Khalida Toumi au Jeune Indépendant
Khalida Toumi au Jeune Indépendant
« Les demi-soldes ont utilisé quatre stratégies pour tenter de destituer Bouteflika»
par Nefla B. , Le Jeune Indépendant, 7 avril 2004
Quatre stratégies ont été mises en branle par ce qu’elle a appelé «les demi-soldes ou les petits cousins de Tequerro pour destituer le président Bouteflika. Selon Khalida Toumi, ministre de la Communication et de la Culture, ces manœuvres consistaient en premier lieu à le pousser vers la porte de sortie et l’obliger à rendre le tablier, la seconde à faire un réquisitoire contre son bilan le qualifiant de bilan, blanc, ensuite à utiliser la politique du frein à main parce que ces demi-soldes disposaient d’un allié à la tête du gouvernement et, enfin, à la pratique du «coup d’Etat».
Dans son analyse, Khalida Toumi estime que si les deux premières ont échoué totalement, la troisième a failli donner des fruits. Ou, plus exactement, elle a fonctionné, même si les instigateurs ont obtenu la moitié de ce qu’ils escomptaient avoir.
Elle dit connaître, et peut en témoigner tout autant que plusieurs ministres, celui qui ne voulait pas entendre parler de réforme du système éducatif, qui ne voulait pas qu’on écrive une seule phrase sur la révision du code de la famille.
Alors, concernant l’affaire Khalifa, on disait : «Il n’y a pas de quoi fouetter un chat.» Elle reprend textuellement la réplique de l’ex-chef de gouvernement. «Le fait que cela ait marché à moitié seulement, heureusement, a montré la nature de notre régime et de notre Etat.
Je dis heureusement parce que, quand on pratique la stratégie du «frein à main», c’est la nation qui est perdante. Ce que je lisais dans notre presse nationale – que je salue – à cette époque, c’est que tout ce que faisait le chef de gouvernement était bien mais pas ce que faisait le Président.
Or, le programme du gouvernement était celui du Président : c’est un régime présidentiel. C’est ce que j’ai appelé, moi, l’époque du méchant roi et des charmants vizirs, surtout le premier d’entre eux. Je vous cite l’exemple du dossier du système éducatif : quand c’était le premier vizir qui en parlait, quand cela lui arrivait, c’était bien, et un pas vers l’évolution, mais quand c’était le Président, c’était 0 sur 20, et on développait tous les discours négatifs possibles.
Là on est sorti de la schizophrénie du méchant roi. A partir de mai 2003, tous les vizirs sont méchants et surtout leur roi. Qualitativement et historiquement, c’est plus simple pour le citoyen. Jusqu’en mai 2003 le Président était mauvais, alors que son premier vizir était bien ; de quoi rendre l’Algérien schizophrène.
Après cette date, un jeune Algérien ou une jeune Algérienne retrouveraient leurs repères et c’est plus cohérent. Pour la santé mentale des Algériens, c’est mieux ainsi ; c’est pour cela que je dis qu’elle a échoué à 50 %. Quand on «gouverne» à partir des salons, cela est une chose extraordinaire, parce qu’on a tous les avantages du pouvoir sans les inconvénients.
Donc, la première stratégie le poussant à rendre le tablier a échoué ; la seconde, celle du frein à main également ; maintenant, on passe à une autre stratégie, «je joue, je gagne ou je casse tout ; ce n’est pas faire le trouble-fête, mais «je joue et il faut que je gagne, sinon je casse tout», c’est-à-dire le coup d’Etat.
Toutefois, Mme Toumi trouve à ces manœuvres quelque chose de positif dans la mesure où il y a une meilleure visibilité. «Maintenant, le peuple algérien sait pour qui travaille qui, parce que c’est clair. Moi je ne suis pas malheureuse d’ouvrir la presse nationale et d’y trouver quelques titres qui dépassent les bornes.
Je me dis, à leur façon, ils contribuent à la décantation permettant à la population de comprendre», s’explique-t-elle. Dans son évaluation des deux dernières décennies, celles ayant succédé à l’ouverture démocratique, Khalida est sévère aussi bien envers elle-même qu’envers ses «homologues» de la classe politique.
Les foudres que lui ont values ses déclarations en 2001 ne semblent en rien ébranler ses certitudes. Elle persiste à dire que les gens de sa génération, aussi bien dans la classe politique que dans le mouvement associatif, ont échoué dans l’encadrement de la société.
Elle en veut pour preuve la montée vertigineuse du mouvement citoyen qui est venu non seulement pour désavouer le pouvoir en place mais aussi la classe politique. Les agitations sur la scène politique, depuis l’arrivée de Bouteflika, elle les explique par le fait que, non seulement beaucoup se sont habitués à diriger le pays à partir des salons, à travers leurs «pantins», mais aussi parce qu’ils se sont adaptés à vivre en l’absence de l’Etat.
«Tout le monde parlait à l’extérieur, au nom de l’Algérie. Nous n’avions pas de voix officielle», dit-elle. Et son jugement et sans complaisance quand elle évoque les deux pôles qui se sont disputé l’échiquier politique en Algérie : les islamistes et les démocrates.
Les deux ont échoué parce qu’ils ont péché par manque de compréhension profonde de la société algérienne, avec ses spécificités et sa diversité. Néanmoins, les évolutions constatées sur la scène politique depuis 1999, autrement dit depuis l’arrivée de Bouteflika, ont permis, selon elle, «une remise en cause» forcée qui nous mènera vers une refondation.
«Nous sommes en train de vivre une vraie recomposition de la scène politique. Il y a cinq ans, qui aurait dit qu’Amara Benyounès serait dans la même tranchée que le RND et le MSP, et que Wafa de Taleb-Ibrahim, le FLN, El-Islah et le RCD seraient [ensemble] dans une autre tranchée.
C’est une vraie recomposition politique qui n’est pas faite sur la base de considérations artificielles, mais plutôt fondamentales que sont les élections présidentielles, c’est-à-dire la gestion du pays au plus haut niveau», relève-t-elle avec une note d’optimisme.
Cet optimisme est aussi de mise quand on aborde la question de l’ouverture de l’audiovisuel. Elle dit avoir tout simplement ses références en la matière. «On parle de choses claires qui existent. Les modèles dans le monde sont trois.
Il y en a pas quatre. Il n’y en a pas cinq. Il y a le modèle du parti unique que nous avons vécu jusqu’en 1990, qui existe actuellement dans quelques rares pays. Il n’y a le modèle tout privé et la caricature est en Italie, malgré l’affection profonde que j’éprouve pour l’Italie et les Italiens.
Dans ce pays, vous avez un magnat du foot et de la finance qui détient tous les systèmes de communication. Et je sais que beaucoup de professionnels des médias ne sont pas d’accord sur ce modèle. Même en Europe, il y a un débat sur la question pour trouver les moyens de s’en sortir.
Nous avons l’autre modèle qui est à la fois les médias publics et privés mais où il y a un consensus sur la primauté de la notion de service public. Je crois que c’est ce qui représente le mieux le système de l’audiovisuel. Si l’on me demande, à moi, mon modèle dans le pré-avant-projet que j’ai élaboré d’ailleurs avec les professionnels, c’est le modèle anglo-saxon, à l’image de BBC parce que j’ai des convictions et des choix politiques.
J’ai peut-être tort, mais ce sont mes choix.» La ministre de la Communication déclare qu’il y a trois secteurs qu’il ne faut jamais, insiste-t-elle, laisser aux forces de l’argent : la santé, l’école et la communication. «Parce que les inégalités, au bout d’un certain temps, vous ne pouvez plus les réduire.
La preuve, en Italie, un monsieur avec son argent détient pratiquement tout le champ de l’audiovisuel. Qui a pu faire quelque chose face aux forces de l’argent ? D’autant plus que, dans ce domaine, l’argent appelle l’argent. Donc, je défendrai le modèle anglo-saxon pour la communication et le modèle français pour la culture, c’est-à-dire, qu’il faut que l’Etat garantisse à un maximum d’Algériens un SMIG commun culturel.
Je suis partisane pour empêcher le tout-argent. Je ne vous apprends rien quand je vous dis que le cas Khalifa News est un cas d’école. Son chef est recherché par la police algérienne et par Interpol. Il ouvre sa chaîne avec quel argent ? Forcément l’argent sale.
De surcroît, il participe à une campagne électorale ; tout cela avec l’argent sale», étaye-t-elle. Qui a cette facilité d’avoir de l’argent dans des sacs poubelles à ce point, s’interroge Mme Toumi, sans pour autant nous donner la réponse, mais tout en appuyant sur la nécessité de préserver ce secteur de l’argent douteux.
«Si nous voulons avoir un champ audiovisuel dominé par les seules forces de l’argent et de l’argent sale – il faut appeler les choses par leur nom – alors oui, ouvrons n’importe comment. Maintenant, si nous voulons une ouverture pour garantir des libertés, pour ouvrir des espaces d’expression, nous sommes obligés d’exclure les forces de l’argent sale.
Pour cela, il faut refaire les cahiers des charges généraux. On refait des statuts, on balise tout. Est-ce que vous trouvez normal qu’un «djouadj» qui a beaucoup d’argent ouvre un journal ? Je trouve scandaleux qu’on ne permette pas à n’importe qui d’ouvrir un cabinet médical ou d’avocat et qu’on permette au premier venu d’éditer un journal.» Mais en attendant de s’attaquer à ce dossier épineux en lui balisant le terrain, la ministre classe comme première priorité sur ses tablettes la révision de la loi sur l’information.
«La première chose à faire est de commencer par changer la loi sur l’information qui date de 1990. Cette dernière est un ensemble de contradictions incroyables. En 1990, la dissolution du ministère a signifié l’éparpillement des moyens du ministère, dont les centres culturels, qui sont passés sous la tutelle du ministère de la Jeunesse et des Sports et qui le demeurent.
Par la suite, on est passé par les conseils supérieurs. Les radios et la télévision avaient pour tutelle le conseil supérieur de la communication, mais qui n’avait pas de prérogatives puisque c’était un organe de régulation. Pour une simple accréditation de journaliste étranger, la demande atterrissait sur le bureau du chef du gouvernement.
En 1993, le conseil supérieur a été dissous par décision du HCE. Il a été décidé de transférer les biens et les moyens mais pas les prérogatives. Ce qui a fait que le ministère qui, à sa dissolution, comptait environ 250 travailleurs en 1993, s’est retrouvé avec plus de 570 employés, sans les prérogatives.
Cela est écrit noir sur blanc sur l’ordonnance. Aujourd’hui, nous nous retrouvons dans la situation suivante : la loi sur l’information, dans tout ce qui est organes audiovisuels et même presse publique et le domaine de l’édition, parle de haut conseil […].
Or, ce conseil n’existe pas. Les cahiers des charges généraux de la télévision et de la radio et du TDA ont été recopiés intégralement des textes français. Dans la loi actuelle, on parle de loi sur l’audiovisuel, de loi sur le sondage et d’une autre sur la publicité.
Aucune de ces lois n’a vu le jour. Donc, pour toutes ces raisons, il faut changer cette loi et passer aux lois subséquentes», ajoute-t-elle. La première responsable n’exonère pas totalement l’unique, considérant qu’elle pouvait, parallèlement, mettre en place des espaces comme à la radio.
«Il faut être juste. Moi, je n’ai pas de problème avec les personnes. Cela aurait pu se faire, à condition de restructurer la télé comme entreprise. C’est une EPIC stratégique. La radio, ce sont trois chaînes nationales et 29 stations régionales.
Commençons d’abord par créer des chaînes régionales publiques. Rendons autonomes les deux chaînes nationales. Mais pour tout cela il faut de l’argent.» Mais, elle reconnaît en toute sincérité que cela n’était pas la priorité du gouvernement ou du Président.
«Et je les comprends», lâche-t-elle. «Il ne faut pas oublier que nous avons eu trois catastrophes naturelles qui ont mobilisé beaucoup d’argent. Je conclut en disant que l’ouverture est inéluctable. Il ne s’agit pas de trancher la question mais de savoir comment le faire.
Mon choix, qui recoupe totalement celui du président de la République, est d’éloigner l’argent sale. Pour nous, il s’agit d’assumer une responsabilité, de préserver le service public et la salubrité publique.» A cette occasion, elle dément catégoriquement les «spéculations» faisant état de la mobilisation de l’argent du fonds d’aide à la presse écrite au profit de journaux faisant campagne pour Bouteflika.
«Le fonds d’aide à la presse écrite n’a jamais été actionné. Le décret et l’arrêté interministériel règlent ces points. L’arrêté interministériel qui date de mai 2000 stipule que la première chose qu’il doit traiter est le logement sécuritaire.
C’est-à-dire que l’argent, géré par une commission, doit aller aux logements sécuritaires. Je vous annonce que si cet argent va au logement sécuritaire, il restera zéro centime dans les caisses. Personnellement, j’ai trouvé cela très injuste pour la presse écrite.
Mais il n’y a pas que les journalistes de la presse écrite si cet argent est appelé à payer le logement sécuritaire. Dans le décret, on nous dit à quoi doit servir cet argent : la formation des journalistes, la diffusion, l’impression, l’équipement en certains matériels importants, mais à aucun moment, on ne parle d’aide au logement.
Cela ne veut pas dire que les journalistes n’ont pas besoin de logements, mais pas dans ce chapitre. Donc, j’ai commencé à me battre pour faire annuler l’arrêté interministériel de mai 2000, ce qui a été fait juste avant le début de la campagne électorale.» La ministre de la Communication nous apprend que le nouvel arrêté a été bel et bien cosigné par le ministre des Finances et elle-même.
La commission s’est réunie et le dossier a été envoyé. «Surtout qu’on ne vienne pas parler de ce fonds de la presse, particulièrement quand il s’agit de personnes qui étaient à la tête du gouvernement et qui avaient la latitude de l’actionner ou de le faire actionner.
Cela n’a pas été fait. 80 % du travail a été fait et nous attendons la fin des élections pour le terminer. Si on est toujours là on le parachèvera, sinon c’est au successeur de prendre le relais», conclut-elle. N. B.