Sahara Occidental: Pressions sur Alger

Sahara Occidental

Pressions sur Alger

Par Samia Lokmane Liberté, 12 juillet 2004

La visite aujourd’hui à Alger du locataire du Quai d’Orsay, Michel Barnier, intervient 48 heures avant celle qu’effectuera le nouveau Chef du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero. Ces déplacements presque simultanés sont-ils le fruit d’un simple hasard du calendrier ou émanent-ils d’une action diplomatique concertée entre Paris et Madrid ?
Dans une interview du ministre ibérique des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, parue hier dans le quotidien El Mundo, préfigure une convergence de vue des deux pays dans leurs relations avec l’Algérie. “Le rapprochement (de l’Espagne) vers la France est aussi un rapprochement pour esquisser conjointement une stratégie à l’égard de l’Afrique du Nord et que le message reçu à Alger, Rabat et Tunis soit le même, qu’il vienne de Paris ou de Madrid”, a préconisé le chef de la diplomatie espagnole. Le but étant selon lui “d’impulser un projet de modernité de l’autre côté de la Méditerranée” et contribuer à la construction d’un espace communautaire. Néanmoins, Moratinos pose une condition. À ses yeux, la réalisation d’une unité maghrébine dépend essentiellement de la solution du conflit du Sahara occidental. Le mot est lâché ! L’ancienne colonie de Sakia El-Hamra et Rio de Oro constitue un problème pour Madrid. Le contentieux y référant hypothèque ses ambitions de partenariat avec le Maghreb. Quelle est donc la solution ? Longtemps, le royaume espagnol s’est montré solidaire avec la cause de sa province séculaire en appuyant le plan de règlement onusien sur la base d’un référendum. Mais force est de constater que cette position a subi quelques réajustements depuis l’avènement des socialistes au pouvoir, au printemps dernier. En se rendant en avril à Rabat — un mois à peine après sa nomination à la tête du gouvernement —, José Luis Zapatero a fait preuve d’un empressement singulier. Il s’est attelé, durant son séjour, à faire oublier l’incartade de son prédécesseur, qui, en 2002, avait provoqué une brouille diplomatique à propos “d’un petit caillou”, du nom de Persil, cette île minuscule dont les deux voisins se disputent la propriété. Le Premier ministre espagnol fera mieux que de normaliser les relations avec le Maroc. En guise de présent, il offrira à ses hôtes une concession de taille. Si Madrid tient toujours à ce que les Nations unies fassent valoir leur rôle dans le règlement du problème du Sahara Occidental, elle prône surtout une solution négociée entre ceux qu’elle considère comme les parties prenantes, à savoir, l’Algérie et le Maroc et ce, afin d’instaurer une stabilité durable en Afrique du Nord. Inédit, le discours des autorités ibériques rejoint celui défendu par la France. À cette différence près, que l’Hexagone a toujours milité pour cette façon de faire. Désormais, elle n’est plus seule. Paris a trouvé en Madrid un allié. Pour sa part, Rabat peut compter sur ces deux soutiens afin de plaider sa cause dans le concert des nations, mais surtout pour infléchir la position de l’Algérie, l’un de ses adversaires les plus farouches sur la question du Sahara. Nonobstant le resserrement des liens bilatéraux, les visites de Barnier et de Zapatero à Alger s’inscrivent assurément dans cette optique. Ce forcing diplomatique aura-t-il la chance d’aboutir ? Officiellement, la France évite de se prononcer sur le sujet. Au cours de ses derniers déplacements à Alger, le président Chirac a démenti avoir entrepris une quelconque médiation entre Alger et Rabat. De telles déclarations de foi n’excluent pas le travail en coulisse et les pressions constantes, d’autant plus qu’un troisième partenaire et non des moindres, en l’occurrence Washington, s’est mis de la partie. En recevant son homologue marocain, le roi Mohamed VI, la semaine dernière, le président Bush l’a exhorté à “travailler en rapprochement avec le voisin, l’Algérie, afin de créer un environnement favorable au règlement de la question du Sahara Occidental”. Pour autant, le locataire de la Maison-Blanche s’est dit attaché à l’application du plan Baker. Reste-t-il réellement quelque chose de ce plan alors que son concepteur a claqué la porte le 13 juin dernier ? Dans les semaines qui ont suivi cette démission, le souverain alaouite a entamé une tournée en Afrique dans l’objectif de réintégrer l’union continentale dont il est exclu en raison de l’affaire sahraouie. Certains chefs d’État, à l’instar du président du Sénégal, ont appelé à son retour au sein de l’UE. En fin de compte, ce ne sont pas les Sahraouis qui posent problème pour Rabat, mais les Algériens. Motivés par l’instauration de la paix en Méditerranée, aux prises avec la menace terroriste, et ce, grâce à une parfaite entente maghrébine, les démarcheurs du royaume alaouite entendent pousser Alger à sacrifier le Polisario. Son retour sur la scène internationale et les avantages économiques qui en découlent, seraient les tributs de cette concession. Bouteflika cédera-t-il ?

S. L