L’élection présidentielle en Algérie tourne au duel fratricide

L’élection présidentielle en Algérie tourne au duel fratricide

Le Monde, 8 avril 2004


Dix-huit millions d’électeurs algériens sont appelés à voter, jeudi 8 avril, pour désigner leur président. Abdelaziz Bouteflika, élu en 1999, brigue un deuxième mandat. Il a à son actif une nette amélioration de la situation sécuritaire après dix ans de « sale guerre ». Il est sévèrement concurrencé par son ancien proche et chef de gouvernement, Ali Benflis. Au terme d’une campagne relativement ouverte, les observateurs n’excluaient pas un deuxième tour. L’armée a affiché pour la première fois sa neutralité, même si l’administration a été mobilisée au profit du président sortant.

Dix-huit millions d’électeurs, pour 32 millions d’habitants, sont appelés aux urnes, jeudi 8 avril, pour une élection présidentielle marquée par un duel fratricide entre le président sortant, Abdelaziz Bouteflika, 67 ans, et son ancien homme de confiance, Ali Benflis, 59 ans. Les deux candidats sont issus du FLN (Front de libération nationale). Majoritaire à l’Assemblée nationale, l’ex-parti unique est déchiré depuis un an entre les partisans du secrétaire général du parti, Ali Benflis, et ceux qui soutiennent le chef de l’Etat dans sa quête d’un second mandat.

Quatre autres candidats sont en lice : Saïd Saadi, président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, kabyle), surtout implanté en Kabylie et à Alger. L’islamiste à la phraséologie radicale, Abdallah Djaballah, président d’El Islah, dont les partisans se comptent dans l’Est. Louisa Hanoune, porte-parole du Parti des travailleurs (PT), sans véritable ancrage populaire mais dont le discours trouve un écho chez les déshérités. Et enfin Ali Fawzi Rebaïne, président d’un parti nationaliste inconnu du public, Ahd 54 (Serment de 54, en référence à la date du déclenchement de la guerre d’Algérie).

Il s’agit de la troisième élection présidentielle pluraliste de l’Algérie, après celle de 1995 remportée par le général Liamine Zeroual et celle de 1999 gagnée par Abdelaziz Bouteflika. Dans les deux cas, le vainqueur avait bénéficié d’un « coup de pouce » de l’armée et de l’administration, au point que, en 1999, les adversaires du candidat Bouteflika s’étaient retirés de la compétition, à la veille de l’élection, pour protester contre une « fraude massive ». Ali Benflis était alors le directeur de campagne d’Abdelaziz Bouteflika.

Cette fois, le scrutin est ouvert, du moins en principe, en raison de la neutralité affichée de l’armée. A plusieurs reprises, le général Mohamed Lamari, le chef d’état-major, a déclaré que l’armée n’interviendrait pas dans cette élection. Le retrait soudain du commandement militaire ne s’est toutefois pas accompagné du désengagement de l’administration. Où est l’impartialité, soulignent les adversaires du président sortant, quand les finances, la justice et le ministère de l’intérieur sont au seul service du chef de l’Etat ? A tous les appels lancés dans sa direction – car elle serait la seule capable de pouvoir garantir, sur le terrain, la neutralité de l’administration -, l’armée a fait la sourde oreille.

Aussi, avant même l’ouverture de la campagne électorale, le 18 mars, beaucoup étaient convaincus que les jeux étaient faits. Après que le président Bouteflika eut mené sur le terrain une précampagne électorale active, deux de ses rivaux se sont vus éliminés de la compétition par le Conseil constitutionnel. Ahmed Taleb Ibrahimi, leader du parti Wafa (non agréé), était son principal rival en 1999. Fort du prestige de son père, une personnalité religieuse, ce médecin de formation, de la même génération que le président Bouteflika, aurait pu capitaliser des voix islamistes. L’autre candidat écarté est l’ancien chef de gouvernement Sid Ahmed Ghozali, secrétaire général du Front démocratique (non agréé), qui est originaire de l’Ouest, le fief du chef de l’Etat.

L’ÉQUILIBRE DES FORCES

Les trois semaines de la campagne électorale, ajoutées à un certain nombre d’imprévus, dont l’irruption dans le débat politique de la chaîne de télévision KTV News (du milliardaire déchu Abdelmoumen Khalifa), ont, en réalité, redonné des chances à Ali Benflis. A la surprise générale, le secrétaire général du FLN a reçu le soutien des deux exclus de la compétition électorale, Ahmed Taleb Ibrahimi et Sid Ahmed Ghozali, ce qui rééquilibre un peu les forces en présence.

Abdelaziz Bouteflika bénéficie, pour sa part, du soutien du RND (Rassemblement national démocratique) du chef du gouvernement Ahmed Ouyahia, ainsi que du parti islamiste modéré MSP (Mouvement de la société pour la paix, ex-Hamas) et des contestataires du FLN, appelés les « redresseurs ».

Si le président Bouteflika dispose d’une longueur d’avance sur son principal rival, un second tour n’est pourtant pas exclu. Dans ce cas, la réelection du président sortant apparait incertaine, le report des voix devant plutôt bénéficier à M. Benflis. C’est pourquoi le taux de participation est un enjeu majeur.

Indifférente à cette élection il y a quelques mois, la population semble s’être prise au jeu au fur et à mesure que l’échéance du 8 avril se rapprochait même si l’homme de la rue ne paraît pas faire de différence entre Abdelaziz Bouteflika et Ali Benflis. L’électeur ne croit plus à l’homme providentiel.

Outre son aura de rais (le chef), M. Bouteflika bénéficie de l’amélioration de la situation sécuritaire et du retour de l’Algérie sur la scène internationale. Pour l’heure, la lenteur ou l’échec des réformes semblent oubliés. Ali Benflis, lui, bénéficie de sa réputation d’homme intègre. Il veut symboliser la nouvelle génération et se réclame du changement. A son passif : le fait qu’il ait été le compagnon de route d’Abdelaziz Bouteflika de 1999 à 2003, en particulier son chef de gouvernement, avant d’entrer en guerre avec celui qui l’avait fait vice-roi.

Florence Beaugé