Contrôle du flux migratoire sur les côtes libyennes
Contrôle du flux migratoire sur les côtes libyennes
Rome soulagé de la collaboration de coopération de Tripoli
El Watan, 14 août 2017
Rome s’est félicité hier de l’intensification par Tripoli du contrôle des eaux libyennes, évoquant «un rééquilibrage en cours en Méditerranée» pour réduire les départs de migrants, tandis qu’une nouvelle organisation non gouvernementale (ONG) a décidé de suspendre ses sauvetages en mer.
«Le gouvernement libyen de Fayez Al Sarraj a demandé l’aide de l’Italie et il est prêt à mettre en place la zone Sar (NDLR : Search and rescue, recherche et sauvetage) dans ses eaux, collaborer avec l’Europe et investir dans les gardes-côtes : tout ceci est signe d’un rééquilibrage en cours en Méditerranée», a déclaré le ministre italien des Affaires étrangères, Angelino Alfano, dans un entretien paru dans le quotidien La Stampa et relayé par l’AFP. La marine libyenne a annoncé, jeudi, la création au large du territoire d’une zone de recherche et de sauvetage, qu’elle interdit sauf autorisation aux navires étrangers, en particulier aux ONG patrouillant pour secourir des migrants. Médecins sans frontières (MSF) a indiqué samedi qu’elle suspendait temporairement les activités du Prudence, le plus gros des navires de secours aux migrants en Méditerranée, à la suite de cette interdiction. Seuls deux navires d’ONG, le Sea Eye et SOS Méditerranée, étaient encore positionnés samedi au large des côtes libyennes, tous les autres étant essentiellement à Malte. Hier, l’ONG allemande Sea Eye a annoncé à son tour une suspension de ses opérations, une décision prise «le cœur lourd» en raison d’une «menace explicite aux ONG privées».
«Nous laissons un vide mortel en Méditerranée», a estimé son fondateur, Michael Buschheuer, en soulignant que son organisation a sauvé environ 12 000 personnes en Méditerranée depuis avril 2016. En revanche L’Aquarius, navire affrété par SOS Méditerranée et MSF, se trouvait encore hier tout près des côtes libyennes au large de Tripoli, dans la zone Sar. Il pouvait apercevoir non loin en milieu de journée le C-Star, bateau affrété par le groupe d’extrême droite français Génération identitaire. Pour Angelino Alfano, la moindre présence des ONG, accusées par leurs détracteurs d’être devenues des «taxis» de migrants, est plutôt positive. «La décision de MSF entre aussi dans le cadre d’un réajustement des équilibres : ces eaux ne sont plus à personne, mais sont celles de la Libye», a-t-il observé. Rome, soutenu par l’Union européenne (UE), vient de négocier avec les ONG un code de conduite pour les sauvetages signé désormais par la majorité des organisations.
Enquête
Parallèlement, une enquête du parquet de Trapani (ouest de la Sicile) a mené à la saisie du bateau de l’ONG allemande Jugend Rettet, sur des soupçons de liens directs avec des trafiquants au large de la Libye avec des photos à l’appui. Quatre personnes ont été citées dans cette enquête : deux commandants, un membre d’équipage, ainsi qu’un prêtre érythréen très actif dans l’aide aux migrants. L’enquête porte aussi sur des opérations de secours menées par les ONG Médecins sans frontières et Save The Children. «Nous avons fait deux choix : celui de soustraire des gains criminels aux trafiquants, parce que moins il y a de personnes qui partent, moins cela rapporte aux trafiquants, et celui de financer les agences de l’Onu, l’UNHCR et l’OIM, pour assurer des normes respectueuses des droits humains dans les camps libyens», a indiqué le chef de la diplomatie italienne. Comme il approuve l’avis de l’homme fort de l’Est libyen, Khalifa Haftar, qui a estimé à «20 milliards de dollars sur 20 ou 25 ans» l’effort européen nécessaire pour aider à bloquer les flux de migrants à la frontière sud du pays, dans un entretien paru samedi dans la presse italienne. «On a besoin d’un énorme… investissement économique de l’Europe en Libye et en Afrique. L’Europe doit décider si le thème des migrations est une priorité absolue à l’instar de l’économie. Pour nous, ça l’est», a conclu A. Alfano.
Fin juillet, Khalifa Haftar et son rival Fayez Al Sarraj, chef du gouvernement d’entente nationale, se sont mis d’accord sur une déclaration de principe en dix points dans lesquels ils s’engagent notamment à un cessez-le-feu et à organiser des élections le plus rapidement possible, lors d’une rencontre en région parisienne sous l’égide du président français. Dans un entretien accordé samedi au quotidien italien Corriere della Sera, le maréchal Haftar a estimé à «20 milliards de dollars sur 20 ou 25 ans» l’effort européen nécessaire pour aider à bloquer les flux de migrants à la frontière sud de son pays. «Le problème des migrants ne se résout pas sur nos côtes. S’ils ne partent plus par la mer, nous devons les garder et la chose n’est pas possible», a-t-il expliqué.
«Nous devons au contraire travailler ensemble pour bloquer les flux sur 4000 kilomètres à la frontière désertique libyenne du Sud. Mes soldats sont prêts. Je contrôle plus des trois quarts du pays. Je possède la main-d’œuvre, mais il me manque les moyens», poursuit le chef d’une force autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL). A titre de comparaison, «la Turquie prend six milliards» à Bruxelles «pour contrôler un nombre infiniment inférieur de réfugiés syriens et quelques Irakiens», a-t-il fait remarquer. «Nous, en Libye, nous devons contenir des flux gigantesques de personnes arrivant de toute l’Afrique.» Il a aussi critiqué Fayez Al Sarraj, qui ne l’a pas consulté pour donner le feu vert à une opération de renfort maritime de l’Italie pour aider les gardes-côtes libyens à contenir les départs de bateaux de migrants. «Sa décision est un choix individuel, illégitime et illégale», a-t-il estimé. Et d’ajouter : «Personne n’entre dans nos eaux sans permission», tout en prononçant des propos plus conciliants à l’égard de l’ancienne puissance coloniale : «les Libyens et les Italiens sont des amis.»
Rédaction internationale