La reproduction de la colonisation en métropole

La reproduction de la colonisation en métropole

Le cas de la politique française de l’immigration

Par Zine-Eddine Zemmour, Le Quotidien d’Oran, 19 décembre 2005

Après la loi sur la reconnaissance des bienfaits de la colonisation, vient le traitement sécuritaire de la crise d’identité que vit la France avec ses jeunes qu’on désigne par l’anachronisme «issus de l’immigration» et que l’Etat français traite comme il traitait les indigènes de ses colonies.

Nous les appellerons «les jeunes issus de la colonisation». Leur parents sont certes des immigrés issus des anciennes colonies pour travailler dans les industries françaises qui ont connu un essor certain après la Seconde Guerre mondiale. Ils n’étaient pas censés rester et vivre en France. La recherche, par les différents gouvernements, de l’efficacité économique après la perte des colonies, les a poussés à reproduire sur leur propre sol des espaces territoriaux et humains dont le traitement serait de type colonialiste. Après le travailleur immigré isolé (l’indigène), est arrivée la femme de l’indigène qui est réservée seulement à la reproduction des petits indigènes. Après trois générations, les mères et les pères sont restés analphabètes et les moins formés de l’ensemble de la population française ! Les enfants nés en France sont formés pour suppléer aux parents. Mais la modernisation de l’activité économique oblige à les former pour se substituer à leur parents dans les postes les plus bas de l’échelle hiérarchique des entreprises lorsqu’ils ont un emploi ! Ils sont dans les emplois qui leur sont réservés: insalubres (ex: le nettoyage), ou dangereux (ex: la sécurité), ainsi que les plus pénibles (ex: caissière), et les moins bien payés ainsi que les moins cotés en terme de valeur sociale !

Mais l’occupation la mieux répartie entre les membres de cette population est plutôt… la recherche de l’emploi ! Question d’habitat, exit les centres, bienvenue en périphérie; exit les quartiers chics, bienvenue dans les douars, dans le nord de la France – anciennement minier – (Douai, Les Clochettes, Dechy, Brebières, etc.), et dans la périphérie parisienne: les banlieues sont la formule nouvelle du plan de Constantine.

On parque, on surveille, on contrôle, et on puise ce dont on a besoin en terme, pas de khemmès, mais d’ouvriers pour aller travailler dans les centres urbains et à leur proximité. La carte de l’habitat immigré d’aujourd’hui se calque sur celle du bidonville des parents (Nanterre et les banlieues nord et ouest de Paris). Cette même carte reproduit le schémas des bassins de l’emploi des «parents immigrés» et se calque aujourd’hui avec les bassins des «cités» du désespoir. De la violence sous toutes ses formes, à commencer par la violence des choix architecturaux et des choix politiques de parcage uniforme des anciens indigènes avec leurs enfants, les jeunes Français issus de la colonisation.

A la cité de La Courneuve, un Ange deviendrait Satan ! Et aujourd’hui, la seule réponse aux cris de révolte des jeunes, c’est de sanctionner les parents «qui n’arrivent pas à affirmer leur autorité sur leurs enfants» ! On veut créer une catégorie de supplétifs sous la contrainte de la loi parmi les parents ! La famille maghrébine est connue – sociologiquement – par la fermeté des parents quand il s’agit de l’éducation des enfants ! Mais à l’école républicaine française, une gifle en guise de correction, reçue par un enfant, est sanctionnée socialement et pénalement: le parent en question, analphabète de surcroît – qu’on n’a pas jugé utile de former pour préserver la docilité au travail et le maintien dans la condition d’indigénat au travail – est jugé inapte dans l’éducation des enfants et on les lui retire pour en faire un enfant en difficulté car séparé de ses parents !

A qui la faute lorsque la misère économique et sociale s’ajoute à ce tableau ? A la politique migratoire de type colonial qui tente de reproduire le schéma organisationnel du système colonial avec la création judicieuse et combien «paternaliste» d’un nouveau rapport à l’indigène au sein même du territoire de la République ! (*)

Les différents gouvernements de gauche comme de droite ont moulu leurs grains sur la thématique de l’immigration comme un support électoral, et ceci jusqu’à récemment avec l’UMP (parti de l’Union de la majorité présidentielle) et du Parti socialiste, qui s’est abstenu lors du vote de la loi sur les «bienfaits de la colonisation» et qui est revenu à la charge en déposant une motion pour le retrait de son article 4, qui a avorté.

Profitant des difficultés des jeunes Français issus de la colonisation avec «le gouvernement colonial », le Parti socialiste, qui a cru bon et opportuniste de récupérer les voix des «nouveaux indigènes» en quête de libération du joug du système colonial français actuellement en vigueur – et qui passe pour être une politique de traitement de l’immigration -, a vu son idée rejetée. Car, derrière cette tentative d’apaisement de la crise «des jeunes issus de la colonisation» par la récupération politique de bas étage, il y a un consensus autour du traitement colonial des questions migratoires des individus issus des anciennes colonies, un traitement différencié par rapport à celui qui est réservé aux autres migrants issus des anciens empires coloniaux: espagnols, portugais ou italiens.

Le traitement réservé aux «jeunes issus de la colonisation» lors de la crise montre la proximité et l’impressionnante ressemblance dans les moyens et les méthodes utilisés par la puissance coloniale dans son traitement des populations colonisées (**): les indigènes d’un côté et les colons de l’autre. Les Français de souche européenne aujourd’hui sont traités différemment des jeunes Français issus de la colonisation. Les cas de réussite – si rares et très médiatisés actuellement – remplissent une fonction bien précise: c’est la justification du traitement des jeunes Français issus de la colonisation (les nouveaux indigènes), et qui consiste à dire: «Si ces jeunes n’ont pas réussi, c’est qu’ils ne sont pas intégrés; ou ne sont pas insérés; ou ne se sont pas assimilés dans «la société française» ! On fait un clin d’oeil à la culture d’origine qui est FRANÇAISE et aussi une composante identitaire d’une frange de la population française des jeunes Français issus des colonies de l’empire jadis, et des nouvelles colonies fabriquées depuis maintenant plus de soixante ans sur le territoire de la République ! Ceci de la même manière: leur parents, les anciens indigènes des colonies, ne se sont pas assimilés, ne se sont pas intégrés, ne se sont pas insérés dans l’empire colonial et se sont libérés du joug colonial par… la révolte eux aussi. Le langage utilisé: l’assimilation, l’intégration, l’insertion sont, à tour de rôle, ce que les politiques comme les spécialistes des études migratoires appellent consciemment ou inconsciemment la politique migratoire de la France.

* Le curriculum vitae anonyme a été rejeté par le pouvoir actuel en France. En plus de cela, un militant associatif (d’origine maghrébine) d’une grande association était lui-même victime de discrimination et d’exclusion après s’être pleinement investi dans la campagne pour les législatives gagnée en Seine-Saint-Denis par le PS, alors qu’il a eu des promesses pour un poste d’adjoint au maire ! Niet !

** Couvre-feu: arrestations massives au faciès qui rappellent drôlement les ratonades du métro Charonne et celles qui ont suivi la manifestation des Algériens en 1960, le 17 octobre à Paris. Le maquis aujourd’hui, ce sont les banlieues françaises. Le fellaga, c’est le Noir et l’Arabe.