Cynisme

CYNISME

par M. Saadoune, Le Quotidien d’Oran, 20 Mars 2013

L’enfer est pavé de bonnes intentions. Mais la volonté de la France et de la Grande-Bretagne de livrer des armes aux opposants syriens ne peut même pas être créditée d’être une bonne intention… C’est une démarche grave qui vise clairement à rendre impossible toute idée de négociation pour stopper la destruction de la Syrie. Les larmes de crocodile sur le sort du peuple syrien ne changent rien au fait qu’un afflux d’armes n’apportera pas une solution mais un surcroît de malheurs pour le peuple syrien. Faire croire au régime comme à l’opposition qu’une «solution» militaire est possible est une démarche cynique qui n’aboutit en réalité qu’à aggraver la situation.

L’opposition syrienne, divisée, s’est donné un «Premier ministre» en la personne de Ghassan Hitto, un cadre dirigeant d’entreprise établi pendant longtemps aux Etats-Unis et dont la première déclaration a consisté à proclamer qu’il «n’y aura pas de dialogue avec le régime d’Assad». Il faut clairement y voir un effet de l’annonce franco-britannique. S’il n’y aura pas de dialogue avec le régime d’Assad, il y aura la guerre à outrance. Et les Russes qui ont déjà signifié que les livraisons d’armes à l’opposition syrienne étaient une «violation du droit international» ne vont pas rester en observateurs. La seule chose prévisible est bien un déversement de plus d’armes et une internationalisation du conflit qui risque de déborder sur l’ensemble de la région.

On a déjà dit tout le mal qu’on peut d’un régime syrien dictatorial, aveugle et brutal, mais on ne dira jamais assez qu’une partie de la population syrienne voit dans l’opposition syrienne armée dominée par les islamistes djihadistes une menace existentielle. Cela crée une situation où malgré sa faillite politique, ses revers militaires, le régime continue à être vu par cette partie de la population comme un rempart. Défendre le dialogue politique et la négociation n’est donc pas défendre le régime de Bachar Al-Assad… Il est indéfendable. Mais c’est une démarche pragmatique qui consiste à dire qu’il n’existe pas de solution militaire en Syrie. Un afflux d’armes sophistiquées va-t-il changer l’équilibre des forces ? Beaucoup en doutent. Car la solution militaire risque d’être tout simplement une destruction définitive de la Syrie avec la création de micro-entités en armes. En quittant le terrain de la légalité internationale, la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis créent une situation nouvelle et les pays qui soutiennent Damas n’hésiteront pas à en faire de même.

Le conflit syrien qui est déjà un enjeu de confrontation politique entre des acteurs internationaux évoluera en confrontation militaire internationale. Le Liban, pays profondément divisé, est déjà happé par la guerre syrienne. Il risque d’imploser s’il n’arrive pas à garder la «distance» comme le souhaitent ses dirigeants. Mais comment garder la distance quand les forces politiques libanaises sont déjà avec un camp contre un autre, que des groupes d’opposition syriens entrent à partir du Liban… Le raid effectué par la Syrie contre une ville libanaise sunnite, qui soutient ouvertement l’opposition, montre que le chemin est court vers une extension de la guerre… Plus d’armes aux acteurs de la guerre civile syrienne est tout sauf une «bonne intention» car personne ne peut croire que Londres et Paris le font par naïveté.