La hausse générale des prix généralise l’émeute

La hausse générale des prix généralise l’émeute

Salim Rabia, Maghreb Emergent, 06 Janvier 2011

Les prix flambent à l’issue d’une année riche en affaires de corruption dans un pays qui affiche une aisance financière inégalée. La colère et le désarroi des chefs de familles des couches populaires sont désormais exprimés par leurs enfants et par l’émeute. Celle-ci est devenue pour les jeunes et adolescents la forme d’expression par excellence dans un pays politiquement verrouillé. L’Algérie est dans un climat « octobriste ». La généralisation de la hausse des prix provoque la généralisation de l’émeute.

Tipaza, Oran, Alger… le même jour. La géographie, éparse et désynchronisée, des émeutes à l’algérienne a pris mercredi une tournure dense et simultanée qui a immédiatement rappelé les grandes émeutes d’octobre 1988. Ce sont les mêmes acteurs : des jeunes, souvent adolescents, qui font face au régime. Et même si Ali Benhadj, l’ancien numéro 2 de l’ex-FIS n’a pas raté l’opportunité d’aller parler aux jeunes à Bab El Oued avant de se faire arrêter, la contestation sociale se fait en dehors de toute structure organisée. Durant les dernières semaines, ce sont les bidonvilles et certains quartiers périphériques des villes, qui ont laissé éclater leur mauvaise humeur. Cette fois-ci, c’est la hausse subite et inexpliquée des prix qui suscite un ras-le-bol généralisé et simultanée qui doit susciter des inquiétudes chez le gouvernement. Et qui suscite, comme toujours, des spéculations sur la « main invisible » qui serait derrière. Mais ce qui est sur est que la hausse des prix, effet de la main vraiment « invisible » et mystérieuse, du marché algérien suscite une colère réelle au sein de la population. Le premier signe est venu de Koléa dans la wilaya de Tipaza. Des échanges vifs entre un jeune et un commerçant font chauffer les esprits. La colère face à des prix insupportables pour les petites bourses se transforme en une série de petites intifadha. La suite est dans la tradition de la jeunesse algérienne : rumeurs et émulation.

Quand Bab El Oued bouge….

A Bab El Oued, le quartier populaire d’Alger, les jeunes qui étaient déjà irrités par le fait que la police ait été « complaisante » à l’égard des supporters d’un autre quartier de la capitale, se sont engouffrés dans l’émeute. Mais très vite, ce n’est plus l’histoire de football qui sert de motif mais bien la hausse brutale des prix. Et d’une manière générale, une malvie faite de désœuvrement et d’ennui. Bab El Oued a eu une soirée mouvementée avec des scènes « octobristes » d’attaques contre des magasins et de véhicules brûlés. Et quand Bab El Oued bouge, d’autres quartiers d’Alger ne veulent pas être en reste. L’émulation a fonctionné et les petits intifadha se sont étendus à Raïs Hamidou, Bains Romains , Chéraga. A minuit, dans le carrefour de cité Maya, à Hussein-Dey, jonché de verres, des grappes de jeunes en tenues sportives, «occupaient » le terrain. Ce sont les desperados de l’immense bidonville d’Oued Ouchaïah. Comme dans de nombreux autres bidonvilles de la capitale, les opérations de relogement suscitent la frustration et la colère. A Oran, les mouvements de grogne venus des quartiers Ibn Sina (ex-Victor Hugo) et El Hamri ont incité les commerçants à fermer boutique. Les jeunes ont fermé à l’aide de pneus enflammés l’axe routier entre le parc d’attractions et le au quartier de Bastié. Des affrontements ont eu lieu avec la police. Dans le quartier d’El Hamri, des jeunes se sont attaqués au dépôt d’Eriad avant d’être dispersés par la police. Au Petit Lac, un siège de la Cnep a été saccagé par les manifestants.

Une colère à l’issue d’une année très « corrompue »

Si les émeutes sont devenues une forme d’expression ordinaire en Algérie du fait du verrouillage de la vie politique, leur caractère simultané et leur extension aux grandes villes du pays est significatif de la généralisation du mécontentement face à la subite augmentation des prix qui est vécu dans les couches populaires comme une agression. Dans un pays plus « riche » que jamais – 155 milliards de dollars de réserves en devises et 48 milliards d’euros dans le Fonds de régulation des recettes – ces hausses qui interviennent après une année de gros scandales de corruption suscitent une profonde colère. Mustapha Benbada, le ministre algérien du commerce, a estimé que la flambée des prix ne « peut pas être expliqué uniquement par l’augmentation des prix de certains produits sur les marchés boursiers internationaux ». Il a cité deux produits essentiels, le sucre et les huiles végétales, qui ont connu des hausses vertigineuses depuis le début de l’année. « Nous sommes entrain d’analyser ce qui se passe au niveau du marché international et voir ce qui se passe localement pour l’huile et le sucre. Nous allons prendre des mesures et que chacun assume ses responsabilités ». Implicitement mis en cause, Issad Rebrad, le patron de Cevital, qui domine le marché du sucre et des huiles, devrait s’expliquer samedi prochain dans une conférence de presse. Il est cependant évident que les dernières hausses des prix ne sont que la goutte de plus dans un océan de frustration rendu insupportable par la trop grande visibilité des nouveaux riches dont la réussite est, c’est une conviction générale, imputée à la corruption et au népotisme. Il est vrai que dans ce domaine, 2010, a été particulièrement riche en révélations.