revoir leurs plans de trésorerie pour 2012. Nuisance domestique.

Mineure aux yeux du gouvernement. Mais le même principe délinquant de l’effet rétroactif a coûté cher en 2012 à l’économie nationale. Sonatrach a dû reverser 4,4 milliards de dollars et 920 millions d’euros à Anadarko et à Maersk pour avoir piétiné, avec la taxe exceptionnelle sur les profits, d’anciens contrats de partage de production. La prétention, même aménagée, d’acheter Djezzy par recours à un droit de préemption avec effet rétroactif, continue de paralyser le secteur des TIC algérien. Le plus retardataire du monde pour les pays à plus de 100 milliards d’euros de PIB. Tout le monde ne peut pas recourir à l’arbitrage international contre l’arbitraire réglementaire. Dans le cas des investisseurs étrangers comme dans celui des entreprises algériennes, la gouvernance Bouteflika-Ouyahia découvre des «fraudeurs».

Toujours a posteriori. Et de dépit, décapite les accords engagés. Au terrible coût financier et économique qui ne cesse d’enfler. Bouteflika a vilipendé les IDE en juillet 2008 après la cession de la branche matériaux de construction de Orascom au profit de Lafarge. Il en est né le 51%-49%. Mais avec effet rétroactif de fait. Puisque l’Etat algérien se donne le «droit» de devenir actionnaire majoritaire dans tous les investissements étrangers précédents dont une virgule change dans les statuts. Il ne s’agit pas ici de discuter de la pertinence des mesures prises. Souvent, il faut le retour d’expérience de plusieurs années pour aviser. Une taxation plus forte des revenus des compagnies étrangères qui active en Algérie est défendable. De même que le 51%-49% dans certains secteurs d’activité comme la promotion immobilière ou l’assurance peut l’être. Mais le respect du formalisme juridique, lui, est sacré. Comme un texte constitutionnel.

Une gouvernance délinquante ne le comptabilise pas. Et cela fait toute la différence entre un pays refuge pour les capitaux et un autre d’où le capital fuit. L’insécurité réglementaire algérienne vient en priorité de l’incompétence du management politique. Et de la mollesse de l’élite technocratique qui se tait sur son propre terrain d’expertise. «Les fraudeurs» sont une vue de l’esprit d’un vieux pouvoir dément. Orascom Construction n’a jamais signé un document qui lui interdisait de céder son contrôle à la bourse du Caire. De même que OTH, dont le détenteur premier du droit de préemption dans les statuts de sa filiale algérienne est Cevital et non l’Etat algérien, avait parfaitement le droit de conclure avec Vimpelcom. En voulant «aider» les entreprises algériennes, après avoir arrosé de prêts Ansej les émeutiers de janvier 2011, le gouvernement n’a pas bien réfléchi à toutes les incidences d’un rééchelonnement de la dette fiscale sur ses prévisions de recettes ordinaires. Il a réagi après coup.

Une fois l’addition présentée par la direction des impôts. La fraude est en fait de l’imprévision. L’Etat n’a pas évalué a priori l’impact d’une de ses mesures. Scénario ordinaire de la décennie, il remet tout à plat. Les frais de démolition sont maintenus hors bilan comptable. Comme le faisait Enron aux Etats-Unis pour ses pertes financières sur produits dérivées. Le PDG de Enron n’a pas fait de 4e mandat.

El Kadi Ihsane