Habbache : «Boumediène avait conseillé à Arafat de me liquider»

Habbache : «Boumediène avait conseillé à Arafat de me liquider»

par De L’un De Nos Correspondants A Paris S. Raouf, Le Quotidien d’Oran, 3 février 2008

Avant de tirer sa révérence la semaine dernière, Georges Habbache ne tarissait pas d’éloges sur le «formidable» soutien de l’Algérie. Un témoignage qui fait oublier les silences de Arafat au soir de sa vie.

Le bruit avait bien circulé, mais aucun officiel n’est en mesure d’en confirmer ou d’en infirmer la teneur. En 1994, Liamine Zeroual, alors président de l’Etat, aurait pesté contre Yasser Arafat. Sous les yeux de son entourage immédiat, il se serait allé à une de ces colères émotives dont il était coutumier. Motif de son attitude courroucée : la mémoire courte d’Abou Ammar.

Tenus en l’absence du Palestinien et en dehors de tout cadre officiel, les propos informels de l’ancien locataire d’El-Mouradia auraient pointé l’ingratitude d’Arafat et ses silences mémoriels. De retour de Washington où il avait signé les accords de paix, l’homme au keffieh légendaire avait enchaîné les tournées arabes et multiplié les déclarations de presse.

Bien des pays avaient eu leur part de remerciements pour leur «soutien à la cause palestinienne». Y compris ceux avec lesquels les Palestiniens avaient eu maille à partir. De l’Algérie, soutien de la Palestine «Dhalima am Madhlouma» (coupable ou victime) selon la formule de Boumediène, il n’en avait pas été beaucoup question. Longtemps le plus audible dans le discours de Arafat, le mot «Algérie» était passé progressivement sous silence. A peine s’il était prononcé du bout des lèvres.

Avéré ou non, ce détail anecdotique résume l’état d’esprit qui, au gré des discordes arabes, a imprégné la relation entre l’Algérie et l’OLP. Il est de notoriété publique que les rapports avaient perdu de la chaleur qui étaient la leur dans les années 1960, 1970 et 1980. Avec Oslo, étape inaugurale d’un processus de paix toujours en quête de gain, le mot «Algérie» se faisait de plus en plus désirer dans les propos d’Abou Ammar.

Isolé de toutes parts, confiné dans le réduit de la «Moqataa», malade, Arafat est mort en 2004. Il est parti sans avoir sacrifié à l’exercice mémoriel. Sans s’être livré à un inventaire lucide des lieux arabes, sans avoir rappelé qui a fait quoi pour la cause palestinienne. Autre figure de proue de la résistance palestinienne, Georges Habbache a sacrifié à l’exercice. Hasard du calendrier, le leader du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) vient de tirer sa révérence une semaine après la sortie, chez Fayard (Paris), de ses mémoires (1). Un précieux éclairage de 320 pages d’un pan important de l’histoire du monde arabe.

Synthèse d’une centaine d’heures d’entretiens avec le journaliste du Figaro Georges Malbrunot, le livre se présente sous des facettes différentes. Il est à la fois un inventaire sur un demi-siècle de combat, un remise en perspective de la question palestinienne à la lumière des changements du monde et de ses désordres et un testament politique. Parcourues par un lecteur algérien, ses pages valent par les témoignages en termes forts sur l’attitude algérienne.

Au soir de sa vie, Habbache ne tarissait pas d’éloges sur le rapport de l’Algérie aux Palestiniens. Sur le plan du principe d’abord. «Depuis son indépendance, l’Algérie a toujours soutenu le camp palestinien. Alger est même l’un des rares pays à s’être rangés d’une façon claire aux côtés du peuple palestinien». Les faits sont légion qui confortent cette conviction. C’est à Alger lors d’un sommet arabe extraordinaire que l’OLP avait gagné le statut de «représentant unique et légitime du peuple palestinien». A Alger que le Conseil national palestinien avait adopté ses décisions les plus décisives. A Alger que l’acte de naissance de l’Etat palestinien a été délivré.

Convaincu par le vieil adage selon lequel «c’est dans l’adversité qu’on reconnaît ses amis», Georges Habbache n’avait pas oublié les nombreux secours algériens. Ainsi en est-il de son hospitalisation «très mouvementée» en janvier 1992 à Paris. Censé être secret, son séjour médical avait été dénoncé par une partie de la classe politique française. A coups de manchettes et de titres en ouverture des «JT», journaux et chaînes TV vitriolaient la présence du «terroriste». Dans un climat pour le moins détestable, «Hakim» et son épouse Hilda avaient redouté le pire : une arrestation par la justice française, une extradition vers Israël, une opération coup-de-poing. Aussi, s’étaient-ils résignés à remettre leur sort entre les mains de l’Algérie.

Dans cette affaire, «les Algériens ont été formidables. Comme je voyageais sur passeport diplomatique algérien, Hilda appela Lakhdar Brahimi, un vieil ami, qui était à l’époque ministre des Affaires étrangères. Il se chargea personnellement de gérer l’affaire. Nous voulions qu’Alger convainque les Français de nous laisser repartir en toute sécurité (…) Brahimi avait tenté de nous joindre à l’hôpital mais, à chaque fois, on lui répondait que je n’étais pas disponible».

Les Habbache avaient été fortement marqués par cet épisode. Et pour cause. «Israël avait réclamé que je leur sois livré par les autorités françaises». Au terme d’une des affaires les plus rocambolesques de la Vème République, Paris avait accepté d’»en finir avec ce scandale». Georges avait échappé au «pire» tant redouté par Hilda. «Je resterai à vie reconnaissant à l’Algérie de la solidarité qu’elle m’a manifestée dans cette affaire».

Autre secours algérien inoubliable, la mauvaise passe sanitaire d’août 1980. Habbache découvrait en même temps que les siens un verdict clinique guère rassurant. Il souffrait d’un début d’hémorragie cérébrale qui finira par paralyser une partie de son corps. Hospitalisé en catastrophe à Beyrouth en proie à la guerre et exposé au Mossad, il souhaitait poursuivre son traitement sous des cieux plus sécurisés. L’Algérie «avait envoyé un avion médicalisé avec à son bord les médecins du Président Chadli pour pouvoir nous emmener jusqu’à Alger». Les Habbache ont «apprécié cette position noble, mais les préparatifs avaient déjà été accomplis pour aller à Prague», via l’aéroport de Damas.

Entre l’Algérie et le FPLP, les relations avaient mis du temps avant de se nouer. C’était au milieu des années 1970, une décennie après l’installation du Fath et de «La voix de la Palestine» dans les studios de la radio à la rue Hoche. C’est à partir de 1975 que Boumediène «a renforcé les relations» entre Alger et le FPLP. Datée de 1975, la première rencontre entre les deux hommes avait tourné autour d’une révélation. Boumediène «se montra très clair avec moi». Pour la circonstance, il «avoua avoir jadis conseillé à Arafat de liquider les dirigeants de toutes les autres factions palestiniennes, y compris ceux du FPLP».

Pour quelles raisons, le chef du Conseil de la révolution avait-il «vendu» au chef de l’OLP l’idée de liquidation physique. Réponse de Habbache : «Pour Boumediène, en effet, la lutte ne pouvait aboutir s’il existait des divisions entre nous. A l’image de la guerre d’Algérie et du FLN, il recommandait le parti unique, dirigé par une seule tête. Boumediène avait donc conseillé à Arafat de me liquider», rappelle le leader du FPLP sur le ton de l’exclamation.

«Il changea ensuite de point de vue quand il comprit mieux sa position à la tête du Front populaire. Je n’oublierai pas non plus son voyage à Moscou en 1973, lorsqu’il demanda aux Soviétiques d’aider les armées arabes -en premier lieu l’Egypte – à affronter Israël», note Habbache, en précisant son témoignage. «Boumediène me répétait souvent qu’Arafat devait clarifier sa position sur Sadate, car elle était ambiguë».

A en croire Habbache, l’Algérie n’a jamais financé ni fourni des armes à son mouvement. «Nous avions passé un accord portant sur des bourses d’études en Algérie pour des étudiants du FPLP, mais il ne fut jamais question d’aide financière». En revanche, elle accordait des «facilités» de type «passeports diplomatiques» aux dirigeants du front. Les Algériens «se montrèrent présents dans les moments politiquement difficiles» pour le FPLP et les Palestiniens.

Absent de l’espace médiatique arabe à cause d’une ligne politique qui n’était guère au goût d’une majorité de régimes, le chef du FPLP fait justice à la presse algérienne d’avoir assuré une visibilité à son mouvement. A Alger, Beyrouth ou Damas, il se prêtait bien volontiers aux demandes d’interviews de nos confrères. Si le poids du temps ne lui permettait plus de s’en rappeler les noms, il ne l’empêchait pas, au soir d’une vie, d’en dire un mot. «Elle nous réservait un espace pour médiatiser nos actions». Une allusion à une multitude d’articles et d’interviews signés Abed Charef, Akli Hamouni, Maâchou Blidi, Abdelaziz Sbaa,… etc.

(1) : Georges Habbache : Les révolutionnaires ne meurent jamais. Conversations avec Georges Malbrunot. Fayard.