Avec la nouvelle Constitution, l’Algérie se trompe d’enjeu

Avec la nouvelle Constitution, l’Algérie se trompe d’enjeu

par Abed Charef, Le Quotidien d’Oran, 8 février 2016

Seuls 0.2% des parlementaires ont voté contre la nouvelle Constitution. Comment lire un tel chiffre et que penser de la représentation politique nationale ?

Le projet de révision constitutionnelle proposé par le président Abdelaziz Bouteflika a été adopté dimanche 7 février à une écrasante majorité lors d’une réunion commune des deux chambres du Parlement. Le texte devait obtenir la majorité des trois quarts des votants. Il a fait mieux : 499 députés ont voté pour, 16 se sont abstenus et seuls deux, sur 517 votants, se sont prononcés contre le projet. Un tel score, avec seulement 0.2% des voix contre, pour un texte d’un tel contenu, soulève de vraies interrogations sur la santé politique d’un pays. En dix points, les remarques que suscite la démarche.

1. Un texte voté à 500 contre deux devrait donner à réfléchir à tout homme politique. Même le Coran, dans un pays musulman, n’obtiendrait pas un tel score dans le cas où le vote serait libre.

Cela signifie que la représentation nationale est totalement faussée, et non représentative. Aucun pays sérieux ne peut afficher des chiffres aussi absurdes.

2. Le vote favorable au texte confirme que la frange de la classe politique algérienne acquise au pouvoir est prête à avaliser n’importe quel projet pour se maintenir dans les grâces de ce même pouvoir. En 2008, les mêmes partis, avec parfois les mêmes députés et sénateurs, avaient voté la révision abrogeant la limitation des mandats présidentiels.

Aujourd’hui, ils font le chemin inverse. Une classe politique aussi détachée du peuple, aussi dénuée de convictions, devient dangereuse pour le pays, pour sa sécurité et pour sa cohésion.

3. Des mensonges éhontés ont été proférés sur le contenu de la nouvelle Constitution. Contrairement à ce qui a été dit, il n’y a pas de séparation des pouvoirs, le rôle du Parlement n’a pas été élargi et le régime mis en place donne au chef de l’Etat tous les pouvoirs. Celui-ci n’est responsable ni devant le Parlement, ni devant aucune autre institution. Il fait et défait les gouvernements, mais ne porte pas la responsabilité de l’action gouvernementale.

4. Les motivations qui ont été avancées pour justifier le nouveau texte sont fausses. Il n’y a évidemment pas de renforcement de la démocratie, mais une consécration de la dérive apparue depuis 1992 et accentuée jusqu’à la caricature sous Bouteflika : il y a un seul pouvoir, celui du président de la République. C’est le seul point sur lequel le président Bouteflika est cohérent : il a abrogé de fait le poste de chef du gouvernement dès sa prise du pouvoir en 1999 et il a consacré ce choix en faisant du Premier ministre un simple coordinateur de l’action gouvernementale.

5. La nouvelle Constitution adapte l’ancien texte à l’état de santé du président Bouteflika, ni plus ni moins. Le texte délègue au Premier ministre certaines actions formelles -présider des réunions du gouvernement- nécessaires pour le fonctionnement de la machine administrative, mais non vitales pour le pouvoir. Celui-ci reste largement informel. Personne n’est, aujourd’hui, en mesure de dire qui dirige réellement le pays.

6. En contrepartie, la nouvelle Constitution offre quelques concessions, pour obtenir les voix de clientèles potentielles. Langue amazigh, hommes d’affaires, journalistes, chacun reçoit un cadeau à sa mesure. A part la langue amazigh, les autres marchandages sont indignes d’un texte constitutionnel. A peine devraient-ils figurer dans les résolutions d’un congrès d’un parti de seconde zone.

7. L’Algérie n’avait pas besoin d’une révision de la Constitution. Elle a simplement besoin de croire et d’appliquer une Constitution, aussi mauvaise soit-elle. Et dans une Constitution, il n’y a pas que le texte, il y a aussi, depuis Montesquieu, « l’esprit des lois», particulièrement quand il s’agit d’une loi fondamentale.

Respecter la Constitution aujourd’hui, c’est se demander si un président de la République qui ne peut participer aux forums internationaux, aux sommets, ni négocier pendant des heures et des heures des accords vitaux pour le pays, est apte à occuper un poste aussi sensible.

8. Il n’y a pas eu débat sur la Constitution. Il y a eu monologue du pouvoir, pour vanter les mérites du nouveau texte, par les mêmes acteurs qui auraient vanté les mérites de n’importe quel autre document, pourvu qu’on leur assure un maintien ou une promotion dans le système. Le prototype de ce personnage politique est M. Ahmed Ouyahia : éradicateur avec les éradicateurs, partisan de la réconciliation plus tard, ultralibéral du temps des accords avec le FMI, défenseur de l’économie étatique quand les caisses de l’Etat se sont remplies, et le revoilà qui s’apprête à redevenir partisan de la limitation des mandats et ultralibéral. Il suffit de demander.

9. L’opposition, dispersée, affaiblie, n’a pas été en mesure d’influer sur l’évènement. Elle demeure totalement impuissante face à un pouvoir enfermé dans sa logique de survie. L’opposition n’a pas réussi à trouver les bonnes réponses sur un plan politique, organisationnel, sur la manière d’imposer des thématiques et d’organiser le combat. Peu importent les raisons, le résultat est là. Elle devra faire preuve de lucidité pour se rendre compte que sa démarche constitue l’une des impasses du pays. Elle est, d’une certaine manière, une impasse symétrique à celle dans laquelle s’est enfermé le pouvoir.

10. Le pouvoir pense qu’à travers cette Constitution, il apporte, momentanément, une réponse aux problèmes de l’heure. C’était vrai pendant une période : on pouvait régler les problèmes internes du pouvoir par une manœuvre de ce type. Ce n’est plus le cas. L’Algérie est un pays d’envergure.

En plus des responsabilités internes -préserver l’unité et la cohésion nationales, maintenir la sécurité et la stabilité, réformer les institutions et l’économie, etc.-, le pouvoir a des responsabilités internationales, avec la situation en Libye, au Mali, en Tunisie, au Sahara Occidental, etc. affronter de tels défis avec des méthodes aussi désuètes frise l’irresponsabilité.