Liban: Détournement d’enquête

DETOURNEMENT D’ENQUETE

par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 30 octobre 2010

La situation se tend dangereusement au Liban. Les «enquêtes» du Tribunal spécial sur le Liban (TSL) sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri ciblent ouvertement le seul Hezbollah et prennent un tour plutôt étonnant. Les enquêteurs du Tribunal spécial se sont en effet rendus dans une clinique de la banlieue sud de Beyrouth pour demander les dossiers gynécologiques d’un certain nombre de patientes.

L’exigence est tellement surréaliste au regard de la mission présumée du Tribunal spécial qu’elle a suscité l’indignation et la colère des femmes présentes dans l’établissement. On comprend aisément que ces femmes ne trouvent aucune légitimité à une démarche qui peut paraître absurde mais qui conforte l’hostilité d’une bonne partie des Libanais contre un tribunal dont la vocation n’est plus la manifestation de la vérité sur l’assassinat de Rafic Hariri, mais de servir de couverture à des objectifs politiques.

La colère des femmes présentes dans l’établissement a été relayée par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui a demandé aux Libanais de cesser toute collaboration avec le TSL.

A l’évidence, pour le chef d’un mouvement qui se sait la cible privilégiée d’Israël et de ses soutiens occidentaux, cette dernière demande des «enquêteurs» du tribunal est aussi insultante qu’incongrue. Quel rapport peut-il en effet exister entre la mort de Rafic Hariri et les problèmes intimes de citoyennes du pays du Cèdre ? Cette intrusion «gynécologique» est en quelque sorte la cerise sur la gâteau d’une enquête qui ressemble fort à de la collecte d’informations pour le compte d’un ou de plusieurs services de renseignements.

Les Sherlock Holmes du TSL ont déjà demandé et obtenu tous les dossiers des étudiants au Liban dans les universités privées et publiques de 2003 à 2006. Ils ont exigé l’ensemble des données des sociétés de télécommunications du pays, les ADN et les empreintes digitales de centaines de personnes, ainsi que le registre complet des abonnés à la Société de l’électricité. La liste n’est pas complète.

Beaucoup de Libanais, et pas seulement les dirigeants du Hezbollah, estiment qu’avec cette intrusion dans les dossiers médicaux féminins, un seuil a été franchi.

Comment en effet comprendre qu’une enquête puisse se donner une aussi vaste population comme sujet d’enquête – les Libanais alors que le monde entier n’ignore rien des manipulations qui ont entouré les activités du Tribunal spécial, qui avait décidé d’orienter ses accusations contre la Syrie et pour lesquelles des faux témoins ont été obligeamment trouvés ? Des responsables libanais de services de sécurité ont croupi pendant des années en prison avant d’être élargis. Saad Hariri a fini par admettre qu’on a faussement accusé la Syrie.

Le Hezbollah a toutes les raisons de douter de l’honnêteté d’une enquête qui a exclu d’emblée Israël de la liste des suspects. Le Tribunal spécial pour le Liban, au lieu de s’expliquer sur ces exigences pour le moins ahurissantes, fait mine de s’indigner contre une «tentative délibérée d’entrave à la justice».

A défaut de répondre sur les raisons qui justifieraient une collecte d’informations privées sur des centaines de milliers de Libanais, chiites sans doute, le TSL discrédite la justice internationale et approfondit une suspicion légitime de collecter des informations sans rapport avec l’objet de son enquête.