Essais nucléaires français : Un nouvel examen des demandes d’indemnisation rejetées

Essais nucléaires français : Un nouvel examen des demandes d’indemnisation rejetées

par Yazid Alilat, Le Quotidien d’Oran, 16 février 2014

Les essais nucléaires français, dans le sud algérien, restent impunis et leurs victimes algériennes non reconnues et ignorées. Pis, ces essais nucléaires, dont le premier tir aérien, le 27 décembre 1960, à Reggane, ont touché, aussi bien le sud que le nord de l’Algérie ; les nuages radio-actifs ayant affecté la péninsule italienne et l’Espagne. Selon une carte des retombées radioactives de ce premier essai nucléaire français, à Reggane, déclassifiée, en avril dernier, les nuages radioactifs avaient, alors, «voyagé» vers les pays africains de l’Est et de l’Ouest, au sud de l’Algérie, et vers l’Europe dont l’Italie et l’Espagne, au nord de l’Algérie. Cette carte, qui a été déclassifiée le 4 avril 2013, dans le cadre d’une enquête pénale, déclenchée par des vétérans des essais nucléaires français, montre l’étendue des retombées radioactives du premier essai nucléaire aérien, effectué dans le Sahara. C’était l’opération «Gerboise», un tir aérien d’une bombe nucléaire, le 27 décembre 1960, près de Reggane. Après «Gerboise bleue», il y a eu «Gerboise blanche, rouge et verte». Ensuite, suivront 13 autres tirs nucléaires, souterrains ceux-là, dans la région de Tamanrasset, à In Ecker, jusqu’en 1960. La carte publiée par «Le Parisien» montre, en fait, les zones de contamination du premier tir nucléaire français de Reggane, qui s’étendent au-delà du sud algérien, observées jusqu’à deux semaines après le premier tir aérien de février 1960.

Les retombées radioactives sont recensées au Mali, en Mauritanie, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Niger, en Centrafrique, au Tchad, au Ghana. Le parcours du nuage atomique est, en fait, établi: un jour après l’explosion, il traverse le désert, en fonction des vents, et atteint Tamanrasset. En l’espace de 24 heures, l’Afrique subsaharienne est touchée. En Afrique centrale, N’djamena et Bangui le sont, aussi. Trois jours plus tard, le nuage remonte vers l’Afrique de l’Ouest pour atteindre Bamako, quatre jours après l’explosion. Deux semaines après, toujours chargé de radioactivité, il atteint les côtes méditerranéennes espagnoles, ainsi qu’une bonne moitié de la Sicile, en Italie. Les effets sur les populations algériennes, qui ont servi de cobayes, à ces essais nucléaires, à Reggane, sont connus, et pour lesquels l’Algérie, par le biais d’associations, a toujours demandé, d’abord la reconnaissance par la France de ces tests, ensuite l’indemnisation de leurs victimes. Peine perdue, puisque les victimes algériennes de ces essais nucléaires ne seront ni reconnues et encore moins indemnisées. Et ce sont des vétérans français des essais nucléaires de la France, qui ont participé à ces tirs, qui ont réussi à faire déclassifier cette carte qui montre l’étendue du désastre de la course à l’armement nucléaire de la France. «Les militaires reconnaissent qu’à certains endroits les normes de sécurité ont été largement dépassées : à Arak, près de Tamanrasset, où l’eau a été fortement contaminée, mais aussi dans la capitale tchadienne de N’Djamena», écrit «Le Parisien», qui cite un spécialiste des essais nucléaires, Bruno Barrillot. Celui-ci décrypte la carte de l’armée française : «La carte du zonage des retombées montre que certains radioéléments éjectés par les explosions aériennes, tel l’iode 131 ou le césium 137, ont pu être inhalés par les populations, malgré leur dilution dans l’atmosphère». Selon lui, «personne n’ignore, aujourd’hui, que ces éléments radioactifs sont à l’origine de cancers ou de maladies cardio-vasculaires». Si les vétérans français des essais nucléaires de la France, en Algérie et en Polynésie, demandent réparation et à être indemnisés, les victimes algériennes ont, elles aussi, saisi la justice, et réclament des comptes à la France, notamment pour contrer ce mythe, longtemps colporté par les puissances nucléaires, de la «bombe propre». Le 22 janvier dernier, au Sénat français, la juriste algérienne Fatima Benbraham, avait rappelé qu’à ce jour «aucune des victimes de ces explosions n’a été reconnue comme telle», précisant que «54 ans après les essais atomiques à Reggane, 52 ans après l’accident de Béryl, à In Ecker, et 52 ans après l’indépendance de l’Algérie, aucune reconnaissance, de la part de la France coloniale, ni pour les victimes nucléaires, ni pour l’environnement».

POLYNESIE, LOI «MORIN»: LES ALGERIENS TOUJOURS VICTIMES NON RECONNUES

En outre, elle a dénoncé le caractère sélectif de la loi «Morin» sur la reconnaissance et l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, en Polynésie, mais pas en Algérie, ni aux dégâts causés à l’environnement. Sur les 32 dossiers de reconnaissance et d’indemnisation, déposés par les victimes algériennes, «tous ont été rejetés», en décembre 2012, par la commission «ad hoc» mise sur pied, à la faveur de la loi «Morin», car jugés «incompatibles» avec cette dernière. «Ils ont été refusés au motif que les pathologies déclarées ne rentrent pas dans le cadre de cette loi», a-t-elle affirmé. Pour continuer dans son cynisme, la France a confirmé, en décembre dernier, que les victimes algériennes de ces essais nucléaires ne sont, toujours pas, reconnues, en tant que telles, et donc ouvrant droit à un processus d’indemnisation. Le processus d’indemnisation de la loi «Morin» a été étendu «à toute personne ayant résidé ou séjourné sur la globalité du territoire de la Polynésie française, entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998, la possibilité de solliciter une indemnisation». Les essais nucléaires en Algérie restent, encore, officiellement, de la fiction pour le gouvernement français, l’actuel comme tous ses précédents, depuis 1960. Mais la situation pourrait changer, à la faveur de l’annonce d’un nouvel examen des demandes d’indemnisation, ayant fait l’objet d’une décision de rejet. Même que cette annonce concerne la Polynésie française, des observateurs soutiennent que cette brèche pourrait servir, aussi, aux victimes algériennes des essais nucléaires. En effet, le ministère de la Défense a publié, dans le Journal Officiel, en date du jeudi 13 février, une réponse à des questions écrites, posées par trois sénateurs, sur l’indemnisation des victimes des essais nucléaires. En novembre 2013, Georges Mabazée sénateur socialiste des Pyrénées atlantiques, Rémy Pointereau sénateur UMP du Cher et Jean-Marc Pastor, sénateur socialiste du Tarn, avaient pointé du doigt les difficultés de la mise en œuvre de la loi ‘Morin’ relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Les trois députés demandaient une adaptation de cette loi ‘Morin’ pour que le processus d’indemnisation soit plus efficace.

Dans sa réponse, du 13 février 2014, le ministère de la Défense français rappelle que: «le gouvernement suit avec la plus grande attention le dossier relatif aux conséquences sanitaires des essais nucléaires français». Par ailleurs, le 18 décembre 2013, une modification a été apportée à la loi ‘Morin’, étendant le processus d’indemnisation «à toute personne ayant résidé ou séjourné sur la globalité du territoire de la Polynésie française, entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998, la possibilité de solliciter une indemnisation». La réponse précise encore que : «au regard de cette évolution, il sera procédé à un nouvel examen des demandes d’indemnisation, ayant fait l’objet d’une décision de rejet, sur la base des délimitations concernant la Polynésie française, précédemment fixées par l’article 2 de la loi du 5 janvier 2010».