Que reste-t-il aujourd’hui du droit international?
Jean-François Verdonnet, Tribune de Genève, 12 août 2006
La guerre engagée au Liban s’analyse, côté israélien, non pas comme une offensive en un territoire ennemi, mais comme une riposte à l’agression d’une milice armée: depuis un mois, Israël répliquerait à l’agression lancée par le Hezbollah à la frontière israélo-libanaise.
Les faits ne sont pas contestés: il y eut bien le 12 juillet une attaque armée, suivie de l’enlèvement de deux soldats israéliens. La transgression du droit international ne fait pas de doute – du moins, si l’incident s’est bel et bien déroulé au-delà de «la ligne bleue». Ce qui est discuté, en revanche, c’est la relation, excessive ou non, entre l’action du Hezbollah et la réaction de Tsahal. Autrement dit «la proportionnalité de la riposte».
Conflit international
L’histoire de la région est riche en incidents transfrontaliers. Depuis le retrait du LibanSud, en 2000, Israël a, à plusieurs reprises, violé l’espace du pays voisin au cours d’opérations ponctuelles et limitées.
Les événements de juillet marquent une rupture. La capture de deux de ses militaires mettait-elle en danger la sécurité de l’Etat hébreu? Constituait-elle pour lui une provocation de nature particulière qui justifiât le passage à l’état de guerre? Car c’est bien de cela dont il s’agit: porter atteinte à la souveraineté d’un Etat, le soumettre à des bombardements incessants, causer la mort de nombreuses victimes civiles, ce n’est pas se livrer à une simple opération de police: c’est, affirme Vera Gowlland, professeur de droit international à l’IUHEI (Genève) prendre la responsabilité d’ouvrir «un conflit international».
Questions ouvertes
Le constat n’est pas indifférent. Il contraint à énoncer les questions qui définissent la légalité du recours à la force. L’attaque du Hezbollah peut-elle être considérée comme une agression armée? Était-elle d’une intensité telle qu’Israël se trouvait placé en état de légitime défense, conformément à la définition de la Charte des Nations Unies? Dans cette hypothèse, la réplique qui a suivi est-elle à la mesure du coup porté?
Les juristes posent des questions auxquelles ils se gardent encore de répondre. «Il faut déconstruire le discours israélien», estime toutefois Mme Gowlland, qui souligne les contradictions de l’Etat hébreu, prompt à dénoncer l’inapplication au Liban de la résolution 1559 du Conseil de sécurité, mais déterminé aussi à ignorer tant les nombreuses résolutions de ce même Conseil que l’avis consultatif de la Cour internationale de justice sur la construction d’un mur en Palestine.
Attaques indiscriminées
Prudent lorsqu’il aborde le droit à la guerre invoqué par Israël – le jus ad bellum – le discours juridique se fait un peu plus ferme sur le respect du droit dans la guerre – le jus in bello.
Le ton a été donné par Louise Arbour, la haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme: «Le nombre de morts et leur caractère prévisible, a-t-elle rappelé, pourraient engager la responsabilité personnelle des personnes impliquées, en particulier de celles aux postes de commande et de contrôle.»
Ce qui est en cause, c’est l’effacement de la distinction entre civils et combattants telle que l’établissent les Conventions de Genève. «Le droit à la vie est protégé par tous les instruments des droits de l’homme; il persiste aussi en temps de guerre», relève Vera Gowlland. Or, ajoute-t-elle, «il est violé lorsqu’est bafouée la distinction entre civils et combattants – règle primordiale du droit humanitaire».
Le conflit en cours porterait donc en lui un sinistre renversement: mené au nom de la lutte contre le terrorisme, il violerait les valeurs mêmes que l’on prétend promouvoir.