La majorité des harragas avaient un emploi

Selon une étude sur la migration clandestine

La majorité des harragas avaient un emploi

Le Jour d’Algérie, 29 septembre 2007

Sentiment d’exclusion, chômage, mal-être, souhait d’améliorer la situation financière, sont autant de facteurs ayant poussé les jeunes a tenté l’aventure de l’émigration clandestine, ont tenté d’expliquer l’ensemble des intervenants à la rencontre-débat autour des jeunes expulsés d’Europe et des harragas, organisée jeudi au siège du ministère de la Solidarité.

Ils sont célibataires à hauteur de 75 % et 63% d’entre eux sont occupés, selon Saïd Musette, chercheur au CREAD. Qu’ils soient salariés, étudiants ou chômeurs, ils veulent tous partir vers l’Europe. Contrairement aux pays voisins, les candidats à l’émigration clandestine ne sont pas forcément d’un faible niveau d’instruction. Bien au contraire, 38 % d’entre eux sont universitaires alors que 40 % sont de niveau moyen. Leur situation financière est moyenne, pour la plupart. «La migration irrégulière touche plus les couches moyennes, qui sont fragilisés» et risquent de sombrer dans la pauvreté, a-t-il relevé. Pourquoi veulent-ils émigrer ? Eh bien, selon le chercheur, le motif est le souhait d’améliorer leur niveau de vie. «Les jeunes refusent un emploi précaire et vivre avec un salaire indécent. Ils veulent améliorer leur niveau de vie et éviter de rééditer la situation familiale de leurs parents», a tenté le chercheur d’expliquer. Tentant de «lever le voile sur ces pratiques qui ont pris des proportions alarmantes depuis 2005 et ayant endeuillé des familles entières», le ministère de la Solidarité a organisé la rencontre de jeudi. Selon Djamel Ould Abbès, ministre de la Solidarité, «depuis 2002, le ministère a tenté d’élaborer des processus de réinsertion des jeunes harragas, et ce, en collaboration avec les services de la sûreté nationale et ceux de la gendarmerie». En le qualifiant de «phénomène nouveau» à la société algérienne, l’ensemble des intervenants se sont étalés à expliquer les causes de cette migration. Selon le représentant de la gendarmerie nationale, le phénomène est observé particulièrement au niveau des côtes Est et Ouest. La majorité des candidats à l’émigration clandestine sont âgés entre 18 et 40 ans. Il y a aussi des mineurs.

Qui sont-ils ?

Les harragas ont le profil d’étudiants, commerçants, fonctionnaires et chômeurs. Dans de petites embarcations de pêche, les passeurs programment les voyages durant la nuit et sont équipés de moyens comme des boussoles, des gilets de sauvetage. Les deux destinations sont Almeria (Espagne) et la Sardaigne (Italie), a indiqué le représentant de la gendarmerie. Pour déjouer les tentatives d’émigration clandestine, cette institution a pris plusieurs mesures dont le renforcement de la surveillance au niveau des plages de Aïn Temouchent, Oran, Tlemcen, Annaba et, à un degré moindre, Chlef. Un réseau de renseignements pour déterminer les plages susceptibles d’être le point de départ et pour faire échouer les tentatives de migration clandestine est également mis en place. Outre les opérations de sensibilisation, une surveillance périodique est assurée au niveau des plages isolées et des saisies d’embarcations suspectes sont effectuées. Un échange d’informations ainsi que des opérations de contrôle sont effectuées en coordination avec les garde-côtes. En terme de bilan, il est relevé une hausse des tentatives de migration clandestine durant les trois dernières années. Ainsi, 21 tentatives ont été empêchées en 2005, permettant d’arrêter 57 personnes. En baisse durant 2006 et les dix premiers mois de 2007, le nombre de harragas était respectivement de 714 et de 371. Après avoir été pratiquée par voie terrestre, la migration clandestine se fait par mer. Le taux d’évolution du phénomène est de 1 153 % entre 2005 et 2006. Pour le représentant des forces navales, la migration clandestine est en nette hausse depuis le troisième trimestre 2006 et 602 personnes ont été appréhendées. Grâce au renforcement du contrôle, la tendance est en baisse. Jusqu’à septembre 2007, 918 harragas ont été sauvés, alors que 1 382 ont été interceptés par les forces navales en 2006 contre 336 en 2005. Au total, durant les trois dernières années, 2 340 personnes ont été interceptées en mer dont plus de 1 000 ont été sauvées d’une mort certaine. Comme leurs collègues de la Gendarmerie nationale, les garde-côtes ont renforcé la surveillance au niveau des ports de pêche et même au niveau de ceux qui sont isolés.

L’origine du problème

Tentant d’expliquer le phénomène, les services de la sûreté nationale avaient élaboré, en 2002, une étude qui a traité de 278 cas de harragas. A travers cette étude, il a été constaté notamment que la moyenne d’âge varie entre 28 et 40 ans. De niveau d’instruction moyen pour la majorité, 80 % de ces jeunes sont issus de familles composées de 12 personnes en moyenne. Majoritairement chômeurs, ces migrants ont passé entre 1 mois et 3 ans dans les ays d’accueil. Ayant tiré la sonnette d’alarme depuis 2002, les services de la sûreté nationale travaillent en collaboration avec le ministère de la Solidarité en vue de réinsérer ces jeunes expulsés. Le responsable a relevé, en revanche, «la faiblesse du dispositif législatif». Entre 2005 et 2007, «les services de la sûreté nationale ont recensé plus de 5 400 expulsés qui ont purgé une peine alors que 10 921 personnes en situation irrégulières reconduites». Plus de 80 % de ces jeunes ont tenté l’aventure parce qu’ils étaient influencés par leur entourage proche ou par des amis, selon un récent sondage. Pour contrer le phénomène, la direction de la sûreté nationale «envisage de créer une structure spécialisée dans la lutte contre l’émigration clandestine». Il est indispensable, a-t-on suggéré, de «créer des services spécialisés dans la prévention et le démantèlement des filières». Le représentant du ministère de la Solidarité a parlé, pour sa part, de l’engagement d’une réflexion devant déboucher sur «une vraie politique d’insertion des jeunes». Depuis 2002, le ministère a pris des mesures d’insertion à travers 26 wilayas, permettant à 75 % de jeunes d’intégrer des dispositifs d’emploi comme l’ANSEJ et l’ANGEM. Un taux dépassant les 15 % est actuellement en cours de prise en charge, alors que 8 % ont rejeté toute forme d’aide, a-t-il avancé. En proposant de créer «un observatoire méditerranéen pour défense des droits de l’homme» qui aura un regard sur le phénomène des harragas, Djamel Ould Abbès a relevé la responsabilité des pays européens dans l’émigration clandestine. Avis partagé par Mohamed Musette, qui a noté la volonté de l’Algérie pour «un traitement global de la question et pour l’ouverture d’un dialogue entre l’Afrique et l’Europe».

Par Karima Sebai