Mouloud Hamrouche, l’homme du système qui a voulu changer le système

Mouloud Hamrouche, l’homme du système qui a voulu changer le système

Zineb A. Maïche, TSA, 17 février 2014

Mouloud Hamrouche sort de sa réserve. L’homme discret et légaliste a décidé, aujourd’hui, d’écrire. Nulle conférence de presse ou meeting : M. Hamrouche reste fidèle à lui-même.

Posément, il intervient à un moment où « notre pays vit des moments sensibles qui vont conditionner son avenir immédiat et profiler irrémédiablement son devenir ». Cet avenir dont il s’inquiète, il avait tenté de le façonner au moment où il a été chef du gouvernement.

C’était en septembre 1989. Chadli Bendjadid, alors président de la République, fait appel à M. Hamrouche. Il est alors premier. Il a, tout juste, 46 ans mais avec un long parcours derrière lui … au sein de l’Armée.

Né en 1943 à Constantine, dans une famille révolutionnaire, M. Hamrouche perd son père lors d’un combat. Il a 14 ans et le jeune homme se distingue par un attentat un an plus tard : il fait exploser une grenade dans une grande artère de la ville de Constantine. Il fera son apprentissage entre la Tunisie et l’Irak. Il obtiendra le grade de sous-lieutenant.

Houari Boumediene, qu’il avait croisé aux frontières lors de la guerre d’indépendance, le nommera au poste de directeur de protocole. À cette époque, l’homme décide d’aller à l’université. Il décroche un magistère en droit et sciences politiques.

Sur le site Internet du gouvernement algérien à l’onglet « Premier ministre », sa biographie est résumée en 5 dates ; cinq dates qui laissent deviner une longue expérience dans les rouages de l’État.

En politique, juste après un parcours militaire. Mais c’est surtout en tant que chef du gouvernement que l’homme sera reconnu. Clés en mains, il engage refondations et réformes, encore applaudies aujourd’hui. Ouverture du champ médiatique à des journaux privés qui viendront concurrencer la presse étatique. Il fait fi du ministère de l’Information pour n’avaliser qu’un Conseil supérieur de l’audiovisuel. Idem pour le ministère des Moudjahidines qu’il considère faire doublon avec l’organisation des Moudjahidines. On lui attribue l’ouverture à l’investissement privé tout en autonomisant les entreprises publiques. Il donne des pouvoirs accrus et une indépendance à la Banque d’Algérie.

L’homme réforme tous azimuts et l’élan démocratique qu’a connu le pays lui est souvent attribué. En juin 1991, en pleine crise politique provoquée par la grève de l’ex-Fis, Mouloud Hamrouche quitte le gouvernement.

Aujourd’hui, un peu plus de 20 ans après son passage au gouvernement, une pétition est mise en ligne, en décembre dernier, pour convaincre l’homme à se présenter aux prochaines élections présidentielles. Mais l’homme semble hésitant. C’est qu’il en avait fait l’expérience une fois. En 1999.

Avec l’assurance par l’Armée que les élections ne seraient pas truquées. Déjà, lors des présidentielles de 1995, Mouloud Hamrouche avait refusé de jouer le jeu. Sûr que les dés étaient jetés. L’homme du système qu’il était, connaissait le système. Désavoué par Chadli Bendjedid et Khaled Nezzar en 1991, il avait démissionné de son poste de Premier ministre.

Dans un contexte où le Front islamique du salut avait tout raflé lors des législatives de 1991, Mouloud Hamrouche s’échinait à vouloir redynamiser le FLN et redéployer la confiance du citoyen pour le parti historique. Le dialogue qu’il prône avec l’ex-Fis, avec les citoyens, fera qu’il sera mis au ban. Pendant plus de 15 ans. Ses vaines tentatives d’influer la société distingueront l’homme.

Mouloud Hamrouche est un homme du système qui a voulu changer le système. Sa lettre, aujourd’hui, lui ressemble. Un appel à l’ordre. Un souci de ne pas voir l’histoire se répéter. « Chaque crise a ses victimes et ses opportunités », déclare-t-il dans son communiqué. Victime, Mouloud Hamrouche l’a sûrement été. Quant aux opportunités liées aux présidentielles, saura-t-il les saisir ?


Armée, DRS, 4e mandat …Les messages de Mouloud Hamrouche

Achira Mammeri, TSA, 17 février 2014

Il a parlé. Enfin. Après près de 15 ans de silence, Mouloud Hamrouche, l’ancien chef du gouvernement, s’est exprimé, ce lundi 17 février, à travers une déclaration adressée à la presse. Une déclaration qui lève une partie du voile sur les positions de l’homme et peut-être aussi sur ses intentions.

Dans un style alambiqué, Mouloud Hamrouche délivre des messages codés, des interpellations, des jugements et des avertissements. Dans son communiqué, l’ancien chef du gouvernement semble plus s’adresser aux institutions officielles qu’au peuple algérien.

Soutien infaillible à l’armée, réserves sur le projet d’un État civil

Dans sa déclaration, Mouloud Hamrouche se positionne par rapport au débat sur le rôle de l’armée. Pour lui, le moment ne semble pas encore venu pour le retrait de l’armée de la scène politique. Du moins, les conditions de ce retrait ne sont pas réunies. « Faut-il convoquer, aujourd’hui, la promesse d’édifier un État moderne qui survit aux hommes, aux gouvernements et aux crises ? Faut-il rappeler encore l’engagement pris de poursuivre le processus démocratique ? Faut-il invoquer la promesse de continuer la réforme ? » s’interroge Hamrouche.

Avant de renvoyer dos à dos, le président et le DRS : « nos constituants sociaux ne peuvent s’accommoder de pouvoir souverain sans contre-pouvoir. Il ne peut y avoir d’exercice d’un pouvoir d’autorité ou de mission sans habilitation par la loi et sans contrôle. Il y va de l’intérêt et de la sécurité de l’Algérie, de tous les Algériens et de toutes les régions du pays ». C’est à ces conditions que « notre Armée nationale populaire assurera sa mission plus aisément et efficacement et nos institutions constitutionnelles assumeront clairement leurs rôles et fonctions ».

Un message qui semble être également adressé au FLN dont le président n’est autre que le chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika. Le FLN depuis l’arrivée à sa tête d’Amar Saâdani n’a cessé de plaider pour un État civil. Mouloud Hamrouche se démarque ainsi de cette position du FLN. Il exprime et réitère son soutien infaillible à l’institution militaire. Pour lui, l’Armée a sauvé l’Algérie : « Faut-il rappeler ici et maintenant que la renaissance de notre identité algérienne et notre projet national ont été cristallisés, abrités et défendus, successivement, par l’Armée de Libération Nationale, puis, l’Armée Nationale Populaire ? » Cela n’a été possible, précise-t-il, que grâce aux hommes qui ont su trouver des compromis et élaborer des consensus. A chaque étape et à chaque crise, ces hommes ont su préserver l’unité des rangs, la discipline et transcender tout clivage culturel, tribal, régional en préservant l’identité et le projet national », écrit-il.

Hamrouche contre le quatrième mandat ?

L’ancien chef du gouvernement ne donne pas de réponse directe à cette question. Mais les opinions qu’il exprime dans sa contribution laissent entendre qu’il n’est pas favorable à un nouveau mandat pour le président Bouteflika. Selon lui, l’Algérie vit une situation de crise. Il invite, dans ce contexte, les Algériens à éviter « de gâcher ces nouvelles opportunités ou d’avoir de nouvelles victimes ». L’Algérie vit des moments sensibles qui vont conditionner son avenir immédiat « et profiler irrémédiablement son devenir, au-delà de la présidentielle, indépendamment du fait que le Président soit candidat ou pas, par l’arrivée de nouvelles générations aux postes de responsabilité », écrit Mouloud Hamrouche.

Préserver les équilibres

Mouloud Hamrouche, qui connaît bien les rouages du pouvoir, lie la stabilité politique et sociale du pays par le respect « des différents intérêts de groupes, de régions et de minorités ». Ces intérêts doivent être garantis, selon lui. Si on peut aisément comprendre et admettre que les équilibres régionaux soient une condition inaliénable dans l’équation politique en Algérie, des questions s’imposent par contre sur la relation entre cette stabilité et les « intérêts des groupes » donc des personnes et des clans. Qui sont « ces groupes » ? Qui représentent-ils ? Est-il logique de lier le destin de tout un pays à des personnes ? Visiblement, Mouloud Hamrouche, à travers ce message, tente de rassurer des groupes inquiets par la perspective d’un changement politique.

La sortie de Mouloud Hamrouche, qui intervient à moins de trois semaines de la date limite de clôture des candidatures, ressemble à celle d’un candidat qui pose ses conditions et définit les contours de son projet politique.