Mokrane Aït Larbi: «Le régime en crise, l’Etat en danger»

Mokrane Aït Larbi appelle à un dialogue large

«Le régime en crise, l’Etat en danger»

El Watan, 6 octobre 2014

L’avocat défend l’option du «rôle de l’armée pour convaincre le Président ou la Présidence de prendre des dispositions urgentes et audacieuses» en rappelant l’épisode de la «démission» de Chadli Bendjedid.

Avons-nous tiré une leçon des événements d’Octobre 1988 ? Plus de deux décennies après cette répression meurtrière, «la pensée unique et ses pratiques sont de mise», regrette le militant des droits de l’homme Mokrane Aït Larbi. Dans une déclaration rendue publique hier, il rappelle les dérives sanglantes intervenues au lendemain d’une révolte populaire réclamant liberté et démocratie. «Aucun Algérien n’avait imaginé une nouvelle tragédie qui allait coûter 200 morts, des milliers de disparus et des massacres collectifs. Tout comme il était difficile d’imaginer que des éléments de la Gendarmerie nationale allaient utiliser des armes de guerre contre des jeunes manifestants pacifiques dans la région de Kabylie», s’exclame l’avocat.

Pour lui, ces événements sont «la conséquence d’une crise multidimensionnelle qui devait amener la classe dirigeante et l’opposition à un dialogue sur les raisons et les conséquences de cette tragédie et ce qu’il fallait faire pour en sortir, mais le pouvoir a fait le choix de se maintenir pour servir les intérêts de groupes et la l’opposition n’a pas pu se hisser à la hauteur des événements», analyse Me Aït Larbi.
Vingt-six ans après la révolte d’Octobre, la situation politique du pays demeure incertaine et les leçons des crises successives aux conséquences tragiques n’ont pas été tirées. «Le régime en crise se voile derrière un président que personne n’a vu ni entendu depuis la prestation de serment et fait semblant (le régime) qu’il se porte bien et qu’il gère les affaires de l’Etat de manière ordinaire», égratigne Me Aït Larbi, non sans reprocher à l’opposition le «manque d’idées novatrices et claires et d’une crédibilité pour proposer un projet abouti pour pouvoir participer à un changement avec des moyens pacifiques ce qui la pousse parfois à mettre sur la table l’article 88 de la Constitution pour constater la vacance du pouvoir et organiser une présidentielle anticipée».

Me Aït Larbi n’y croit pas. Il est quasi impossible d’actionner cet article au prétexte que «le Conseil constitutionnel et le Parlement ne sont pas indépendants», rappelle l’avocat, qui défend l’option du «rôle de l’armée pour convaincre le Président ou la Présidence de prendre des dispositions urgentes et audacieuses» en convoquant l’épisode de la démission de Chadli Bendjedid. «Aujourd’hui, l’Etat est en danger. De mon point de vue, le commandement de l’armée peut convaincre le Président que tout le monde, encore une fois, est dans un seul bateau et travailler à la recherche des moyens pouvant le mener à bon port.»

Il s’agit, selon l’avocat, de «désigner une personnalité nationale qui a démontré son attachement à la nécessité de construire un Etat démocratique et social comme Premier ministre, avec la possibilité de former un gouvernement de compétence. La mission est d’élaborer un programme exceptionnel — pour ne pas dire de transition — en concertation avec la Présidence, les partis et des personnalités, approuvé par l’Assemblée nationale».

Précisant davantage sa démarche, l’ancien membre fondateur du RCD préconise que le Parlement «élabore un projet de Constitution consensuel, amender les lois importantes comme celles portant sur les élections, les partis, les associations, les médias, mettre en place des mécanismes de protection des libertés publiques et des droits de l’homme et trouver des mécanismes pouvant permettre de tenir de véritables élections législatives». La période qui nous sépare des prochaines législatives de 2017 est «largement suffisante pour appliquer ce programme», assure-t-il.
Hacen Ouali