Les arouch mis face à leur impasse

Les arouch mis face à leur impasse

Le Quotidien d’Oran, 1 juin 2003

Ahmed Ouyahia a lancé, hier, un appel solennel aux arouch pour désigner leurs représentants à un dialogue «autour de la plate-forme d’El-Kseur» pour «rétablir la paix dans les coeurs».

Le chef du gouvernement, qui précise que cet appel au dialogue est fait en «accord avec le président de la République», considère que cette crise a «trop duré». Des appels de ce genre avaient été déjà lancés par son prédécesseur, mais celui d’Ouyahia tranche par sa vigueur et son apparente détermination. Cela suggère clairement que du côté du pouvoir, les choses ont été tranchées en faveur d’une solution par le dialogue.

Il est évident qu’avec l’épreuve imprévisible du séisme et ses conséquences humaines et économiques, les pouvoirs publics n’entendent plus se contenter d’une gestion à distance, par le «pourrissement», disent les détracteurs, du problème. Ils tendent de ce fait une perche à un mouvement des arouch affaibli, divisé et qui n’a plus ses capacités de mobilisation et de direction initiale. Pour les autorités, le moment est on ne peut plus propice. Et le contexte général du pays milite pour une action en cette direction.

La question de l’heure «est dans la paix civile d’abord au profit de la population de la région de Kabylie, ensuite, au bénéfice de toute la nation inquiète et, enfin, au profit exclusif de l’Algérie éternelle», a déclaré Ahmed Ouyahia devant l’Assemblée populaire nationale. Une Algérie qui, a-t-il ajouté, interpelle «arouch et pouvoirs publics pour sortir de cette impasse, dans l’unité nationale confortée et dans l’intérêt national rehaussé».

Il s’agit clairement d’un changement de cap par rapport à ce qui s’est fait jusqu’à maintenant. Le ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, considérant que les pouvoirs publics doivent dialoguer avec les élus et les partis agréés, semblait avoir définitivement clos le chapitre du dialogue avec les arouch. Ahmed Ouyahia vient de les replacer en orbite en leur concédant une légitimité que leur contestait Yazid Zerhouni. Cet appel «fraternel» direct aux arouch, que Ouyahia dit sans lien «avec un quelconque calcul politique» et n’obéir qu’à «l’intérêt national», sera-t-il reçu comme il l’a souhaité ? Rien n’est moins sûr ! Si, effectivement des partisans du dialogue ont tenté d’émerger au sein d’un mouvement des arouch affaibli et divisé, ils ont été systématiquement contenus, pour ne pas dire bannis, par les «maximalistes».

L’appel au dialogue d’Ahmed Ouyahia risque ainsi d’être bloqué par l’exigence d’une reconnaissance officielle préalable de la plate-forme d’El-Kseur dite «scellée et non négociable». Le fait que le chef du gouvernement appelle à un dialogue sur la question pouvant être jugé insuffisant par des acteurs qui ont fait du blocage des échéances électorales une fin en soi. Le fait que l’on soit pratiquement dans une situation préélectorale pourrait les pousser à encourager une démarche de refus. Plus fondamentalement, l’appel au dialogue lancé par Ouyahia pose un sérieux problème aux arouch, largement masqué par l’idée du mouvement «horizontal», celui du leadership. Qui est apte à négocier avec le pouvoir dans un mouvement où les courants et partis politiques sont agissants ? Le problème se posait déjà lorsque le mouvement était dans sa phase ascendante et, dans l’incapacité d’entrer dans une démarche de négociation, le mouvement a choisi la radicalisation et un activisme effréné qui a fatigué la population tout en nuisant à la vie économique et sociale de la Kabylie. Le problème risque de se poser aujourd’hui que le mouvement connaît un essoufflement réel et que l’unanimisme qu’il a imposé pendant des mois n’est plus de mise en Kabylie.

En demandant au mouvement des arouch de désigner «lui-même ses représentants au dialogue», Ahmed Ouyahia le met devant sa propre impasse. Qu’il parvienne à la dépasser serait utile, mais qu’il s’y enfonce serait une preuve de plus donnée aux Algériens de l’incapacité des arouch à amorcer le virage nécessaire de la négociation et de la construction.

K. Selim