Le processus américain de décision diplomatique (2e partie )

MOHAMED CHAFIK MESBAH AU SOIR D’ALGÉRIE

Coopération économique, état des lieux (2e partie )

PARTENARIAT STRATÉGIQUE AVEC LES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE

«Ni un mal absolu, ni un bien absolu»

Entretien réalisé par Mokhtar Benzaki, Le Soir d’Algérie, 5 novembre 2012

Le Soir d’Algérie : Sur le plan économique, tout d’abord, quel est l’état des rapports algéro-américains ?

MCM : Abordons-les, d’abord, en données statistiques. Le tableau des échanges commerciaux, pour 2011, indique que les Etats-Unis d’Amérique sont le premier client de l’Algérie laquelle est le sixième acheteur auprès des Etats- Unis d’Amérique. Ce tableau peut être trompeur. C’est, évidemment, l’énergie qui prédomine dans les échanges entre les deux pays. La problématique de la coopération économique algéro-américaine est, essentiellement, liée à l’énergie.
L’Algérie recèle un potentiel important en pétrole, en gaz aussi bien qu’en énergies de substitution, notamment gaz de schiste et énergie solaire. L’Algérie, de plus, jouit d’une situation géo-politique favorable, à proximité immédiate de l’Europe occidentale, grande consommatrice d’énergie. L’Algérie, par ailleurs, en raison d’une politique énergétique audacieuse a su jouer un rôle non négligeable dans les organisations internationales spécialisées. Malgré la nationalisation des hydrocarbures — ou grâce à elle —, l’Algérie, qui a consenti des efforts colossaux pour la mise en valeur de son patrimoine énergétique – pétrole et gaz —, a choisi les Etats-Unis d’Amérique comme un partenaire important, pour ne pas dire stratégique, en matière d’acquisition d’équipements, de prestation de services et de formation de cadres spécialisés. Pour comprendre, cependant, la nature des attentes américaines pour ce qui concerne l’énergie en Algérie, il faut garder à l’esprit les conclusions du rapport de la commission présidée par Dick Cheney, le vice-président des Etats-Unis d’Amérique, outre les aspects liés aux politiques énergétiques internes des pays pétroliers, le rapport privilégie, expressément, le retour au système des concessions jugé plus avantageux pour les compagnies pétrolières américaines au demeurant, sur les autres considérations stratégiques. La diversification des sources d’approvisionnement en pétrole, la sécurisation desdits approvisionnements ainsi que la défense des voies d’acheminement — notamment contre les risques d’attaques terroristes — constituent une priorité essentielle pour les Etats-Unis d’Amérique. A ce stade, la connexion contre la politique étrangère des Etats- Unis d’Amérique et leur doctrine de défense apparaît évidente. Pour l’illustration, notons que c’est moins pour neutraliser l’AQMI que pour sécuriser les sites énergétiques sur le continent africain — sujet d’intérêt important — que les Etats-Unis d’Amérique ont procédé à la création d’un commandement militaire américain — Africom — dédié, spécialement, au continent.

Puisque vous privilégiez la coopération énergétique, celle-ci vous semblet-elle exemplaire entre les deux pays ?

Avant de vous répondre, revenons vers le passé. D’une manière schématique, l’histoire des relations algéro-américaines en matière d’énergie peut être ramenée à quatre périodes essentielles. Première période, celle qui s’ouvre à l’indépendance de l’Algérie et se clôt avec la nationalisation des hydrocarbures en 1971. C’est, pour l’essentiel, une période de prospection où les Etats-Unis d’Amérique s’intéressent au potentiel de l’Algérie en hydrocarbures en se préparant, probablement, à concurrencer la France. Deuxième période, c’est la période de la présidence Houari Boumediène, marquée par un pragmatisme avéré dans les relations algéro-américaines. Malgré les positions diplomatiques en flèche de l’Algérie, hostiles aux Etats-Unis d’Amérique, les opérateurs de ce pays étaient largement implantés au Sahara dans les secteurs de la construction, des services et des équipements. Citons, pour mémoire, Bechtel, General Electric et Degoglier. La mise en place de la compagnie pétrolière Sonatrach avait bénéficié des conseils avisés d’experts américains, en particulier Franck Shultz. Il est vrai que les compagnies pétrolières américaines étaient absentes dans l’exploration. Soulignons que les sociétés mixtes algéro- américaines prospéraient, dont Algeo pour le géophysique et Alfor pour le forage. La formation des cadres pétroliers algériens était massivement assurée à Austin, Dallas et Houston. A l’époque, soulignons-le, le climat n’était guère propice pour des activités nécessitant de lourds investissements. Les relations diplomatiques entre les deux pays étaient gelées et le fâcheux précédent de Chemico, lié au projet GNL1, envenimait le climat bilatéral. Troisième période, débutant sans grand impact, avec la loi promulguée en 1986 à l’initiative de M. Belkacem Nabi, alors ministre de l’Energie et se terminant, en 1991, avec l’adoption de la loi sur le partage de production présentée par le gouvernement de M. Sid Ahmed Ghozali. Dans sa dernière phase, cette troisième période fut prolifique en découvertes importantes. L’Algérie avait retrouvé, vers 1997, le niveau de ses réserves en hydrocarbures de 1971. Quatrième période, celle de la gestion de M. Chakib Khellil qui fit promulguer, en 2005, la loi sur les hydrocarbures tant décriée. Le reproche qui était fait à M. Chakib Khellil lequel affirmait vouloir rationaliser la gestion de Sonatrach et la rendre compétitive, consistait en fait à lui prêter l’intention d’ouvrir la voie aux compagnies pétrolières américaines lesquelles auraient vite fait d’absorber Sonatrach en se substituant à l’initiative souveraine de l’Etat algérien dans un domaine aussi sensible. Quoi qu’il en soit, la loi, après avoir été adoptée à la hussarde, fut rapidement abrogée. Depuis, pas une seule compagnie américaine de notoriété ne s’est manifestée pour l’exploration. Des amendements à la loi sur les hydrocarbures ont été, récemment, introduits mais ils ne semblent pas être d’ampleur à pouvoir renverser la vapeur. Il faut garder à l’esprit, par ailleurs, que, depuis 2012, les Etats-Unis d’Amérique sont autosuffisants dans le domaine de l’énergie grâce à l’exploitation et du gaz non conventionnel et du gaz de schiste, domaine où ils sont devenus très performants.

Comment expliquer ce désintérêt américain, du moins en apparence, pour l’investissement dans le domaine des hydrocarbures en Algérie

Deux aspects caractérisent la politique américaine dans le domaine de l’énergie. Premièrement, une propension hégémonique au contrôle des réserves pour des considérations stratégiques. Deuxièmement, une aspiration à disposer, partout, du cadre le plus favorable pour maximiser le profit des compagnies pétrolières américaines. Dans le cas de l’Algérie, des considérations pratiques expliquent que les grandes compagnies américaines soient rebutées par des projets d’investissements en Algérie. Rigidité bureaucratique de l’administration algérienne, la législation nationale contraignante et, plus significativement, l’absence de visibilité stratégique sur l’évolution de cette même législation expliquent, en partie, le désintérêt américain dont vous faites état. Nous l’avons souligné, l’intérêt américain pour le potentiel énergétique algérien existe. Permettez-moi de citer, à cet égard, le témoignage de M. Nazim Zouiouèche, ancien président-directeur général de Sonatrach, qui m’a relaté l’épisode suivant : En 1996, M. Lou Noto, alors P-dg de Mobil, s’était présenté au siège de l’ambassade d’Algérie à Washington à l’effet de rencontrer le premier responsable de Sonatrach. L’interlocuteur américain était venu, rapporte M. Nazim Zouiouèche, avec un gros stylo à la main pensant venir pour signer un accord concernant Hassi Messaoud. Ce n’était pas de l’humour. M. Lou Noto, dès 1991, s’était porté candidat — la compagnie Mobil, naturellement — pour participer à l’exploitation de Hassi Messaoud tel que l’avait envisagé M. Sid Ahmed Ghozali. Cet épisode permet de situer le niveau à partir duquel les grandes compagnies pétrolières américaines s’intéressent à un éventuel investissement au Sahara. Cela explique pourquoi, actuellement, seules de petites compagnies pétrolières indépendantes américaines — Anadarko, Hess, Philips — sont présentes en Algérie. La preuve que ce n’est pas le caractère contraignant de la législation qui justifie l’absence d’opérateurs pétroliers américains dans l’exploration, c’est la situation qui prévalait, pour les sociétés mixtes de services algéro-américaines du temps de M. Belaïd Abdesslam, ministre de l’Energie, lesquelles essaimaient dans le domaine de l’énergie en Algérie malgré la règle observée des 51-49%. Notez, par ailleurs, que les firmes américaines dominent, toujours, le marché algérien dans le domaine des équipements pétroliers. Et pour cause, leurs produits sont sans réelle concurrence. Pour aller au fond des choses, disons que ce qui indispose le plus les partenaires américains ce sont l’absence de visibilité à échéance stratégique et le manquement aux engagements pris. Pour corroborer cette affirmation, je reproduis la teneur d’une conversation que j’ai eue en 2008 avec M. Robert Ford, alors ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique à Alger. Evoquant la fameuse loi sur les hydrocarbures, sujet à controverse adoptée au forcing, M. Ford m’avait déclaré, en substance, que «les Etats-Unis d’Amérique ne déniaient pas à l’Algérie le droit de décider, souverainement, de sa politique énergétique. Mais les pouvoirs publics algériens — à plus forte raison lorsqu’il s’agit de la plus haute autorité du pays — ne peuvent s’engager avec des partenaires américains majeurs (il visait les grandes compagnies américaines pétrolières) sur une démarche déterminée, avec ses lois et ses règlements, puis, après un laps de temps insignifiant, se déjuger sans autre forme de procès. Entre-temps, ajouta l’ambassadeur américain, les partenaires américains dont il s’agit ayant établi des projections et préparé des programmes d’investissement appropriés, ne pouvaient comprendre cette volte-face».

Quels sont les autres secteurs d’activités économiques qui suscitent l’intérêt des Etats-Unis d’Amérique ?

Ce sont le secteur financier, des télécommunications, des NTIC, des assurances, de l’aéronautique, des médicaments et, accessoirement, de l’agriculture. Au plan financier, c’est la position de City Bank qui tient lieu de port d’attache. Un éminent financier algérien affirmait, avec quelque humour, que «la City Bank constituait le cœur de la politique américaine en Algérie». La City Bank créée en un temps record — pour contrer, apparemment, l’implantation de Société Générale en Algérie — gère un portefeuille essentiellement pétrolier. Elle est la banque obligée de toutes les compagnies américaines exerçant en Algérie. Sonatrach était, durant une période, avec certains grands groupes publics algériens, domiciliée à City Bank avant de s’en retirer, sur injonction gouvernementale. Citons, sur ce volet financier, juste pour mémoire, les bons du Trésor américains qui servent de placement pour les recettes pétrolières de l’Algérie. De nombreux experts considèrent que ce mode de placement est sûr, même s’il n’est pas suffisamment rémunérateur. L’alternative serait d’envisager un mode de placement plus dynamique par l’acquisition de participations pérennes au niveau des grandes sociétés internationales. Ce n’est pas, admettons-le, aux Etats-Unis d’Amérique d’imposer à l’Algérie l’usage à choisir pour ses ressources financières. Il s’agit, au fond, d’arbitrer entre la sécurité ou la rentabilité du placement des réserves en devises. Cela mérite un débat public pour dégager un consensus national car il s’agit de l’usage des richesses nationales. Un débat que les pouvoirs publics en Algérie sont loin de vouloir favoriser. Les Etats-Unis d’Amérique se sont très tôt intéressés au secteur de l’aéronautique en Algérie, notamment le transport militaire à la faveur d’accords gouvernementaux signés entre les deux pays dans les années 1980. L’aviation militaire algérienne a cessé, en cette circonstance, d’être un client captif de la Russie en optant pour l’achat d’avions de transport de type Hercule, toujours en activité. Sur le plan civil, Boeing présent sur le marché algérien depuis 1970, avec le remplacement des caravelles françaises par des Boeing 737-100 et 737-200, a, depuis lors, supplanté Airbus pour la vente à Air Algérie d’avions moyens porteurs d’une capacité de 150 places. 35 appareils restent à acquérir par leasing pour un montant de 20 milliards de dollars sur quinze ans. Boeing est vivement intéressé par ce marché. Dans tous les cas de figure, 75% de la flotte civile algérienne provient, actuellement, de Boeing. Ce rapport continuera, selon toute probabilité, à structurer les acquisitions à venir de la compagnie nationale Air Algérie. Dans le domaine des télécommunications, la coopération avec les Etats-Unis d’Amérique est limitée. FCC, un organisme américain spécialisé, a, certes, été sollicité pour une assistance en matière d’étude du cadre de la régulation des télécommunications, sans lendemain. UPS et FEDEX, entreprises spécialisées dans le courrier postal, sont présentes en Algérie mais, loin derrière l’Allemand DHL. Signalons que les Etats-Unis d’Amérique étaient présents, auparavant, dans le secteur en Algérie. Vers le milieu des années 1970, sous le règne du président Houari Boumediène, COMSAT, organisme américain disposant du monopole dans le domaine, avait été chargé de l’étude et de la mise en place d’un réseau de liaisons satellitaires au Sahara. Cette présence illustre, s’il le fallait, le pragmatisme américain qui, en toute circonstance, prend le pas sur la motivation idéologique. L’on peut s’étonner, cependant, que les Etats-Unis d’Amérique ne soient pas intéressés par un marché aussi important que celui des télécommunications en Algérie. Dans le domaine de la technologie GSM, les Américains ont été surpassés par les Européens et il aurait été fastidieux pour eux de consentir un investissement coûteux pour renverser la tendance. Cela, pour l’aspect commercial. Sur le plan sécuritaire, les Etats-Unis d’Amérique disposent de moyens techniques qui leur permettent de contrôler toutes les communications téléphoniques à travers le monde. Pour le Maghreb, c’est une base installée aux Cornouailles en Grande-Bretagne qui est en charge de cette tâche.

Qu’en est-il des autres secteurs économiques ?

Prenons le cas du secteur des assurances où la présence américaine est insignifiante. American In Group (AIG) avait prospecté le marché algérien, puis renoncé. GAM assurances a été cédée par la Ciar, compagnie algérienne privée, à MP America, un centre de placement américain qui était déjà présent en Algérie. Les Etats- Unis d’Amérique sont fortement présents, par contre, sur le marché de la réassurance – autrement plus rémunérateur —auprès de grands groupes algériens, notamment Sonatrach — à travers les sociétés Remark, EON et AI. Vous le voyez bien, en matière de coopération économique, nous sommes loin, au total, du niveau stratégique. Mais les Etats-Unis d’Amérique qui misent sur le temps ne semblent pas pressés. L’ambassadeur américain David Pearce alors qu’il quittait, en juin 2012, son poste à Alger, a pu noter «que 80 sociétés américaines étaient implantées en Algérie en 2012 alors que leur nombre était seulement de 35 en 1995». M. David Pearce n’en faisait pas, pour autant, un titre de gloire puisqu’il ajoutait : «Il y a de la bureaucratie, les choses ne sont pas faciles. Mais, nous persévérerons.» Il paraît inutile, enfin, de s’attarder sur la présence indirecte, somme toute marginale, des Etats-Unis d’Amérique dans le domaine de l’automobile – Chevrolet et Ford —, de l’agroalimentaire – Coca-Cola, Pepsi-Cola — et du tourisme – Hilton, Sheraton et Mariot —.

Vous avez omis d’évoquer les secteurs où, à défaut de progrès substantiels, il existe un frémissement…

Vous voulez parler, probablement, des médicaments et de l’agriculture ? Le marché du médicament en Algérie est dominé par les firmes françaises dont certaines, à l’image d’Aventis, sont devenues des multinationales. Il n’empêche, d’importantes firmes pharmaceutiques américaines – Baxter, Johnson & Johnson, Lilly, Merck, Pfizer — sont présentes en Algérie mais sans investissements réels dans le domaine de la production. Tout récemment, un accord algéro-américain a été signé pour l’implantation d’un ambitieux pôle de biotechnologies. Un domaine où la concurrence française sera moins rude. Mais, ceux qui connaissent les difficultés de la réalisation de vrais projets industriels dans l’industrie pharmaceutique en Algérie ne sont pas loin de considérer que l’accord a été signé juste pour l’effet d’annonce. Il est curieux que les Etats-Unis d’Amérique se soient engagés dans ce projet alors que le rapport préliminaire de faisabilité réalisé par le cabinet d’audit Deloitte avait très bien mis en valeur les handicaps de l’Algérie comparativement aux projets déjà réalisés de même nature à Boston, à Dublin et à Singapour. Il faut vraiment douter de ce projet. Peut-être les firmes pharmaceutiques américaines cherchent-elles, simplement, une porte d’entrée plus intéressante vers le marché des médicaments en Algérie ? Au plan de l’agriculture, domaine où, pourtant, les Etats-Unis d’Amérique disposent d’une expertise incontestable, aucune présence ni même aucun projet digne d’intérêt. C’est d’autant plus étonnant que la coopération dans ce domaine avait été, expressément, abordée lors de la visite du président Chadli à Washington en 1986. Il est étonnant que même dans le domaine de l’importation, il s’agit du blé dur, les Etats-Unis d’Amérique se soient laissés distancier par la France et le Canada. Pour mémoire, en 1998, une filiale de l’OAIC (Office algérien interprofessionnel des céréales) avait été créée, selon le droit américain en territoire américain pour acheter, sur place, du blé en profitant des subventions à l’exportation que versait le gouvernement américain. Ces exportations devaient être cédées à l’OAIC, société mère en Algérie. Le projet, après maturation, n’a jamais vu le jour. L’actuel ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique en Algérie, lui-même fils d’agriculteur et originaire de Californie – Etat de prospérité agricole s’il en fut — ne m’a pas fourni de réponse convaincante. Sachant que le lobby des producteurs américains de blé est puissant, il y a lieu de s’interroger. S’agit-il d’un partage du marché à l’amiable entre pays producteurs de blé ou de l’impossibilité pour les producteurs de blé américain de recourir aux moyens utilisés par leurs concurrents français ? Bref, à l’exclusion de la coopération énergétique qui s’accompagne, effectivement, de transfert de technologies, les autres domaines de coopération se réduisent à de pures transactions commerciales. Permettez-moi, néanmoins, de revenir sur une omission. Il ne faut pas oublier, en matière d’audit et d’expertise financières, les grands cabinets américains présents en Algérie, KPMG, Ernest and Young et Deloitte. Ces cabinets ont un plan de charges rempli avec les sociétés américaines exerçant en Algérie, mais aussi des clients algériens publics et privés. Les Etats-Unis sont présents, également, sur le marché des études. IMS, spécialisé dans les panels auprès des grossistes et pharmaciens, détient presque 80% du marché. ACNielsen, spécialisé dans le panel des distributeurs, détient près de 80% de ce marché spécifique. Intermedia, institution publique américaine, sous-traite à travers des tiers, études d’opinions et de médiamétrie. La Broasting Board of Gouvernors, rattachée au Congrès américain, est en charge de la supervision de la politique audiovisuelle des Etats-Unis à l’étranger, pilote «Radio Sawa» qui diffuse notamment, en direction de l’Algérie. Cela, il est vrai, constitue moins une activité économique qu’une potentielle activité d’intelligence visant le recueil de renseignements ou l’influence sur l’opinion publique.

Le bilan économique n’est pas réjouissant. S’agit-il d’un désengagement américain délibéré par rapport au marché algérien ?

Il existe, incontestablement, des obstacles à l’investissement américain en Algérie. Le premier obstacle se rapporte au climat des affaires. La Banque mondiale publie, régulièrement, un document qui décrit ce climat pour l’ensemble des pays. Vous n’ignorez pas de quoi il en retourne pour l’Algérie. Pour les firmes américaines, cependant, c’est, probablement, l’instabilité juridique et fiscale qui les effraye le plus. Ces entreprises acceptent des règles contraignantes, préalablement fixées. Elles acceptent, même, le cas échéant, l’instabilité sécuritaire dont elles intègrent le coût dans leurs business plans. Elles fuient, sans hésiter, les pays où il n’existe aucune règle stable. Le deuxième obstacle se rapporte à la taille du marché. Les Etats-Unis d’Amérique ont toujours appelé à une intégration du marché maghrébin afin de donner la taille critique pertinente à un espace où les investisseurs américains pourraient trouver un nombre de consommateurs qui les incite à se placer et à investir. Actuellement, les difficultés qui bloquent la relance du processus d’unité maghrébine semblent ne pas devoir être surmontées à brève échéance. Le troisième obstacle se rapporte à la méconnaissance mutuelle des partenaires. Les pouvoirs publics en Algérie ne sont pas loin de considérer que les firmes américaines, comme dans une économie dirigée, obtempèrent, systématiquement, aux injonctions des autorités fédérales. Certes, pour certains aspects liés à la sécurité nationale, ces injonctions existent et sont respectées. Pour le reste, c’est la loi de la libre entreprise et les firmes américaines se décident à investir en fonction de leurs seuls intérêts. A l’inverse, faute de communication appropriée, les entreprises américaines, ignorant les potentialités de l’Algérie ; les possibilités de son marché et le contexte de l’investissement, ne se précipitent pas dans un pays considéré, longtemps, comme une chasse gardée de la France. Pour le moment, dans l’attente de voir l’Algérie opter, définitivement, pour un modèle de développement économique, les entreprises américaines cantonnent leur intérêt à des secteurs où ils ne peuvent être concurrencés. Il s’agit de secteurs d’activité à haute valeur ajoutée : biotechnologie, services immatériels, services financiers et énergie solaire.

Comment, finalement, se présente la démarche américaine dans le domaine de la coopération économique ?

Vous pourriez aussi bien élargir votre question à l’ensemble de la coopération bilatérale. Nul ne saurait mieux le faire qu’un Américain lui-même. Justement, un officiel américain que j’interrogeais sur la substance de cette démarche me fit une démonstration pratique très convaincante. Se saisissant d’une feuille de papier, il dessina trois cercles concentriques imbriqués l’un dans l’autre. Dans le cercle de droite, il écrivit de sa main «position gouvernementale algérienne», dans le cercle de gauche, «attentes de la société algérienne» et, dans le cercle du milieu «point d’équilibre, champ possible d’assistance américaine». Il voulait signifier que les Etats-Unis d’Amérique se déterminent pour apporter à l’Algérie leur assistance en tenant compte, concurremment, des attentes de la société algérienne et des possibilités ouvertes par les autorités gouvernementales du pays. Bref, une démarche qui s’exerce à concilier entre elles attentes de la société et injonctions gouvernementales. Le forcing, les Etats- Unis d’Amérique le mettent sur la dimension sécuritaire des relations bilatérales. Pour la coopération économique, comme pour ne pas livrer un combat inutile, ils se contentent presque, sur ce registre, d’accompagner la progression de l’Algérie au rythme qu’elle veut.
M. B.
A suivre