Éruption des grognes sociales

PASSÉE L’EUPHORIE DES QUALIFICATIONS AU MONDIAL

Éruption des grognes sociales

Le Soir d’Algérie, 5 janvier 2010

Une qualification pour la phase finale de la Coupe du monde de football procure, certes, de la joie, mais n’améliore en aucun cas, ni d’aucune manière, l’ordinaire des millions de salariés. Les 5 000 travailleurs de la Société nationale des véhicules industriels (SNVI) nous rappellent à cette évidence axiomatique.

Sofiane Aït-Iflis – Alger (Le Soir) – Ça gronde fort depuis avant-hier au complexe industriel SNVI de Rouiba, dans la périphérie est d’Alger. Près de 5 000 travailleurs ont décidé, spontanément, est-il fait remarquer, de ranger leurs outils et déserter les ateliers pour dire toute leur insatisfaction des conclusions de la dernière tripartite. Pour eux, la tripartite, célébrée par le gouvernement et la Centrale syndicale comme le pinacle des acquis sociaux, n’est qu’un leurre. Et en cela, ils n’ont pas tort, tant insignifiante est l’incidence du relèvement du SNMG sur le pouvoir d’achat des salariés, tous les salariés, à l’exception de ceux, minoritaires, dont la paie est fonction de ce salaire minimum garanti. Franchement, la révision à la hausse du SNMG ne profite qu’aux bénéficiaires de pensions de retraite et aux smicards. Mais ceux-là ne constituent pas une masse importante. La Centrale syndicale, l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), qui, depuis longtemps, a déserté le terrain des luttes syndicales pour se confiner dans un rôle de soupape, n’ignore pas cette réalité. Elle sait pertinemment que la hausse du SNMG n’est d’aucun secours pour la grande masse des salariés. Mais, ligotée qu’elle est par le pacte national économique et social conclu avec le gouvernement, elle ne peut s’autoriser d’autres conduites qu’avaliser les décisions gouvernementales, quelles qu’elles soient. Gagnée profondément par la sclérose, provoquée aussi par une compromission politique exagérée, la direction de la Centrale syndicale vit un déphasage attesté avec la base syndicale qui, elle, se démène vaillamment à dresser la barricade devant l’érosion de son pouvoir d’achat. Preuve en est cette grogne des travailleurs de la SNVI qui ont décidé de débrayer jusqu’à ce que leurs doléances soient satisfaites. Des doléances que l’UGTA n’a pas su, ou n’a pas carrément voulu défendre, en l’occurrence une revalorisation réelle des salaires et la préservation des acquis sociaux des travailleurs. En effet, les salariés, du moins ceux s’éreintant dans les fonderies de la SNVI, s’élèvent contre la suppression de la possibilité de départ à la retraite, à l’accomplissement de 32 années de services, un mécanisme introduit dans le système de retraite nationale en 1994. Chez les travailleurs, la suppression de cet avenant au système de retraite est perçue comme un recul, une remise en cause d’un acquis. Que des politiques fréquentant ouvertement le sérail dirigeant saluent cette décision de la tripartite n’altère en rien la justesse de la revendication des couches laborieuses. Les travailleurs de la SNVI ont raison de sonner la fin de la kermesse à laquelle tout le monde s’est abandonné, après la qualification des Verts au Mondial sud-africain. Car, en plus de l’érosion du pouvoir d’achat, il est d’autres inquiétudes à se faire, notamment par rapport à l’emploi. Le nouveau code de travail, qu’une commission tripartite peaufine depuis un certain temps déjà, risque fort malheureusement de ménager le lit à l’emploi précaire, en autorisant le recours sans condition au contrat à durée déterminée, le CDD. Les syndicats autonomes n’étant pas associés à la négociation avec le gouvernement, en dépit d’une représentativité prouvée sur le terrain de la mobilisation, on voit mal l’UGTA faire barrage à une telle disposition dans le nouveau code du travail. Ce n’est pas sans motif que le gouvernement gratifie la Centrale syndicale du statut d’unique partenaire social admis à la négociation. Il sait que du côté de la maison du Peuple, il ne pleuvra que soutien. Mais la docilité de la direction de l’UGTA ne le tirera pas forcément d’affaire. La grogne sociale, visible, à présent que l’euphorie d’après-qualification au Mondial est passée, pointe du nez, plus que jamais menaçante. Les praticiens de la santé publique sont déjà en pleine contestation. Leur débrayage pourrait fort bien faire des émules, tant, partout, les problèmes s’amoncellent sans perspectives tangibles de règlement. Comme quoi, rien ne pourra faire les travailleurs se détourner de leur misère… même pas le safari sud-africain des Verts !
S. A. I.