Djaballah: «Le retard n’arrange pas la réconciliation»

TEXTES D’APPLICATION DE LA CHARTE POUR LA PAIX

Djaballah: «Le retard n’arrange pas la réconciliation»

L’Expression, 17 novembre 2005

Dans cet entretien, le président du mouvement El Islah, Saâd Abdallah Djaballah estime que le retard dans la promulgation des lois sur la charte pour la paix et la réconciliation nationale ne sert pas les objectifs de la charte. Sur le dossier de la crise de Kabylie, M. Djaballah estime que «le gouvernement continue à mal gérer la question». S’agissant de la crise qu’a traversée son parti, le leader du mouvement El Islah déclare que «celui qui respecte le règlement intérieur du mouvement et l’institution légitime du parti, il est du mouvement et peut y réadhérer». Sur la question de la révision constitutionnelle, Djaballah indique que «nous nous sommes mis d’accord sur l’idée mais pas sur l’objectif, les sujets et la manière de l’amendement».

L’Expression: A une semaine des élections partielles, pouvez-vous nous faire le point sur votre participation?
Abdallah Djaballah: Nous étions depuis le début contre l’idée de l’organisation de ces partielles maintenant. Notre volonté était de reporter la date de ces partielles pour organiser des élections générales à l’échelle nationale, chose qui préservera l’unité nationale. Mais, quand le gouvernement avait insisté sur cette question et avait décidé de leur tenue, les militants du mouvement El Islah avaient exprimé leur intention et leur volonté d’y participer et nous leur avons donné notre accord. Le parti n’est présent que dans trois wilayas à savoir Béjaïa, Laghouat et Bouira, une participation qui n’est pas vraiment importante. Nous ne leur avons pas donné l’intérêt qu’elles méritent.

Quelles sont vos chances de conquérir des sièges au sein des assemblées locales?
Nous avons laissé nos militants préparer la stratégie et le programme de campagne. Ce que nous souhaitons, c’est l’organisation dans la transparence totale de ces partielles et que la volonté des élus soit respectée. Ensuite, quel que soit le résultat, nous l’accepterons.

Pensez-vous que ces partielles apaiseront la situation de crise dans la région de Kabylie? Comment voyez-vous la manière dont a été traité ce dossier par le gouvernement?
Les élections partielles n’ont pas été organisées pour résoudre le problème ou la crise de la Kabylie. Certains voient qu’elles réalisent cet objectif, mais nous disons que celles-ci ne peuvent pas le concrétiser. Sur ce dossier, nous avons souligné à maintes reprises, lors de nos différentes déclarations, que la crise de la Kabylie ne doit pas être résolue de cette manière. Dès le début de la crise, le pouvoir continue à mal gérer la donne. Nous avons appelé à l’ouverture d’un dialogue national et faire participer les forces politiques et les personnalités importantes culturelles, commerciales, scientifiques, les moudjahidines et les cheikhs des zaouïas de la région qui contribueront d’une manière efficace à la résolution de la crise mais aussi permettre à toutes les parties agissantes de la société d’y participer et ne pas se contenter d’une partie que le gouvernement a choisie tant les problèmes posés en Kabylie sont vécus par toute la population algérienne. Toutefois, le gouvernement n’a pas pris en considération cette proposition et a choisi de résoudre seul ce dossier. Il assumera donc seul ses responsabilités.

Le chef de l’Etat avait tranché la question de l’officialisation de tamazight en déclarant lors de sa campagne référendaire «que l’arabe demeurera la seule langue officielle». Ces déclarations ne vont-elles pas, selon vous, aggraver une situation déjà compliquée?
Je ne pense pas que ces déclarations vont conduire à une nouvelle explosion de la situation en Kabylie. Je dirais donc qu’à la lumière des données actuelles, nous ne nous attendons pas à quelque chose de nouveau que ce soit positif ou négatif. La situation restera à mon avis inchangée.

Le peuple a adopté le 29 septembre dernier le projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale. Ne voyez-vous pas qu’il est temps d’annoncer les textes de loi en application des dispositions de cette charte?
Nous constatons qu’il y a un retard dans la promulgation des textes d’application de la charte. Le gouvernement devait se pencher, aussitôt la charte adoptée par le peuple, sur leur élaboration et les rendre publics, et ce, pour consacrer la charte pour la paix et la réconciliation nationale. Chose que nous ne voyons pas arriver jusqu’à présent. Ce retard inquiète sérieusement les différentes catégories de notre société, plus particulièrement les familles des victimes de la tragédie nationale qui ont soutenu et appuyé ce projet, notamment pour espérer ensuite l’amélioration de leur situation après le référendum. Il faut donc les tranquilliser.

A votre avis, le retard est dû à quoi?
Je ne veux pas m’introduire dans l’esprit et les intentions du premier responsable de ce dossier. C’est une question que lui seul connaît. Mais je dirais que le retard n’arrange pas le processus de réconciliation et l’objectif de la charte.

Quelles sont les dispositions qu’il faut prendre pour réussir la concrétisation de la charte?
Il est important et essentiel que les textes de loi sur la charte pour la paix et la réconciliation nationale soient précis, objectifs, et clairs. Il faut aussi qu’ils passent d’abord à l’Assemblée populaire nationale (APN) pour débat. J’ai aussi souligné dans ce cadre lors de la campagne référendaire du parti, l’importance de débattre les projets de loi par la classe politique, et ce, avant de les soumettre à l’APN, chose qui ne s’est pas produite jusqu’à présent. Je dirais ainsi que nous n’apprécions pas sa promulgation sous forme de décrets présidentiels pour les faire passer ensuite à l’APN pour adoption. Cette mesure, si elle se produit, affectera la crédibilité des ces lois.

Dans le même contexte, que pensez-vous des mesures décidées en faveur des chefs de l’ex-FIS?
Nous n’étions pas d’accord sur leur exclusion de la scène politique et leur emprisonnement, comme nous étions avant cela contre l’interruption du processus démocratique. En fait, le texte de la charte est général et contient beaucoup d’ambiguïtés. J’espère que les lois qui seront promulguées pourront le clarifier. Mais, je crois qu’au lieu d’exclure ces personnes de la scène politique par des mesures répressives, de prison et d’interdiction, il faut plutôt le faire à travers la liberté, la tolérance et la justice.

Partant de cette conception pouvez-vous annoncer une réconciliation entre les différentes parties de votre mouvement?
La réconciliation à laquelle nous avons appelé est basée sur le respect de la Constitution et des lois de la République. C’est dans ce contexte que nous avons adopté le slogan «Afa allah âmma salaf» et nous avons fait de la réconciliation nationale un choix politique stratégique basé sur le traitement des dossiers politiques et ceux des victimes de la tragédie nationale. Concernant notre parti, nous avons déclaré dès le premier jour que celui qui respecte le statut particulier et le règlement intérieur du mouvement, il est du mouvement et peut y réadhérer. Nous sommes donc prêts à tendre la main et discuter avec eux à condition qu’ils respectent l’institution légitime du parti. Comme vous voyez, nous sommes logiques. Et cet appel nous l’avons formulé à plusieurs reprises. Je parlerais dans ce cadre du comportement inexplicable et illégal du président de l’APN, M.Saâdani mercredi dernier lors des débats sur le projet de loi de finances 2006 lorsqu’il a donné la parole aux «redresseurs». Il nous a surpris. Nous nous attendions à ce qu’il se comporte avec la correspondance du mouvement et tienne compte de la liste des députés arrêtée lors de la dernière réunion du parti comme il l’a toujours fait et comme il l’a fait avec le reste des partis politiques. Nous ne comprenons pas les raisons de ce revirement que nous souhaitons provisoire, mais pas le provisoire qui dure.

Qu’en est-il de la levée de l’état d’urgence?
C’est l’une des premières mesures qu’il fallait prendre depuis longtemps. Nous avons milité dans le passé pour lever l’état d’urgence en appelant à maintes reprises le gouvernement à le faire. Nous l’avons déjà dit : cette mesure importante annonce l’amélioration de la situation en Algérie mais aussi la forte volonté de l’Etat pour le respect des droits et des libertés publiques et individuelles. Néanmoins, le pouvoir maintient toujours cette mesure parce que tout simplement il est le premier bénéficiaire de sa mise en vigueur. Le gouvernement ne veut donc pas consacrer la vraie démocratie dans le pays.

Des partis politiques appellent à la révision de la Constitution. Ils disent qu’elle ne répond pas aux exigences du processus de développement actuel. Le mouvement El Islah partage-t-il cette vision?
On parle aujourd’hui de révision, c’est vrai que nous nous sommes mis d’accord sur l’idée mais pas sur l’objectif, les sujets et la manière de l’amendement. En 1996 comme en 1999 et en 2004, quand ils ont appelé à la révision constitutionnelle, j’ai appelé à voter contre les amendements proposés qui ne répondent pas aux aspirations du parti. L’amendement de la Constitution ne permet pas d’instaurer un régime politique juste, de renforcer le pouvoir de contrôle des activités du pouvoir, il n’offre pas les garanties suffisantes pour préserver les libertés publiques et individuelles et il ne donne pas un rôle important aux partis politiques. S’il faut discuter de la révision, il faut assainir le climat politique pour rétablir la paix, préserver les valeurs et l’identité nationales, garantir l’exercice des libertés publiques et individuelles et l’alternance au pouvoir, des valeurs qui constituent la garantie d’une bonne gouvernance et consacrer la démocratie. Si la révision constitutionnelle répond à ces considérations, nous ne serons pas contre.

Vous avez déclaré lors de vos différentes sorties médiatiques que le gouvernement vous a fait des propositions pour des postes au gouvernement mais vous avez refusé. Maintenez-vous votre position?
Cette question est importante et j’ai quelques éclaircissements à apporter là-dessus. Premièrement, nous ne sommes pas contre le principe de la participation sinon nous n’aurions pas créé un parti politique. Cela dit, nous sommes pour la participation au pouvoir mais à travers des élections. Deuxièmement, nous sommes pour toute mesure qui sert le multipartisme d’une façon juste. Partant de là, nous sommes contre l’idée que les partis politiques se désistent de leurs programmes et adoptent le seul programme d’une personne quelle que soit cette dernière. En principe, chaque parti doit avoir sa propre ligne politique et son programme qui reflète sa personnalité. Le contraire affectera le multipartisme. Nous ne trouvons pas cela dans les autres pays démocratiques que ce soit en France, en Italie ou aux Etats-Unis. Il n’existe qu’en Algérie. Aussi, la participation politique efficace doit refléter le véritable poids des partis. Il faut que ces derniers aient le pouvoir de contrôle sur leurs ministres, c’est-à-dire, lorsqu’un ministre manque à ses devoirs, le parti à auquel il appartient doit réagir pour le remplacer. Si toutes ces conditions sont réunies, nous annoncerons notre participation au pouvoir. Notre position est donc claire.

La loi de finances 2006 vient d’être adoptée par l’APN. Le mouvement El Islah a proposé plusieurs amendements relatifs notamment à l’importation et la production des boissons alcoolisées. Pensez-vous que cette loi répond aux aspirations du citoyen et aux visions de votre parti?
Je dis que non. Cette loi a été élaborée sur la base d’un prix référentiel d’un baril à 19 dollars alors que la situation financière du pays est stable et excellente. Le peuple doit bénéficier de l’embellie financière des caisses de l’Etat, or c’est loin d’être le cas aujourd’hui. Je dénonce aussi les augmentations du prix des carburants. La loi est revenue aussi sur des questions que l’APN a déjà tranchées. Je cite ici l’importation des boissons alcoolisées. Je considère q’il faut d’abord évaluer les lois précédentes avant de voter de nouvelles lois. Je note ici que les réponses du ministre ne sont pas convaincantes.

Un dernier mot pour conclure.
Le début des réformes dans notre pays commence par la réforme politique du régime consacrant la démocratie renforçant le pouvoir de contrôle des activités du pouvoir et préservant les libertés publiques et individuelles.

Naïma HAMIDACHE