Algérie-France: La énième lune de miel ?

ALGÉRIE-FRANCE

La énième lune de miel ?

Le Soir d’Algérie, 20 octobre 2010

Les relations entre l’Algérie et la France sont-elles aussi bonnes que le laissent entendre Abdelaziz Bouteflika et Michèle Alliot-Marie ? Peu probable. Dans la réalité, de nombreux dossiers restent encore en suspens.
Tarek Hafid – Alger (Le Soir) – Lundi, le président Abdelaziz Bouteflika et Michèle Alliot-Marie, la ministre française la Justice, ont présenté une image idyllique des relations algéro-françaises. «Les relations sont très étroites, un peu comme dans un couple, un couple qui se connaît depuis longtemps (…) ce couple a toujours l’occasion de se réconcilier et de se retrouver de façon plus étroite», a déclaré, à cette occasion, la garde des Sceaux. «Les relations algéro-françaises se portent bien», renchérit Bouteflika, avec un large sourire. Mais ces propos à la «je t’aime, moi non plus», déclamés par une belle journée d’automne, ne constituent, en fait, qu’une petite parenthèse dans la crise latente qui caractérise les rapports entre les deux pays. Il faut dire que les jours qui ont précédé la visite algéroise de Michèle Alliot-Marie ont été particulièrement riches en évènements et en déclarations. Halim Benatallah, secrétaire d’Etat chargé de la Communauté algérienne à l’étranger, donne le la. «Les valeurs de Novembre s’inscrivent dans la durée. Il serait vain d’espérer qu’elles s’éteindront au fil du temps. Ce sont des valeurs universelles », lance-t-il à partir de Paris, lors d’une cérémonie de commémoration du massacre du 17 Octobre 1961. La phrase est loin d’être anodine. Elle vise directement le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, en réponse à sa sentence : «La génération de l’indépendance algérienne est encore au pouvoir. Après elle, ce sera peut-être plus simple.» Le même jour, à M’sila, Mohamed Chérif Abbas, le ministre des Moudjahidine la bête noire de Kouchner remet sur la table le principe de criminalisation des actes commis durant la colonisation. Selon lui, ces crimes sont «partagés par leurs auteurs directs et l’Etat français et, par conséquent, la sanction doit toucher les individus et l’Etat dans tous les aspects se rapportant aux droits de l’homme». Dans le registre de la «mémoire», du côté français, on ne reste pas inactif. Loin s’en faut. A Paris, on prépare activement l’installation de la «Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie». Prévue par l’article 3 de la loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, ou loi du 23 février 2005, cette fondation a pour objectif de «construire une mémoire commune» sur la base de «travaux historiques sérieux». Cet organe a finalement été installé hier par le secrétaire d’État français à la Défense et aux Anciens combattants. Le choix de la date — le lendemain des massacres du 17 Octobre — est, à lui seul, un message de défiance envers Alger. Les tensions entre les deux pays ne se limitent pas seulement au passé. Elles touchent surtout le présent. Le dossier sécuritaire au Sahel en est une preuve concrète. Le gouvernement français, confronté à la gestion du dossier de ses ressortissants pris en otages par les terroristes islamistes de l’Aqmi, tente d’imposer son leadership dans la sous-région. Le 13 octobre, Bamako accueille une réunion du Groupe d’action antiterroriste des pays du G8 (CTAG). Des experts des Etats-Unis, de la Russie, du Japon, du Canada, de la France, de la Grande- Bretagne, d’Italie et d’Allemagne rencontrent des représentants du Mali, du Maroc, de la Mauritanie, du Niger, du Burkina Faso, du Sénégal et du Nigeria. L’Algérie décline l’invitation. La rencontre, initiée par la France, mine les efforts consentis par les pays du Sahel visant à lutter contre le terrorisme dans le cadre d’un état-major commun. Pire, Alger voit d’un mauvais œil la présence du Maroc, pays qui n’a aucune frontière directe avec le Sahel. Donc, à la lueur de ces faits concrets, comment peut-on croire que les «relations algéro-françaises se portent bien»? A moins que la satisfaction affichée par Michèle Alliot-Marie ne cache autre chose ? La ministre de la Justice – qui, dit-on, est sur la liste des successeurs de François Fillon – a déclaré avoir évoqué «tous les domaines» avec Abdelaziz Bouteflika. Parmi ces domaines figurent la défense et l’intérieur, deux secteurs qu’elle connaît à la perfection puisqu’elle en a dirigé les départements. Une question s’impose : Alliot-Marie a-t-elle revêtu le costume de VRP pour tenter de décrocher quelques contrats ? Les frégates, les chasseurs, la modernisation des équipements militaires et le passeport biométrique pourraient constituer une dot intéressante pour lier le couple Algérie-France.
T. H.