Sous menace majeure

Sous menace majeure

par M. Saadoune, Le Quotidien d’Oran, 16 décembre 2014

Pour de mauvaises raisons, la Libye a été la cause d’une très petite reprise des cours pétroliers. La bataille engagée ces dernières heures par Fajr Libya, une alliance autour de la puissante milice de Misrata, pour le contrôle des terminaux d’Es Sider et de Ras Lanouf, le premier et le troisième en ordre d’importance dans le pays, a entraîné l’arrêt des exportations. Avec cet infime impact sur les prix. La Compagnie pétrolière libyenne a déclaré la situation de «force majeure» pour se protéger juridiquement contre l’incapacité à respecter les contrats d’approvisionnement.

Mais la situation libyenne avec ses escalades et ses fausses rémissions n’est pas de nature à changer la donne pétrolière. Les marchés sont plus attentifs aux propos délibérément déprimants du ministre émirati de l’Energie annonçant que l’Opep ne baissera pas sa production même si le prix du baril plongeait vers 40 dollars. Une provocation en forme de prophétie auto-réalisatrice qui donne à croire que c’est l’objectif fixé par les pétromonarchies du Golfe pour mettre à genoux l’économie de l’Iran et d’autres pays. Les Bourses du Golfe ont perdu dans la seule journée de dimanche la bagatelle de 42 milliards de dollars dont 15,4 pour l’Arabie Saoudite et 10,3 milliards pour le Qatar en raison de la chute des prix du pétrole.

Quand après une aussi grosse perte, un ministre annonce froidement que l’Opep ne fera rien même si les prix plongent à 40 dollars, il est difficile de continuer à parler de «théorie du complot». Les monarchies sont bien engagées dans une guerre des prix coûteuse et, probablement, vaine. Pour la Libye, ce n’est pas seulement le secteur pétrolier qui est en situation de « force majeure». C’est tout le pays qui est sous menace majeure. L’année 2014 se termine dans l’accentuation des divisions et une escalade des affrontements qui menacent même les infrastructures pétrolières. Un processus de décomposition qui semble mener inexorablement vers l’éclatement en plusieurs entités. Le pays a déjà deux gouvernements et deux parlements. Et comme il a une multitude de milices, les paris peuvent être ouverts sur un troisième voire un quatrième gouvernement…

Le régime Kadhafi a été abattu par l’Otan, les «thowars» sont en passe de poursuivre le «travail» en détruisant ce qui reste. Les structures politico-administratives mises en place après la chute de Kadhafi ont été défaillantes avant de s’effondrer littéralement. Les milices font la loi et mènent une guerre sans fin alimentée de l’extérieur. Les efforts destinés à amener les protagonistes de la crise à chercher une solution politique consensuelle s’avèrent vains. L’Algérie, inquiète à juste titre de l’évolution de la situation d’un pays voisin transformé en poudrière géante, voit ses efforts de médiation contrariés par une implication partisane de l’Egypte qui aggrave le problème.

Ramtane Lamamra a encore souligné récemment à Oran que le dialogue entre Libyens est la «seule voie pour parvenir à une réconciliation nationale». Mais il n’existe pas de voie royale pour amener les Libyens à emprunter cette voie. Au contraire, le poids des incitations extérieures – et elles sont puissantes – les en éloigne. La Libye a été «débarrassée» de Kadhafi pour plonger dans le chaos. Elle est encore, trois ans après, dans une année zéro. Pratiquement dans le néant.