Après le vote d’une loi pénalisant la négation du “génocide” arménien

Après le vote d’une loi pénalisant la négation du “génocide” arménien

Paris et la double lecture de l’histoire

Abdelkamel K., Liberté, 14 octobre 2006

À l’initiative du groupe parlementaire socialiste, l’Assemblée française a adopté, jeudi passé, par 106 voix pour et 19 contre, tous groupes politiques confondus, en première lecture, une proposition de loi rendant passible de prison la négation du génocide arménien. Il y a lieu de signaler que sur les 577 membres élus que compte le Parlement français, plus de 450 étaient aux abonnés absents lors du vote. Le texte en question, qui complète une loi de 2001 reconnaissant le génocide de 1915, stipule que toute personne, niant la réalité du génocide arménien pendant la première Guerre mondiale, sera punie d’un an de prison et d’une amende de
45 000 euros. Même si cette adoption n’est que la première étape du processus de promulgation de la loi, parce qu’elle sera également soumise au sénat avant une probable seconde lecture, il n’en demeure pas moins qu’elle a provoqué des réactions très hostiles, notamment à Ankara. Il suffit de consulter la une du journal turc à très fort tirage Hürriyet portant la manchette “Liberté-Égalité-Stupidité” pour se faire une idée de la colère qu’elle a suscitée dans ce pays. Outre des manifestations de rues, les officiels turcs, à commencer par le chef de la diplomatie, Abdallah Gull, qui a estimé que ce vote porte un “coup dur” aux relations franco-turques, ont unanimement condamné l’initiative française. Selon le ministre turc des affaires étrangères, la France “perd malheureusement sa position privilégiée au sein du peuple turc”. Pour rappel, Ankara avait averti qu’une adoption de la loi porterait un coup sévère aux relations bilatérales et que les firmes françaises se verraient dans ce cas exclues de marchés potentiellement fructueux. Ceci étant, même si le gouvernement Erdogan a indiqué qu’il ne lancerait pas d’appel pour le boycott des produits français. Il ne fait aucun doute que les businessmen turcs agiront en conséquence. Il est clair que les rapports entre Paris et Ankara pâtiront de l’adoption de cette loi qui n’a pas manqué de faire réagir la Commission européenne, laquelle a estimé qu’elle “empêcherait le dialogue pour la réconciliation” entre la Turquie et l’Arménie. Réagissant à l’événement, le chef du gouvernement français, Dominique de Villepin, en visite en Martinique, s’est désolidarisé en quelque sorte des députés, en déclarant que “ce n’était pas une bonne chose que de légiférer sur les questions d’histoire et de mémoire”. Maintenant, nonobstant le fait historique en lui-même, il y a lieu de s’interroger sur cette double lecture de l’histoire par les élus français. Ces derniers adoptent des lois pénalisant la négation d’un génocide commis à des milliers de kilomètres de Paris, et font preuve de négationnisme en refusant d’entendre parler des horreurs commises par l’armée française en Algérie durant les 132 années de colonisation.
Pis, ils ont été jusqu’à “pondre” la fameuse loi du 23 février qui loue les “bienfaits” de la colonisation, alors que l’Algérie, à travers le président Bouteflika, exige une reconnaissance du génocide perpétré dans notre pays par l’armée coloniale, et des excuses de l’État français. Pour rappel, les chiffres font état de 1 500 000 martyrs algériens, tombés sous les balles des soldats français. Paris, qui feint d’ignorer les méfaits de sa colonisation, devrait d’abord balayer devant sa porte au lieu de jouer à la “vierge effarouchée”, en prenant la défense d’un peuple en mesure d’arracher tout seul ses droits. L’Arménie n’a probablement pas besoin de la France pour trouver un accord sur la question avec la Turquie. Dans ce contexte, l’Union européenne a condamné hier le vote des députés français. Le président de la Commission européenne, José Manuel Durao Barroso, a déclaré hier : “Nous ne pensons pas que c’est opportun dans le contexte des relations de l’UE avec la Turquie.”

K. ABDELKAMEL