Mali : Les facettes d’un conflit

Mali : Les facettes d’un conflit

par Ghania Oukazi, Le Quotidien d’Oran, 18 octobre 2012

«Moins on est, plus efficaces nous sommes», avait déclaré le ministre délégué chargé des Affaires maghrébines et africaines, en réponse à une question sur une éventuelle ouverture du CEMOC à d’autres pays de la région ou occidentaux pour régler les questions sécuritaires dans la région du Sahel.

La déclaration est donc d’Abdelkader Messahel, en janvier dernier, lors d’une conférence de presse en prévision d’une réunion des pays du champ à Nouakchott (23 et 24 janvier 2012), pour auditionner le Nigeria sur les activités de Boko Haram et leurs liens avec Aqmi.

Le ministre délégué avait alors affirmé, à cet effet, que «nous faisons la différence entre les Touareg et Aqmi, l’Algérie s’est beaucoup investie dans ce problème entre 99-2000.» Un accord avait d’ailleurs été signé en 2006 entre les deux parties sous les auspices d’Alger.

C’est dire que si les Américains pensaient, il y a à peine quelques jours, que l’Algérie devait mener une médiation entre les groupes en conflit au Nord-Mali, c’est qu’ils ont «de qui tenir».

En mars 2011, à l’occasion de la tenue du 1er forum d’Alger qui avait réuni 36 pays, dont les puissants de ce monde, pour discuter de la sécurité dans la région du Sahel, Messahel avait mis en avant «le compter sur soi» pour lequel, avait-il expliqué, «les pays du champ doivent développer leurs propres capacités par eux-mêmes ou par la coopération.» L’Algérie avait, par la voix de son ministre délégué, réitéré sa demande pour un partenariat avec l’Union européenne et les Etats-Unis assurant aux quatre pays du champ la formation, la logistique et le partage de renseignements. En créant en 2009, avec le Mali, le Niger et la Mauritanie (pays du champ), le Comité d’états-majors opérationnel conjoint (CEMOC) dont la base est à Tamanrasset, l’Algérie a mis en avant ce «triptyque» tout en lui accolant l’impératif «binôme» -la sécurité et le développement- pour sauver le Sahel d’un probable embrasement.

Les pays du champ ont ajusté au CEMOC, qui est chargé de coordonner leurs actions militaires dans la région, une Unité de fusion et de liaison (UFL) dont le siège est à Alger, chargée, elle, du renseignement.

RECENTRAGE DES ENJEUX ET VISEES GEOSTRATEGIQUES

En septembre 2011, Alger avait abrité une importante conférence internationale sur la sécurité et le terrorisme qu’Américains et Français avaient fortement marquée par leur présence. Leitmotiv des autorités algériennes «recentrer les enjeux dans la région». Alger tenait en même temps à ce que les pays occidentaux fassent leur réflexion sur la responsabilisation totale et directe du CNT libyen dans le règlement du problème de la circulation des armes aux frontières. A l’époque, les observateurs avaient affirmé qu’elle avait réussi à convaincre les Occidentaux de la nécessité d’un tel recentrage et d’une telle responsabilisation et ce, en leur faisant approuver un agenda fixant le nom des acteurs, leurs rôles, les priorités et les objectifs qu’ils s’engageraient à respecter pour sauver la région de la déflagration. La délégation américaine était d’un niveau d’importance tel que les autorités algériennes avaient tenu avec elle des réunions marathon pendant deux longues journées. La conférence avait donc enregistré la présence du commandant en chef de l’Africom et de la vice-secrétaire adjointe du département d’Etat et vice-coordinatrice du coordonateur du bureau de la lutte antiterroriste qui, tous deux, avaient été reçus ensemble, ou un par un, par le président de la République, le chef d’état-major, le ministre délégué auprès du MDN, le ministre des Affaires étrangères et enfin le ministre délégué aux Affaires maghrébines et africaines. C’est certainement à ces moments-là que l’internationalisation du dossier du Sahel commençait à prendre des contours officiels conformément à des visées géostratégiques, celles-ci, bien anciennes.

LA DOCTRINE DES PAYS DU CHAMP

Les discussions étaient ainsi déjà fixées sur la détérioration de la situation sécuritaire dans le Sahel et les conflits au Mali. Et la délégation française était, dans cette conférence, présidée par André Parant qu’on appelle «M. Terrorisme» à L’Elysée. Notons que Parant est, depuis quelques jours, ambassadeur de France à Alger. Autre fait, en décembre 2011, le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales avait présidé, à la résidence El-Mithak, la 4e réunion du comité bilatéral Algérie-Niger. Dahou Ould Kablia avait lui aussi insisté sur «l’exclusivité des pays du champ dans la gestion des affaires sécuritaires dans la région». A l’époque, le Nigeria venait d’intégrer l’UFL et quelques mois avant, les pays du champ discutaient avec la Libye pour son éventuelle intégration dans le CEMOC. A la fin des travaux de cette 4e réunion, le ministre de l’Intérieur avait déclaré que «les pays du champ sont directement concernés par ce qui se passe dans la région.» DOK avait souligné que les membres du CEMOC «font de cette exclusivité leur doctrine, les affaires de sécurité au Sahel relèvent exclusivement d’eux.» Il a réaffirmé encore que «seules les forces de sécurité de ces pays sont habilitées à poursuivre toutes les formes de déstabilisation dans cette zone.» Ould Kablia a tenu à clarifier sa pensée en précisant que «les pays hors champ, lorsque les circonstances l’exigent, peuvent, en fonction de ce qui peut les intéresser, coopérer en matière de renseignements, mais il n’est pas question qu’ils interviennent sur le terrain.» Depuis la création du CEMOC, l’Algérie a fait de «l’appropriation» des affaires sécuritaires dans le Sahel, un point d’honneur. Pourtant, le ministre de l’Intérieur avait avoué toujours à la fin de la tenue de la réunion algéro-nigérienne que «le problème du Sahel a dépassé les frontières des pays du champ et menace beaucoup d’intérêts.»

DE L’APPROPRIATION A L’INTERNATIONALISATION

Interrogé, dimanche dernier, sur la manière qui permettra de faire le discernement entre les terroristes et les populations dans le Nord-Mali tel que demandé par l’Algérie en cas d’intervention militaire, Dahou Ould Kablia s’est contenté de répondre simplement que «je ne suis pas le ministre de la Défense ni le chef d’état-major pour savoir comment ça va se faire.» Le ministre de l’Intérieur animait conjointement, ce jour-là, une conférence de presse avec son homologue français, Manuel Valls. Le ministre de François Hollande avait, en 24h à peine, réussi à faire valoir des convergences entre la position de son pays et celle algérienne sur le règlement du conflit au nord du Mali alors qu’elles sont d’essence diamétralement opposées. Il est en outre normal qu’elles le soient puisque les deux pays n’ont pas les mêmes intérêts dans la région, encore moins la même histoire. C’est d’ailleurs pour préserver ses intérêts que la France veut une action armée dans le Nord-Mali. Depuis les événements évoqués plus haut, les choses ont dangereusement évolué jusqu’à mettre le Haut Conseil national de sécurité en alerte permanente. Alger réitère aujourd’hui, plus que jamais, son appel à l’aide logistique des Occidentaux, notamment après l’adoption par le Conseil de sécurité onusien de la résolution 2071 obligeant la Cédéao à dévoiler son plan d’attaque militaire dans le Nord-Mali.

Cependant, les déclarations va-t-en guerre du président français, de son gouvernement et aussi de hauts responsables américains laissent entendre qu’une intervention militaire dans la région par une force africaine seule, relèverait de la pure dérision.

Le pire est à prévoir si la France arrive à faire voter une résolution autorisant les troupes atlantistes à «soutenir» la soi-disant force africaine. Le plaidoyer algérien en faveur de «l’appropriation» du conflit malien par les membres du CEMOC semble aujourd’hui tournoyer dans un bourbier où la France a les pieds enfoncés jusqu’aux genoux. Pour contrer cette appropriation que défend farouchement l’Algérie, elle a tenu à l’internationaliser et l’inscrire dans l’agenda du Conseil de sécurité de l’ONU sous le sceau d’une urgence qu’elle fait sienne.