Betchine sort de sa réserve

Le général à la retraite au Quotidien d’Oran

Betchine sort de sa réserve

Propos Recueillis Par Mohamed Salah Boureni, Le Quotidien d’Oran, 5 avril 2004

– Le Quotidien d’Oran: Depuis votre retrait de la vie politique, vous avez toujours fui les médias, refusant les demandes d’interview et préférant garder le silence sur les questions politiques. Qu’est-ce qui a décidé Mohamed Betchine à réapparaître dans la conjoncture actuelle marquée par les élections présidentielles ?

– Mohamed Betchine: Lorsqu’on arrive à un certain âge, on doit être sage. Cette sagesse me dicte d’éviter de me donner en spectacle et d’avoir plutôt de la retenue. Lorsque certains médias m’ont sollicité, j’ai répondu. Je réapparais aujourd’hui et plus particulièrement dans cette conjoncture, car, en tant que citoyen jaloux de son pays et fier d’appartenir à la nation algérienne, je ne peux rester indifférent. Les élections me concernent à plus d’un titre. En tant que citoyen père de famille, mais aussi en tant que politique et en tant que général à la retraite.

– Q. O. : Vous avez eu à souffrir d’une campagne de politique et de presse d’une rare violence contre vous entre 1996 et 1997, alors que vous étiez dans le cabinet présidentiel. Vous n’avez jamais réagi, ni expliqué quelles étaient les raisons de la démission de votre ami, Liamine Zeroual, de la présidence. Pouvez-vous le dire aujourd’hui ?

– M. B. : La campagne engagée contre ma personne a commencé publiquement en 1997. Je n’ai pas réagi à cette campagne parce qu’il me fallait en connaître les tenants et les aboutissants. Et puis, en tant que ministre conseiller auprès du président de la République, je devais m’astreindre à l’obligation de réserve. Mais lorsque j’ai démissionné en octobre 1998, et donc libéré de cette obligation de réserve, j’ai réagi, peut-être tardivement aux yeux de certains, mais je l’ai fait médiatiquement et judiciairement. Je n’ai pas réagi et expliqué la démission de mon ami Liamine Zeroual, parce que celui-ci en a lui-même donné les raisons. Celles d’instaurer l’alternance au pouvoir dans le pays. Il est président de la République et souverain dans la prise de décision.

– Q. O. : On vous a vu parmi les invités de marque du président Bouteflika à Constantine. Est-ce que cela suppose que vous soutenez la candidature du président Bouteflika, et si oui, pourquoi ?

– M. B. : Si j’étais présent au meeting de Abdelaziz Bouteflika à Constantine, parmi ses invités de marque, c’est que je soutiens sa candidature aux élections présidentielles. Je suis convaincu de mon choix.

– Q. O. : On a vu l’ancien président Zeroual donner l’accolade au candidat Benflis à Batna. Vous qui connaissez parfaitement Zeroual, qu’est-ce qui motive son choix, selon vous ?

– M. B. : Liamine Zeroual a toujours reçu Ali Benflis. Benflis ou quelqu’un d’autre. C’est aux médias d’aller poser la question à Liamine Zeroual.

– Q. O. : Vous êtes un ancien militaire de haut rang et vous connaissez parfaitement l’institution. Qu’est-ce que cela vous a inspiré lorsque l’ANP, par la voix de l’état-major, Mohamed Lamari, a prôné la neutralité de l’armée pour les élections de 2004 ?

– M. B. : Sans interférer dans les affaires de l’institution militaire, je dirai que la neutralité de l’armée prônée par le chef de l’état-major de l’ANP se concrétise dans les faits. D’ailleurs, tout le monde peut le constater, au premier chef les candidats à la présidentielle.

– Q. O. : Que pensez-vous des analyses qui présentent la présidence de la République et l’armée en conflit permanent, du moment que ce sont les mêmes analyses qui avaient été faites lorsque le président Zeroual et vous-même étiez à la présidence ?

– M. B. : C’est aux analystes d’apporter les preuves de ce qu’ils avancent. Libre à eux de donner les lectures qu’ils veulent.

– Q. O. : Quel est votre sentiment sur les généraux à la retraite qui ont investi le champ politique, souvent pour critiquer ouvertement le président Bouteflika. Est-ce un signe de bonne santé démocratique ou l’inverse ?

– M. B. : Les généraux à la retraite sont des citoyens d’abord, mais aussi des hommes politiques libérés de l’obligation de réserve. Je considère que cela dénote de la bonne santé du processus démocratique amorcé par le pays.

– Q. O. : Qu’est-ce que vous avez fait personnellement depuis 1998 ? Etes-vous resté actif en politique, du moment que certains observateurs indiquent que vous receviez beaucoup d’émissaires qui tentaient d’avoir votre soutien, notamment des candidats à la présidentielle ?

– M. B. : Je m’occupais personnellement des affaires familiales que j’avais abandonnées à une certaine époque pour me consacrer au devoir national. Je n’ai reçu aucun émissaire mais je reçois régulièrement des amis.

– Q. O. : Qu’est-ce que vous pensez de l’évolution du RND version Ouyahia, alors que vous étiez quasiment le patron de ce parti lors de sa création ?

– M. B. : Je n’ai jamais été le patron du RND. J’étais par contre le fondateur de ce parti avec le regretté Abdelhak Benhamouda et j’étais membre de son conseil national. Quant à l’évolution du parti, celui-ci a réussi à s’imposer sur l’échiquier politique. Il a prouvé sa maturité politique, étant donné qu’il a réussi à transcender ses crises de croissance.

– Q. O. : Une formule a été consacrée en politique en se revendiquant «betchinien», comme l’ont fait plusieurs personnalités nationales et de hauts cadres de l’Etat. Est-ce un courant ou un clan ?

– M. B. : On a plutôt consacré la formule «betchinien» pour mieux éliminer d’abord et casser ensuite de nombreux cadres gênants à différents niveaux de responsabilité. Dans votre question, vous parlez de courant ou de clan. Ce n’est ni un courant ni un clan. C’est un subterfuge usité par certains.

– Q. O. : Entendez-vous par subterfuge la «débetchinisation», un terme en vogue après votre démission ?

– M. B. : Effectivement, c’est de cette campagne que je parle et qui s’inscrivait dans le sillage du battage médiatique mené contre ma personne.

– Q. O. : Vous êtes une des personnalités les plus influentes dans le Constantinois. Comment va voter cette région ? Et croyez-vous qu’on se dirige vers une élection à deux tours au niveau national ?

– M. B. : Il ne m’appartient pas de répondre à cette question, encore moins du vote des citoyens. Cependant, je considère que la campagne électorale donne un aperçu positif quant à l’avenir démocratique du pays.