Politique des salaires et salaires politiques

Politique des salaires et salaires politiques

Le Quotidien d’Oran, 1 octobre 2006

Le feuilleton des négociations salariales tire à sa fin. Après les fonctionnaires, les salaires des travailleurs du secteur économique seront augmentés de 5% à 20%. Cette hausse devrait être entérinée hier lors de la tripartite qui devait réunir tard dans la soirée le patronat, l’UGTA et le gouvernement.

« Dans le secteur privé, les augmentations tourneront autour de 10%. On ne peut pas aller plus loin. Par contre, ça peut être moins pour les secteurs particuliers comme l’agroalimentaire qui seront étudiés au cas par cas. Les augmentations des salaires seront effectives à partir de la signature des conventions de branches qui n’ont pas encore commencé», explique le président de la Confédération algérienne du patronat (CAP), Boualem M’rakech. Dans le secteur économique, la hausse des salaires varie entre 5% et 20%, selon les négociations entre l’UGTA et les SGP. «Dans le secteur public économique, chaque fédération a négocié des accords avec la SGP. Les augmentations varient, selon les secteurs et les entreprises, de 5% à 20% et cela concerne les salaires de base. Mais il y a beaucoup plus de 5% que de 20%. En plus de la hausse du salaire de base, certaines fédérations ont obtenu des augmentations des primes de transport, de panier», explique le secrétaire national de l’UGTA chargé des questions économiques, M. Badredine.

La bonne nouvelle pour les travailleurs, ces augmentations concernent le salaire de base, ce qui devrait se traduire par des hausses importantes du salaire net. Les éléments constitutifs de la fiche de paie sont en effet indexés sur le salaire de base. Surtout pour les travailleurs des entreprises publiques où l’augmentation des salaires est de 20%. Mais aussi bien dans le secteur privé que public, les augmentations tournent en majorité entre 5% et 10%, selon nos sources. Rares sont les entreprises publiques qui ont accordé des augmentations de salaire de 20%.

En tout cas, la hausse des salaires ne sera pas sans conséquences sur les entreprises et les travailleurs. Le pouvoir d’achat des salariés va-t-il augmenter et permettre la relance de la consommation ? Les entreprises publiques ou privées vont-elles répercuter les augmentations de salaires sur leurs produits ou réduire leurs effectifs ? A qui profite réellement ces augmentations ? Autant de questions qui reviennent à chaque augmentation générale des salaires et surtout décidée sans prendre en compte les préoccupations réelles des entreprises. Aujourd’hui, le problème de représentativité au niveau des entreprises se pose aussi bien pour le patronat que pour le syndicat UGTA. Sur 280.000 entreprises privées du pays, seules 6.000 sont structurées dans les organisations patronales. Fortement présente dans le secteur public pour des raisons historiques, l’UGTA peine à recruter le secteur privé. Du coup, les accords passés entre l’UGTA et le patronat trouvent difficilement le consentement des chefs d’entreprise, surtout lorsqu’ils touchent aux finances de l’entreprise. «Lorsque le salaire de base augmente de 10%, cela se traduira par une hausse du salaire net de 30% à 40%. Par exemple, les primes de rendement, d’ancienneté vont augmenter. La masse salariale de toute l’entreprise va donc augmenter, ce qui se répercutera sur les prix des produits pour les entreprises de production. Comme le marché ne le permet pas à cause de la concurrence des produits importés, il va falloir regarder les effectifs et éventuellement les réduire pour baisser la masse salariale. Dans les deux cas, c’est l’entreprise qui est pénalisée», estime le directeur d’une entreprise publique. Un avis partagé par M. Aït Yallan, patron de Bya Electronics et membre du Forum des chefs d’entreprise (FCE): «une hausse du salaire de base de 10% signifie que la masse salariale de l’entreprise va augmenter de 40%. C’est une charge supplémentaire pour l’entreprise, impossible à répercuter sur les prix des produits qui sont déterminés par le marché. D’autant que cette hausse n’est pas accompagnée de baisse de charges pour les entreprises. Il n’y a que l’Impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS) qui a baissé de 30% à 25%. Et il faut le faire ce bénéfice !».

Beaucoup de chefs d’entreprises doutent des répercussions positives de la récente hausse des salaires sur la consommation des ménages. Sauf pour les gros salaires. «Augmenter de 2.000 dinars le salaire d’un travailleur qui touche 10.000 dinars ne va rien changer à son niveau de vie. Cette hausse des salaires ne va pas relancer la consommation. Elle est insuffisante. Il faut une vraie politique salariale qui tienne compte de l’inflation, de la valeur réelle du dinar et de l’état de l’économie», propose un autre patron. Mais le patronat hésite à aller plus loin que la simple hausse des salaires, destinée beaucoup plus à calmer le front social. Une telle démarche signifierait des augmentations annuelles des salaires qui tiennent compte de l’évolution de l’économie du pays. Toutefois, il est difficile de connaître les conséquences de la récente hausse des salaires sur le pouvoir d’achat des Algériens. Déjà, le projet de loi de finances pour 2007 prévoit une hausse du niveau des prix l’année prochaine et cite la hausse des salaires parmi ses raisons. Ce qui n’est pas rassurant…

Hamid Guemache