Financement des campagnes électorales des partis politiques

Financement des campagnes électorales des partis politiques

Les candidats tributaires de «généreux donateurs»

El Watan, 3 décembre 2012

Aujourd’hui, les leaders de certains partis à l’image de Moussa Touati, président du Front national algérien, parlent carrément de campagne financée à l’aide «de l’argent blanchi», dans une déclaration à El Watan Economie.

Certains hommes d’affaires ont clairement reconnu leur réticence à financer des partis leur reprochant le côté «occulte» qui entoure globalement leur financement. A la veille des dernières législatives, beaucoup d’encre a coulé sur les partis qui ont vendu des positions sur leurs listes en contrepartie de financement.
Car en l’absence d’une aide de l’Etat, les partis ont grandement besoin de trouver des ressources alternatives à l’interne ou à l’externe. M. Touati évoque le cas de partis «financés par l’étranger», toutefois aucune preuve n’étaye ces propos qui ont par ailleurs été formulés par d’autres leaders politiques.

A la veille des législatives de mai dernier, la représentante du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune, a pointé du doigt les formations islamistes dont certains dirigeants avaient visité le Qatar et la Turquie. Elle avait d’ailleurs plaidé pour «un contrôle des dépenses des partis pour identifier leurs sources de financement».
La campagne pour les élections locales qui vient de s’achever repose, à un degré moindre, la même problématique des sources de financement. Moins coûteuse que la campagne pour les législatives, nous dit-on au niveau des partis, elle n’en reste pas moins source de tracas pour les candidats.

La main à la poche

Au niveau des partis islamistes, on se veut très clair à ce sujet. Une source proche de l’Alliance verte précise que le financement est tout ce qu’il y a de plus «réglementaire». Pour la campagne des locales, «les candidats ont pris en charge leurs dépenses» auxquelles il faut ajouter «les dons et les contributions faits au nom de nos formations par des militants et des sympathisants». Le financement de l’étranger pour les partis islamistes, «n’a pas de sens», car de toute manière «nous faisons en sorte d’être conformes à la loi en contrôlant la provenance des dons que nous recevons».

Le président du FNA avait estimé le coût d’une campagne pour les législatives pour un parti qui serait présent sur 48 wilayas, «entre 6 et 7 milliards de centimes dont 3 pour l’affichage et 3 pour le transport». Pour la campagne des locales, on se situerait «entre 1 et 3 milliards de centimes pour 509 listes communales et 39 de wilaya», révèle-t-il. L’Etat «n’a jamais donné aucun sous», conséquence : «Les bureaux du parti au niveau des wilayas se sont occupés du financement et ce sont les candidats eux-mêmes qui ont dépensé pour leur campagne.»

A l’intérieur du pays, les candidats mettent également la main à la poche, mais les besoins sont beaucoup plus modestes. Un candidat d’un grand parti politique concourant pour l’APW de Djelfa estime que le coût ne dépasse pas les «100 millions de centimes pour les affiches et les banderoles. Les candidats ont dû débourser entre 10 000 et 20 000 DA chacun. Plus les listes sont étoffées, moins les contributions sont élevées». Par ailleurs, pour le reste des dépenses : le transport, les repas, les salles pour les meetings, ils sont assurés par «la famille, les amis et les relations des candidats car ils sont parfois commerçants, maquignons, éleveurs de bétails, etc.».

A défaut de subvention étatique donc, «les financements viennent de candidats, bénévoles, sponsors, adhérents, sympathisants», reconnaît pour sa part, Benallou Toufik, secrétaire général chargé de la communication au sein du parti Ahd 54. Il y a, dit-il, «autonomie au sein des listes au niveau des communes et wilayas, mais le financement se fait selon la réglementation en vigueur». A partir du moment où la loi «n’interdit par les donations», le parti ne s’en prive pas. Quant à savoir qui sont ces généreux donateurs, M. Benallou précise que les dons «se font à titre privé, personnel, et non au titre d’une entité morale», ce qui est d’ailleurs stipulé dans la loi. Toutefois, pour connaître le coût de cette campagne pour les locales, il faudra attendre «le bilan moral et financier» du parti.
En tout état de cause, quelles que soient les affirmations des uns et des autres et en l’absence d’un contrôle étatique aussi bien qu’une publication des finances des partis, le problème de l’origine de financement des partis politiques n’a pas fini d’être posé à chaque nouvelle échéance électorale.

Safia Berkouk


Partis, campagnes, financement : les restrictions de la loi

Deux textes de loi adoptés en 2012 ont traité de la question du financement des partis politiques et des campagnes électorales.

D’abord, la loi organique n°12-04 relative aux partis politiques clarifie dans ses articles 54 à 59 les conditions qui président au financement des formations politiques. Ces dernières peuvent «recevoir des dons, legs et libéralités d’origine nationale» qui «ne peuvent provenir que de personnes physiques identifiées». En outre, «ils ne peuvent excéder trois cents fois Ie salaire national minimum garanti, par donation et par an».

En revanche, il est strictement «interdit au parti politique de recevoir directement ou indirectement un soutien financier ou matériel d’une quelconque partie étrangère, a quelque titre ou forme que ce soit». La loi précise également que les partis peuvent «disposer de revenus liés à leur activité et résultant d’investissements non commerciaux», mais il leur est interdit d’exercer toute activité commerciale. Quant aux aides financières de l’Etat, il se fait selon «le nombre de sièges obtenus au Parlement et le nombre de ses élus dans les assemblées». Ces aides «éventuelles» peuvent par ailleurs être soumises à un «contrôle sur l’usage qui en est fait».

Le second texte publié cette année est la loi 12-01 relative au régime électoral qui précise les trois sources de financement autorisées pour les campagnes électorales, à savoir «la contribution des partis politiques, l’aide éventuelle de l’Etat, accordée équitablement et les revenus du candidat». Comme pour les partis, la loi interdit, à tout candidat à une élection à un mandat national ou local, de recevoir «d’une manière directe ou indirecte, des dons en espèces, en nature ou toute autre contribution, quelle qu’en soit la forme, émanant d’un Etat étranger ou d’une personne physique ou morale de nationalité étrangère».

Seuls les dépenses de campagne pour les listes de candidats aux élections législatives sont plafonnées à un million de dinars par candidat. Il est également fait mention d’un remboursement de 25% des dépenses réellement engagées et dans la limite du plafond autorisé pour les listes ayant recueilli au moins 20% des suffrages exprimés. En revanche aucune précision de ce gendre n’existe pour les campagnes des élections locales.
Safia Berkouk


Pr Rachid Tlemçani, enseignant-chercheur à la faculté de sciences politiques de l’université Alger III

«Le système de prébendes alimente les caisses noires des partis politiques»

-En matière de financement des partis politiques, la loi existante assure-t-elle le principe d’équité entre les différents candidats ?

Le financement des partis politiques, spécialement en période électorale, est régi par une législation précise que l’on trouve d’ailleurs dans tous les pays. Les Algériens, très prolixes en matière de réglementation, n’ont pas fait preuve d’ijtihad (exégèse) dans ce domaine. Pour assurer le principe d’équité entre les différents candidats, la législation électorale exige un contrôle strict du financement des partis politiques. Plus on dépense lors de la campagne électorale, plus on augmente les chances de remporter une victoire électorale. Pour revenir à la législation algérienne, l’article 33 de la loi sur les partis politiques stipule que toute formation peut bénéficier d’une aide financière publique, son montant est fixé en fonction du nombre des sièges obtenus à l’Assemblée populaire nationale. Comme autre source, notons l’article 29 de la loi organique relative aux partis politiques.

Cet article prévoit qu’un parti peut recevoir des dons, legs et générosités d’origine nationale. Ces ressources doivent faire l’objet d’une déclaration au ministre de l’Intérieur. Cette déclaration doit préciser leur source, leurs auteurs et leur valeur. Comme autre ressource de financement, notons les cotisations des militants, elle varie de 200 à 400 DA par an. Pratiquement, toutes ces ressources financières réunies ne représentent pas une grande somme d’argent. Au regard du train de vie du leadership des partis qui n’est pas à envier à celui à de la nomenklatura, il est très clair qu’un financement occulte existe quelque part. Le système de prébendes alimente les caisses noires des partis politiques. Un parti politique qui marche bien est comme une PME évoluant en économie souterraine, une économie de bazar.

-Les islamistes sont souvent accusés de recevoir des subventions de l’étranger. Il semble que les Etats du Golfe financent le Printemps arabe ?

La secrétaire générale du Parti des travailleurs a suscité la controverse en laissant entendre que des partis islamistes auraient reçu un soutien financier du Qatar et de la Turquie. Lors d’une réunion du parti, Louisa Hanoune s’était interrogée sur les raisons qui ont poussé les partis de l’Alliance verte à se rendre au Qatar et en Turquie avant la tenue des législatives du 10 mai 2012. Un membre de la direction du RND a également affirmé que les islamistes algériens reçoivent des subventions de l’étranger. Mais les pouvoirs publics ne réagissent pas à ces graves allégations. Mais ce qui est sûr c’est que les partis de la mouvance islamiste sont plus « à l’aise» financièrement que les autres partis.

Leurs campagnes électorales, de type «hollywoodienne», indiquent clairement que les générosités des bienfaiteurs ne couvrent pas la totalité des frais publicitaires et le budget de fonctionnement de ces partis. Autrement, il serait très difficile de comprendre la montée fulgurante des islamistes en Tunisie, au Maroc, en Egypte et ailleurs. Le financement du Qatar et de l’Arabie Saoudite lors du Printemps arabe n’est pas un secret de Polichinelle. Auparavant, les islamistes algériens, notamment l’ex-FIS ont bénéficié des largesses saoudiennes. Les experts sont unanimes sur cette question précise. Mais là où ils ne sont pas d’accord, c’est lorsqu’il s’agit du financement provenant des Etats-Unis et des pays européens. Ce soutien n’est pas en réalité récent. Dans les années 1980, les Américains ont armé les talibans pour «libérer» l’Afghanistan de l’occupation soviétique. Le soutien à l’islamisme dit modéré est devenu un élément doctrinal de la politique extérieure américaine au lendemain des attentats du 11 septembre 2001.

-Quelles sont les limites au financement privé aux termes de la loi ?

Sur cette question, la législation n’est pas très précise. Mais elle limite le financement exclusivement aux ressources nationales. Elle est très sévère en matière de financement extérieur. Tout parti qui sollicite un financement de l’étranger s’expose à de sévères sanctions. Selon l’article 56, «il est interdit à un parti politique de recevoir directement ou indirectement un soutien financier ou matériel d’une quelconque partie étrangère, à quelque titre ou forme que ce soit». Ces dispositions sont reprises dans la loi organique sur les élections. L’article 204 précise qu’«il est interdit à tout candidat à une élection à un mandat national ou local de recevoir d’une manière directe ou indirecte des dons en espèces, en nature ou toute autre contribution, quelle qu’en soit la forme, émanant d’un Etat étranger ou d’une personne physique ou morale de nationalité étrangère». L’article 231 précise que «quiconque enfreint les dispositions visées à l’article 204 de la présente loi organique est puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans, et d’une amende de 2000 à 20 000 dinars algériens». Les institutions en charge de l’application de la loi ont-elles fonctionné lors des élections, locales, législatives, voire présidentielles ?

-Quels sont les mécanismes de traçabilité des financements particulièrement pendant la période électorale?

La traçabilité des ressources financières ainsi que le contrôle de gestion des partis politiques sont réglementés. Il est imposé aux dirigeants des partis de «présenter des comptes annuels au ministre chargé de l’Intérieur, avant la fin du mois de mars de l’année qui suit et de justifier à tout moment de la provenance de ses ressources financières et de leur utilisation». Actuellement, aucun parti politique n’a publié l’état des finances. La plupart des partis n’ont pas de comptabilité rigoureuse. Les partis politiques à l’image des entreprises économiques privées ne maintiennent pas une comptabilité transparente. L’Algérie est toujours dans le pré-politique. La nomination de gestionnaires électoraux chargés du contrôle pourrait contribuer à la transparence et la traçabilité des financements des partis politiques. Mais qui contrôle qui ?

Safia Berkouk