Frontière Algérienne : Timiaouine-Tin Zaouatine, à quoi rêvent les migrants

Frontière Algérienne : Timiaouine-Tin Zaouatine, à quoi rêvent les migrants (Reportage)

Ali Benchabane, Maghreb Emergent, 17 décembre 2016

Ces derniers jours l’Algérie organise des rapatriements de migrants ramassés dans les rues des villes du nord. Pendant ce temps de nouveaux migrants subsahariens arrivent tous les jours sur les villes frontalières du sud. La tête pleine de rêves. Ali Benchabane les a rencontrés. Reportage.

Quand l’aube pointe sur le Tanezrouft, que le pneu crisse sur le reg et que l’on est saisi par la beauté de ce paysage sans fin on a cette sensation d’être infiniment petit devant ces grands espaces. Tanezrouft c’est d’abord cette ‘’plage ‘’de galets qui s’étend sur des dizaines de milliers km2 et qui pour l’heure sert de ‘’gagne-pain’’ pour ces multitudes de jeunes chômeurs qui en font du gravier, très recherché par les constructeurs. Le fabuleux paysage est ainsi ‘’orné’‘ de ces jeunes qui sous le soleil dardant ramassent les pierres du reg. La route vers Tin Zaouatine est encore longue. Il faut d’abord passer par Bordj Badji Mokhtar. Puis Timiaouine. La première halte de ces nombreux migrants qui remontent par le Mali, défiant nature et prédateurs humains, un désert si cruel, qui a déjà englouti des dizaines de jeunes gens venus des fins fonds de l’Afrique attiré par ce mirage de l’Europe.

…Et puis surgissent les coupeurs de route

La route vers Timiaouine est en réfection et souvent le véhicule quitte la chaussée déformée pour rouler dans le désert. Après deux heures de route on entre Timiaouine, sorte de gros bourg, érigé en commune mais assez peu urbanisé. A part les services et les écoles le reste des constructions sont de briques en terre séchée. La poussière est partout, un peu comme si le sable voulait faire connaissance avec le visiteur. Sur la rue principale du bourg une noria de camions venus de Sétif propose aux citoyens de la région outre les marchandises courantes, les ustensiles de cuisines et autres produits comme l’huile, le riz ; les pâtes et le savon. Ces camions installés à demeure jusqu’à l’épuisement des stocks sont ensuite remplacés par d’autres camions venant également de Sétif et ainsi de suite en un roulement continu. A Timiaouine les migrants sont discrets le jour. Arrivés des pays voisins comme le Mali, le Burkina, la Guinée, le Niger et autres, ils marquent une halte après la traversée du périlleux nord Mali. C‘est la nuit autour d’un feu allumé dans une sorte de préau qu’ils squattent, que j’ai finalement pu approcher des clandestins. Ils sont environ une vingtaine et tous voulaient après les présentations et une fois la glace brisée parler de leur odyssée. L’un des jeunes, Diallo, se lance dans un récit, et très vite sa voix se noue. ‘’C’est dur, inhumain même rien que de raconter ce que l’on a vécu en cours de route ! Tout a commencé en Guinée, je viens d’une banlieue de Conakry. J’ai cherché à aller ailleurs car chez moi les horizons sont bouchés. Avec des amis on a pris contact avec une sorte d’agent qui promettait un voyage facile, voir presque agréable. C’est là qu’on a mis le doigt dans l’engrenage. On a versé quelque frais d’inscription et on nous a affirmé qu’à Bamako on sera accueillis par des gens qui feront tout pour nous faciliter la route. C’est donc confiants, que nous avions repris la route. Une fois à Bamako, les passeurs nous demandent de verser 90 000 FCFA, (environ 136 euros). Une fortune pour des gens comme nous. Mais que faire ? Le rêve paraît si proche ! ‘’ Diallo se tait et des larmes coulent sur ses joues. Il reprend après avoir bu un peu d’eau ; ‘’ Là on est embarqués dans des camions et vogue la galère ! Arrivés à Gao on nous redemande encore 25000 FCFA (38 euros) puis quelques kilomètres de camion plus loin, on nous remet un bidon d’eau et cinq paquets de biscuits. On nous dit de marcher droit devant et que l’on nous attend de l’autre coté. On a marché et longtemps, on a vu ainsi de près ces événements qui déchirent le Mali, après Kidal on a continué à marcher et nous sommes tombés entre les mains des coupeurs de route, à Talanta. Sous la menace d’armes on nous dépouille de nos maigres avoirs et même de nos chaussures. Moi-même je leur ai dit ‘’prenez dans mon sac ce que vous pouvez trouver mais ne me faites pas de mal ! ‘’ Ils ont effectivement tout pris jusqu’à nos chaussures, certains d’entre nous ont été frappés et torturés.

Les passeurs « achètent » un migrant 8500 DA puis le revendent

Ces coupeurs de route voulaient savoir si on avait caché de l’argent quelque part. Libérés on a poursuivi la route et au niveau de la frontière on a été effectivement approchés par d’autres passeurs, ces gens agissent en réseau ! Vous savez ces gens là ‘’achètent’’ carrément les clandestins à raison de 8500 DA par personne qu’ils ‘’revendent’ et le terme n’est pas fort, à d’autres passeurs pour 10 000 Da par personne’’. Diallo ne veut plus s’arrêter et poursuit son récit comme pour exorciser ses démons. Sur le groupe est tombé un lourd silence chacun se remémorant les événements vécus au niveau du lieu dit Talanta prés de la frontière, soudain au froid de la nuit dans le désert s’ajoute l’effroi et la peur. Après s’être ébroué Diallo reprend ‘’ Après avoir franchi la frontière le clandestin est pris en charge par des passeurs de ce coté ci de la frontière. En Algérie les clandestins sont parqués dans des maisons individuelles baptisées foyers, Ces foyers gérés par les passeurs font dormir les gens à même les nattes et leur servent en guise de nourriture des pâtes et quelque fois du thé. Les clandestins sont tenus de ‘’rembourser’’ les frais engagés par le passeur ainsi que la somme payée par le passeur algérien à son acolyte malien et ce, en travaillant pour lui. Il est arrivé que des passeurs gérant ces foyers battent et torturent les clandestins leur demandant d’appeler au téléphone leur famille et ainsi se faire envoyer de l’argent. Il est arrivé que des clandestins soient torturés à mort et leurs cadavres soient jetés dans le désert. Alerter les gendarmes ? « Oui les gendarmes viennent nous voir pour souvent nous donner à manger et nous dire de ne pas avoir peur. Mais on sait aussi que des campagnes de ramassage de clandestins ont lieu et on a peur de se faire ramasser et rapatrier. Un autre clandestin Camara prend la parole : ‘ Nous sommes décidés à rejoindre l’Europe ou à mourir en cours de route !’’

A Timiaouine, « je préfère attendre un peu ici puisqu’on rafle les migrants au nord»

Pour quitter ces sombres pensées qui envahissaient le groupe on demande aux jeunes subsahariens de raconter leur quotidien à Timiaouine. Le plus jeune consulte du regard le groupe ; et se lance ’’On dort comme vous le voyez ici presque à la belle étoile. La nuit est froide dans le désert, aussi généralement on fait un feu et on se réchauffe en évoquant le futur que l’on veut ailleurs. Le matin dés l’aube nous sommes dehors à la recherche d’un camion à charger ou à décharger ou encore d’un travail comme manœuvre dans quelque chantier privé. On a rencontré aussi de braves gens qui nous donnent à manger, surtout un vieux que l’on appelle ‘’face de paradis’’. Une fois la journée terminée on se rend au cyber du coin tenu par un ancien clandestin et on se connecte un peu avec la famille. Evidemment on leur ment pour ne pas les alarmer. On leur dit que tout va bien ! Malgré tout ici on est presque relax car on ne nous embête pas et souvent on peut se faire un peu d’argent en bricolant ici et là. Pour le moment on reste ici car on a appris que dans les villes on ramasse les clandestins et on les rapatrie. Ça serait dommage car on est si près du but.

Les jeunes migrants font une collecte entre eux pour s’acheter à manger et un autre ancien clandestin travaillant dans une gargote du coin vient leur apporter un bidon d’eau, tous se précipitent pour faire un brin de toilette et à travers les rires on croit comprendre que finalement dans leur malheur ils arrivent à goûter un moment de répit et un rien les amuse. Diallo revient pour m’inviter à partager leur maigre diner, il est vrai que les pauvres ont la main sur le cœur.

En Europe, c’est la terre des droits de l’homme

Les langues se délient encore plus et on les migrants se mettent à dire leurs rêves et leurs craintes. Pour tous l’Algérie est une halte car le but est l’Europe, là bas dira l’un d’eux c’est la terre des droits de l’homme et on pourra alors facilement trouver du travail et avoir de quoi rembourser les dettes faites pour le voyage. En Europe commente Diallo on, aura plus à faire face à ces regards désobligeants et on sera enfin considérés comme des êtres humains car dans le désert les touaregs ne nous aiment pas du tout ! Et puis en Europe on pourra jouer au football dans des clubs ajoute Brahim qui dit que dans son pays il s’était préparé à cela et joue très bien. Mais pour le moment Diallo et ses camarades préfèrent encore se terrer à Timiaouine car ailleurs dans les villes ‘’on ramasse les migrants et on les rapatrie !’’

Le lendemain à l’aube on reprend la route vers Tinzaouatine cette ville frontière entre le Mali et l’Algérie. Tin Zaouatine est mieux urbanisée que Timiaouine ; il est vrai que c’est un chef lieu de daira ! Tin Zaouatine est atteinte après quelques cinq heures de piste dure, tailladée de multiples ornières laissées par les roues des gros camions. Mohamed, un targui de Tin Zaouatine nous accueille avec simplicité et surtout avec chaleur. Il nous offre le gite et le couvert il nous fait visiter sa ville. A Tin Zaouatine la population est composée de Touaregs Ifoghas et Ahaggar et aussi de harratins et que quelques gens venus du Touat. Les migrants sont également nombreux, les anciens sont établis en ville avec femmes et enfants et les nouveaux arrivants se cachent pour le moment, car eux aussi ont peur de se faire refouler d’Algérie. La frontière ici traverse carrément la Daira. L’oued en tient lieu. Les maliens sont assez nombreux. Selon Mohamed les migrants travaillent dans les commerces et le bâtiment ils entrent depuis cette frontière coté malien ou encore depuis In Guezzam. Le but suivant est d’aller à Tamanrasset où il y a plus d’opportunités pour eux.

Boubekeur est un nigérien ; il affirme avoir traversé le Ténéré, évitant les postes de contrôle prés d’In Guezzam. Arrivé en Algérie il essaie d’aller plus au nord d’abord à Tamanrasset mais pour le moment il lui semble plus loisible de rester ici à Tin Zaouatine. Les migrants sont très nombreux ici explique Mohamed le targui ’’comme un peu partout dans les localités du Sud. On prête à certains qu’ils peuvent convoyer de la drogue. Mais ce que je retiens c’est l’on ne saurait être aveugle devant tant de détresse !’’ Boubekeur affirme pour sa part ‘’nous ne voulons que travailler ici ou dans une autre ville afin d’essayer d’aider la famille restée au pays ! On ne transporte rien d’autre que nos effets et encore..’’ La nuit les migrants se réfugient chez les anciens installés déjà à Tin Zaouatine. Personne n’est en mesure de donner des chiffres, Mohamed le targui explique ; ‘’il en arrive tous les jours, l’Afrique se vide de sa jeunesse ! Traverser ces dangers et affronter ensuite la mer et ses dangers ou encore aller vers le Maroc à partir de l’Ouest du pays n’est pas chose aisée !’’ Boubekeur sort de son silence pour trancher : ’’ On est déjà mort alors la mer, ou le désert…’’

Retour sur Tamanrasset, le hub des migrants

Le lendemain matin alors que Tinzaouatine dort encore on est sur la route vers Tamanrasset. Les paysages sont fabuleux autant que la fatigue immense. C’est une fois arrivés à Tam que le taxieur réveille les ‘’dormeurs’’. Dans la capitale du Hoggar, l’air encore assez frais finit de réveiller tout le monde, et nous voici à la recherche des migrants. Mustapha un ‘’nordiste’’ ou un ‘’chenoui’’ comme les gens de Tam appellent les gens du nord du pays nous conduit au quartier Gataa El Oued (Le gué de l’oued), là les migrants sont installés en nombre ; ils sont de partout ! du sahel et d’autres pays jusqu’au Sénégal et au-delà. Mais ces migrants sont là depuis des lustres pour certains ; ils ont réussi à monter de petites échoppes et la plupart offrent de la mainama ! Des morceaux de viande cuits à la braise. Les nouveaux arrivants eux se cachent selon Mustapha car des rafles ont lieu et plusieurs sont ainsi ramassés et parqués dans un centre de rétention sis à la sortie de la ville sur la route d’In Guezzam, ou ils attendent leur transfert vers leurs pays. Certains, sans doute poussés par la faim, essaient de se trouver un petit boulot afin de pouvoir se payer à manger. Felix ; apparemment le plus âgé ; dit être venu de Brazzaville au Congo. Son but est d’aller en Belgique. Mais les algériens ont déclenché cette campagne pour ramasser les migrants, les interner pour les rapatrier aussi on se fait petits et on attend que passe l’orage !’’ A la question où ils comptent aller, Félix et ses camarades répondent ‘’’ peut être et si on travaille ici pour gagner un peu d’argent on va aller sur la cote et de là on trouvera bien un moyen soit de traverser la méditerranée soit alors essayer de regagner le Maroc, on nous a dit qu’au niveau de la frontière ouest du pays des passeurs existent’’ Des phrases drues, hachées, faisant sans doute remonter les souvenirs dans la tète des garçons, des souvenirs les uns plus ‘’féroces’’ que les autres Félix se mit même à parler dans sa langue vernaculaire , l’émotion était à couper au couteau ! On a préféré se retirer doucement laissant ces garçons reprendre leurs esprits. Dure, dure est la vie des jeunes subsahariens obligés de s’exiler et d’affronter le linceul jaune et aussi le linceul bleu avant de peut être d’aller trainer dans les grandes villes d’Europe.