Dans l’Egypte en crise, l’économie est en déroute

Dans l’Egypte en crise, l’économie est en déroute

par Akram belkaïd, Paris, Le Quotidien d’Oran, 3 septembre 2013

«Un pays sous perfusion qui s’effondrerait en quelques jours sans le soutien actuel des pays du Golfe». Ce jugement est celui d’un banquier occidental qui travaille en Egypte depuis plusieurs décennies. Pour lui, la crise économique «est aussi grave que la détérioration de la situation politique mais elle passe au second plan car les médias en parlent peu».

Il est vrai que les péripéties sanglantes ayant suivi la déposition de l’ex-président Mohamed Morsi par l’armée le 3 juillet dernier ont concentré l’attention. Aujourd’hui encore, rien ne paraît être réglé sur le plan politique même si la Confrérie des Frères musulmans semble être durement touchée par la répression qu’elle subit depuis la mi-août. Installé par les militaires, le gouvernement provisoire est à la peine et n’a guère pris d’initiatives tant sur le plan politique qu’économique.

UNE ECONOMIE EXSANGUE

«L’économie ne s’est jamais portée aussi mal depuis la chute de Moubarak, confirme un expert du Centre Al-Ahram. Tous les feux sont au rouge et je ne vois pas comment l’actuel cabinet pourrait rapidement renverser la situation. Les urgences sont partout et il faudrait un minimum de sérénité et de calme pour relancer la machine. L’armée avait promis de relancer l’économie en déposant Morsi mais le bras de fer avec les Ikhwans empêche pour le moment toute relance ». Ainsi, la croissance du Produit intérieur brut (Pib) ne devrait pas excéder les 2% en 2013, un taux qui est loin du minimum de 6% à partir duquel sont garantis les grands équilibres macro-économiques du pays. Avec 250 milliards de dollars de dette publique, soit l’équivalent de 80% du Pib annuel, l’Etat égyptien n’est pas loin de la faillite surtout dans une conjoncture marquée par l’effondrement des recettes en devises fournies par le tourisme (cette année, le nombre de visiteurs étrangers devrait être inférieur à 10 millions de touristes contre 14,5 millions en 2010). A cela s’ajoute un chômage dont le taux officieux est de 20% (12% officiellement) tandis que l’inflation, mal endémique de l’économie égyptienne, est repartie à la hausse avec un taux de 13% ce qui aggrave les difficultés éprouvées par les ménages à faibles revenus pour s’approvisionner au quotidien. Enfin, conséquence des affrontements entre forces de l’ordre et soutiens de Morsi mais aussi de l’agitation sociale qui n’a jamais disparu, près de 40.000 entreprises sont aujourd’hui à l’arrêt. Parmi elles, de petites sociétés mais aussi les filiales de grands groupes étrangers ayant décidé de geler leurs activités en attendant une amélioration du climat politique.

L’APPUI DECISIF DU GOLFE

Dans ce contexte, il paraît désormais évident que les monarchies du Golfe, Arabie Saoudite et Emirats arabes unis en tête, ont contribué à sauver l’Egypte d’une grave crise financière qui aurait eu des conséquences importantes sur la stabilité du pays. Au total, les pays de la péninsule ont promis près de 12 milliards de dollars en aide directe, affirmant au passage être capable de suppléer à toute interruption des flux financiers en provenance de l’Occident. On sait, en effet, que l’Europe et les Etats-Unis ont envisagé de suspendre leur aide pour protester contre, non pas le coup d’Etat contre Morsi mais pour l’usage de la force contre ses sympathisants. A ce jour, et selon plusieurs organes de presse, Le Caire aurait d’ores et déjà réceptionné 5 milliards de dollars. Une célérité dans le transfert qui n’est guère habituelle selon ce banquier occidental : « D’habitude, l’aide promise met du temps à parvenir. C’était par exemple le cas des milliards promis par le Qatar au gouvernement de Morsi et dont seule une petite part a été réellement réceptionnée. Là, on sent bien que l’Arabie saoudite et ses alliés voulaient prévenir toute dégradation de la situation ». Dans le même temps, d’autres observateurs égyptiens tiennent à préciser que l’aide du Golfe n’est pas entièrement désintéressée. « Il y a des dons et une aide en hydrocarbures mais l’essentiel des fonds promis concerne des prêts que l’Egypte devra un jour ou l’autre rembourser. On reparlera tôt ou tard du coût économique des événements de l’été 2013 », relève un universitaire pourtant peu suspecté de sympathie pour les Frères musulmans.

Par ailleurs, comme le relève Hani Tawfiq, le président de l’Union arabe pour l’investissement direct, l’Egypte a surtout besoin de projets économiques pour à la fois équilibrer sa balance des paiements mais aussi pour résorber le chômage et la pauvreté. « Il faut 15 milliards de dollars d’investissement directs étrangers (IDE) pour relancer l’économie et réduire les grands déséquilibres financiers qui affectent l’Egypte ». En d’autres temps, un tel pari aurait pu être gagné. Mais en l’état actuel du pays, avec notamment l’incertitude politique, on est en droit de s’interroger sur la capacité de l’Egypte d’attirer de vrais investisseurs plutôt que des bailleurs de fonds aux arrière-pensées politiques évidentes.