Il était une fois… la fraude

1979-2007

Il était une fois… la fraude

Dossier réalisé par M’hand Kacemi, Le Soir d’Algérie, 29 avril 2012

La fraude électorale n’est pas une vue de l’esprit de citoyens assoiffés plus que de raison de démocratie. Ni une revendication récurrente et itérative d’une opposition en mal de programme politique. Elle ne relève pas non plus du registre folklorique, si prisé chez nous, comme de nombreux cercles du pouvoir et de formations politiques tentent de le faire croire aux millions de citoyens électeurs algériens à la veille et au lendemain de chaque rendez-vous électoral, en criant au feu et au loup, avant de se murer dans un silence complice, conscient ou inconscient, jusqu’à l’échéance électorale suivante.

La fraude électorale constitue partout où elle se pratique, toujours illégalement faut-il le rappeler, une violence politique majeure qui inscrit son action corrosive au cœur même des ressources et «processus démocratiques », qu’elle corrompt, enlaidit, déprave, tout particulièrement les modes électoraux apparentés au suffrage universel, qui restent, pour le moment et en attendant mieux, les instruments cardinaux qui matérialisent le mieux les règles, le jeu et les pratiques démocratiques des Etats modernes. En Algérie, elle constitue désormais et depuis au moins l’ouverture du champ politique au pluralisme politique en 1989 la première des violences faites à la nation. Nous sommes même en droit d’affirmer, quelque peu gênés il est vrai aux encoignures, plus de vingt ans plus tard, et en mesurant nos mots, qu’elle est devenue par son caractère insidieux et amoral largement inscrite dans la durée, presque aussi grave que celle du terrorisme ! La fraude électorale a en effet, d’un scrutin à un autre, fini par prendre un caractère de moins en moins supportable. Son caractère récurrent, incorrigible, massif, parfois carrément grossier et violent, atteste de la fragilité et du caractère aventureux, délétère et fondamentalement hypocrite des processus de l’Etat de droit qu’elle déclare vouloir porter, promouvoir, quand ce n’est pas pour les «vendre» au premier des nombreux bazars électoraux qui prolifèrent, jour après jour, aux quatre points cardinaux du pays. Malgré toutes les mesures en trompe-l’œil initiées depuis la reprise du processus électoral interrompu en 1991 (commissions «indépendantes» de surveillance, participation des formations politiques au contrôle, remise de P-V des résultats…), la fraude dure et perdure. Avec elle perdurent les atteintes à des droits politiques fondamentaux, notamment le droit de participer aux élections selon le système du suffrage universel, le droit de prendre part au gouvernement et à la direction des affaires publiques, tant au niveau national que local. La fraude demeure ainsi une des dernières et ultimes armes privilégiées du conservatisme politique, d’un système en obsolescence avancée, incarné désormais par une troïka échangeant en catimini et au gré des scrutins qui se suivent et se ressemblent les voix de plus en plus virtualisées parce que devenues rares, se résumant à des chiffres sortis tout droit des éprouvettes in vitro du pouvoir du moment, sans âme citoyenne, exhibés par une «Alliance présidentielle» comme des trophées de la guerre secrète qu’elle livre à sa société. Une alliance cultivant encore cette éculée conception de l’Homme et de la Cité qui s’appuie sur les allégeances, l’autoritarisme et la corruption généralisée sous toutes ses formes. Elle est par son caractère d’injustice répétée à satiété la «hchouma» nationale majeure qui continuera d’attiser les colères et les révoltes de ce qui reste d’hommes et de femmes honnêtes atteints dans leur dignité de citoyens. La fraude électorale est un déni de démocratie et un défi à la citoyenneté. En faisant se confondre de manière de plus en plus grossière et visible à l’œil nu intérêts particuliers et mandat électif, elle constitue une entrave au développement économique et au bien-être économique, social, culturel et politique du pays et de la nation. A l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de notre pays, moment propice aux évaluations matures et responsables, qui concorde précisément avec la tenue au printemps et en automne de deux rendez-vous électoraux dont tout indique qu’ils seront historiques, il nous a semblé utile d’aller à la chasse à la fraude électorale, là où des données officielles la signalent et l’affichent le mieux. Surprise sur prise : le premier de ces supports «inédits» est, comble de l’ironie, le Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire ! Un journal pas comme les autres, par son statut d’abord et ensuite par la symbolique de son demi-siècle d’existence, exactement le même âge, jour pour jour, que l’Algérie. Qu’on ne s’y trompe surtout pas : la fraude n’est pas seulement une affaire de l’Etat algérien, espèce de Docteur Folamour autiste, dans son bunker régulant dans la solitude des longues nuits électorales, la douce alchimie et la complexe arithmétique de ses chiffres au gré des fluctuations à la hausse et à la baisse des conjonctures politiques. Tous les grands partis politiques qui ont eu à un moment ou à un autre la possibilité de «mettre la main» dans… l’urne sans être vus ou pris l’ont fait goulûment et sans retenue. Les exemples que nous vous proposons dans notre dossier «La fraude électorale dans les colonnes… du Journal officiel» le montrent avec suffisamment d’éloquence et chiffres officiels à l’appui : le FLN, quand il était désespérément unique avant 1988 ou quand il tenta à partir de 2002 de le re-devenir, le FIS quand il se sentait «démocratiquement» hégémonique entre 1989 et 1991 et le RND, l’année de sa naissance en 1997, et enfin l’Etat lui-même à l’occasion des référendums de validation de ses options politiques majeures. L’éradication de la fraude électorale représente plus que jamais le premier chantier d’assainissement politique national de l’heure, qu’il va falloir traiter au plus vite, avant qu’il ne soit tard, vraiment trop tard.
M. K.


1979

LA FRAUDE ÉLECTORALE BOULIMIQUE DU FLN

Du temps où Chadli Bendjedid se faisait élire président de la République avec un taux de participation de 100% des «voix» de la communauté algérienne résidant à l’étranger !

Regardez bien le fac-similé de cette page du Journal officiel(1) : ce qu’elle révèle est à proprement parler hallucinant ! Nous l’avons lue et relue des dizaines de fois. Nous nous sommes pincés les uns, les autres.
Rien à faire ! Le chiffre officiel de la proclamation des résultats de l’élection du président de la République est bien là, têtu et rédigé à l’encre noire indélébile de la République, celle des magistrats de la Cour suprême de l’époque, instruits bien sûr, agissant en leur qualité de membres de la Commission électorale nationale : le frère Chadli Bendjedid (comme on disait à l’époque), secrétaire général du parti du Front de libération nationale et président de la République (titre officiel de l’époque) a réussi le miracle électoral que personne n’égalera plus jamais, ni ici ni ailleurs : faire voter par une froide journée de février du siècle dernier, tous les ressortissants algériens disséminés à travers les cinq continents, c’est-à-dire l’Afrique, l’Amérique, l’Asie, l’Europe, les pays arabes et les pays socialistes, comme tient à le préciser le JO à sa page suivante (p.138), au cas où les citoyens algériens ne connaîtraient pas la géographie de leur planète… de l’époque. Pas un seul malade, ni une seule femme qui aurait accouché la veille, ou encore un seul ivrogne qui serait perdu ou attardé la nuit précédant l’élection dans les rues de Paris ou l’une des nuits folles du Caire ou de Beyrouth, au point de rater son rendez-vous électoral du lendemain ! Tous les Algériens vivant à l’étranger sans exception (318 959 votants sur 318 959 inscrits) comme un seul homme, se sont acquittés de leur devoir «patriotique » électoral et 94,86% d’entre eux ont «offert» virtuellement leurs voix au «frère» futur Président ! Les autres chiffres de l’élection sont «rattrapés»… au vol : il faut que le taux de oui des «émigrés» jugé trop faible (sic) soit corrigé à la hausse : ce sera 96,23% avec l’intégration du «oui» massif des «nationaux» et le taux de participation national au scrutin (nationaux+émigrés) aligné : 95,14%. En ces temps bénis, ni l’abstention et encore moins les bulletins nuls, qui constituent le phénomène majeur le plus «parlant» des élections d’aujourd’hui, n’avaient droit de cité statistique au pays du FLN, parti unique. Devant ce détournement franc et massif des dizaines de milliers de voix des Algériens résidant dans le monde pour satisfaire à la légitimité politique d’une élection présidentielle censée assurer la délicate transition entre l’Algérie de Boumediène et celle de Chadli Bendjedid, nous ne pouvons que tirer chapeau et ressentir une sincère et vraie sympathie pour les membres de la Commission nationale qui ont cru devoir insérer l’émouvante réserve suivante en guise de preuve de leur neutralité et de la «totale transparence» de l’opération électorale qu’ils ont supervisée. «Devant les contradictions existant entre P-V et état descriptif des résultats de Guelma, (…) la Commission électorale nationale a pris en considération les résultats communiqués télégraphiquement et confirmés par le wali concerné» !…
M. K.
(1) Page 137 du JORADP du 20 février 1979.


1991

LA FRAUDE ÉTOURDISSANTE DU BULLETIN DE VOTE «TOURNANT» DU FIS

Les élections législatives propres et (mal) honnêtes

Tout a été dit et écrit ou presque sur les élections législatives du 26 décembre 1991. Le gouvernement Ghozali de l’époque les voulait «propres et honnêtes». Le Front islamique décréta qu’elles seraient le point culminant de l’assaut final qu’il voulait livrer à la République des «toughat».
Les moyens importaient peu, puisque le Paradis était au bout… du processus électoral, à portée de main et promis à tous ceux qui opteraient pour la solution «islamiste ». Pour le reste, «el harbou khidâa» (la guerre n’est que ruse), rappelait-on aux dizaines de milliers de militants prêts à en découdre et défilant dans toutes les villes et villages d’Algérie aux cris de «alayha nahya oua alayha namout». Ce qui n’a certainement pas été suffisamment dit, c’est que le FIS a méticuleusement et machiavéliquement préparé cette bataille plus qu’historique pour son destin national et international. Sa stratégie de guerre fut judicieusement structurée autour de trois ingénieuses manœuvres et mouvements tactiques de troupes à l’efficacité redoutable. Il faut agir avant, pendant et après l’élection ! Et ce ne furent pas des mots creux ! En amont de l’élection, il fallait coûte que coûte maintenir le niveau atteint par le réservoir électoral déjà débordant obtenu par ses élus aux élections locales de juin 1990(1). Le FIS, qui administrait la quasi-totalité des communes d’Algérie depuis cette dernière date, réussit en effet à se constituer un fichier électoral taillé à hauteur de ses nouvelles et irrépressibles ambitions politiques, à travers l’inscription sur les listes électorales communales de tous ses militants et sympathisants et le noyautage à distance par des militants aguerris et «dormants » des fichiers informatisés à l’échelle de wilaya qui échappaient à son contrôle. Certains de ces militants étaient carrément les directeurs des centres informatiques de wilaya, comme ce fut le cas à cette époque de la wilaya de Mostaganem, à titre d’exemple. Le jour de l’élection, les militants du FIS déclenchèrent la deuxième phase de l’assaut de la citadelle de l’administration électorale du ministère de l’Intérieur, à travers l’utilisation d’une redoutable arme jusque-là inconnue des bureaucrates des bureaux de vote, auxquels elle donnera le tournis au moment du décompte final des résultats : le fameux bulletin de vote «tournant». Convaincus que leurs ennemis jurés seraient ce jour-là les membres du bureau de vote, qui recevront certainement la consigne de convertir en bulletins nuls tous les bulletins en faveur du FIS présentant des anomalies déposés par les millions des votants de cette mouvance dont une bonne part était analphabète, le FIS mit au point au niveau de tous les douars et communes d’Algérie de véritables dispositifs opérationnels d’aide à la transcription de ses consignes de vote. Le mode d’emploi exécuté ce jour-là par les 3 260 222 voix qui votèrent pour le FIS fut d’une redoutable efficacité : un premier militant reçoit l’ordre de voter nul en déposant au fond de l’urne une enveloppe sans bulletin et de ramener à la permanence du parti le bulletin vierge. Cette permanence se chargeait par la suite de confectionner proprement et minutieusement un bulletin parfaitement coché et conforme en tous points aux dispositions légales d’un suffrage exprimé. Et la noria de fonctionner et de tourner ainsi toute la journée sans que personne s’aperçoive du subterfuge, qui ne sera éventé que bien plus tard, après la fermeture des bureaux de vote. C’est ce qu’on pourrait appeler des bulletins propres pour une élection (mal) honnête. Mais l’ultime humiliation de l’administration électorale par l’appareil para-militarisé du FIS n’intervint en cette nuit particulièrement froide du 26 décembre 1991 qu’après la fermeture des bureaux de vote et le décompte des résultats. Les urnes firent l’objet d’une spartiate surveillance rapprochée par des «commandos» prêts au martyre suprême. Utilisant ensuite un dispositif de collecte de résultats parfaitement huilé et adapté aux réalités topographiques et socio-économiques réelles du vaste et profond pays, combinant harmonieusement ânes, mulets, chevaux à la campagne d’un côté et de l’autre, vélos, motos, téléphone et fax(2) dans les villes et villages, le FIS réussit un autre exploit historique : annoncer avant le ministre de l’Intérieur de la République les résultats du scrutin, à la virgule près. L’Etat algérien venait de vivre cette nuit-là l’un de ses revers historiques les plus humiliants. Quand, tard dans la nuit, le défunt Larbi Belkheir, la mine défaite, balbutia enfin et devant les caméras du monde entier les premières tendances d’un scrutin déjà clos, les millions de militants du FIS pensaient déjà au deuxième tour… qui n’aura jamais lieu, grâce au martyre suprême, bien réel celui-là, des meilleurs fils de l’Algérie comme Belkhenchir, Djaout, Senhadri, Benhamouda et autres Belkaïd. Sans oublier, bien évidemment, les martyrs du Soir d’Algérie et à leur tête notre talentueux Dorbane…
M. K.
(1) 4 331 472 voix : record jamais égalé depuis l’ouverture politique.
(2) Le FIS a été la première institution à faire un usage intensif opérationnel de cet outil de communication dont l’usage n’était pas aussi «démocratisé» qu’aujourd’hui.


1997

LA LEÇON DE FRAUDE DU RND

La victoire à la Pyrrhus du parti «bébé né avec des moustaches»

3 533 434 voix(1) ! Tel est le résultat obtenu par un parti né trois mois plus tôt et que la rue algérienne eut l’attendrissante délicatesse de surnommer le parti «bébé né avec des moustaches» !
Avec des moustaches et, semble-t-il, une machine électorale qui aurait été – selon les résultats affichés au Journal officiel — plus performante que celle du FIS en 1991, qui n’a obtenu au bout de la plus grande tentative de remise en cause de l’ordre républicain jamais menée contre le jeune Etat algérien à travers la gigantesque bataille dont nous venons de relater les épisodes les plus obscurs, que… 3 260 222 voix(2). Pourtant, il est impossible pour un Algérien normalement constitué et jouissant de ses capacités mentales et intellectuelles de croire que le RND ait pu un jour, une seule nuit, une seule seconde, être plus puissant (électoralement parlant, bien sûr) que le FIS ! Pour en savoir un peu plus, nous nous sommes livrés à un petit exercice statistique que vous pouvez reproduire vous-mêmes, simplement en prenant soin de disposer, au préalable, du jeu complet des JOproclamant les résultats des quatre élections législatives qu’a organisées l’Algérie depuis l’avènement du pluralisme politique (1991 à 2007). En établissant une moyenne par wilaya des taux de participation enregistrés au cours des scrutins de 1991, 2002 et 2007 (sans celui «boosté» de 1997), vous obtiendrez une moyenne arithmétique «naturelle» sur quinze ans de la participation des citoyens aux élections législatives par wilaya. Sélectionnez, à l’issue de ce petit exercice d’arithmétique électorale, les wilayas qui ont communiqué les taux de participation les plus grossiers et les plus irréels (supérieurs à 80%) aux élections législatives de 1997 qui nous intéressent ici, et comparez ce taux avec la moyenne de participation aux trois autres élections législatives étalées sur plus de 15 ans : la différence que vous obtiendrez correspond au déficit démocratique réel que traîne congénitalement depuis le RND, qui pense qu’une naissance au forceps comme la sienne entre, d’un côté, la côte d’Adam d’une Algérie convalescente et la cuisse de Jupiter de bienveillants et complaisants protecteurs, devait l’autoriser à accepter des largesses électorales aussi incorrigibles au regard de l’épisode historique tragique qui en a favorisé la mouvementée éclosion. Deux exemples particulièrement édifiants : la wilaya de Relizane dont la moyenne des taux de participation aux élections législatives de 1991, 2002 et 2007 était de 46,40% (il s’agit pourtant d’une moyenne de chiffres officiels) a atteint le taux de participation record de 82,33% en 1997. Idem pour la wilaya de Tissemsilt qui aurait «voté» à hauteur de 83,12%, alors que son taux de participation officiel moyen aux autres consultations électorales législatives de 1991, 2002 et 2007 n’était que de 50,31%. Ce qui fait encore le plus mal dans l’évocation du cas de ces deux wilayas, c’est que ces espaces étaient infestés à l’époque par l’hydre terroriste ! Mais le plus affligeant dans cette élection tragi-burlesque des législatives de 1997, reste incontestablement la façon dont les observateurs des pays frères et amis chargés du contrôle de la régularité de ce scrutin ont rendu compte de sa «transparence» exemplaire : «Tous les frères arabes sont fiers que l’Algérie ait pu réaliser le passage vers le multipartisme. » Et de conclure péremptoirement : «Nous n’avons observé aucune irrégularité dans les opérations de vote et de dépouillement. » La «victoire» électorale de 1997 du RND (aux locales et aux législatives) fut effectivement une victoire à la Pyrrhus, ruineuse, que le parti faillit payer très cher dès le retour en force programmé aux législatives de 2002 du grand frère siamois (le FLN), réhabilitation qui le reléguera daredare et sans ménagement au rang humiliant de troisième force politique… après le HMS. Ouyahia, le Phyrrus redevenu par la force des choses subitement soldat défendant les derniers retranchements de ses territoires électoraux d’hier, subitement réduits à une peau de chagrin, crie à son tour au loup. Il connaît parfaitement la forêt et ses pièges. Pour la première fois, il parle de fraude, dont la partition serait – selon ses accusations véhémentes d’alors — mise en musique par les chefs de daïra et les walis sous la baguette magique du ministre de l’Intérieur qui eut à subir momentanément les foudres de l’enfant gâté du système. Aujourd’hui, le premier est Premier ministre et le second vice-Premier ministre.
M. K.
(1) JORADP n°40 du 11 juin 1997, p. 3, proclamation du Conseil constitutionnel relative aux résultats de l’élection de l’APN.
(2) JORADP n°01 du 04 janvier 1992, p. 2, proclamation du Conseil constitutionnel des résultats officiels des élections législatives du 26 décembre 1991 (premier tour).


2005

LE RÉFÉRENDUM DU 29 SEPTEMBRE 2005 SUR LA CHARTE POUR LA PAIX ET LA RÉCONCILIATION NATIONALE

Le retour maléfique des taux de participation de 100%

Les référendums en Algérie semblent avoir cette caractéristique d’être particulièrement prisés par les faiseurs de chiffres électoraux des laboratoires du pouvoir. C’est pour cette raison que la fête est toujours totale à l’occasion de chaque référendum pour les laborantins de ces cercles de décision occultes, qui ne manquent certainement pas de s’en donner à cœur joie en ces occasions.
Les choses sont bien évidemment plus simples que dans les configurations particulièrement complexes des élections législatives ou locales, dont les résultats ont toujours soulevé les passions des foules, y compris du temps du parti unique avec les inextricables luttes entre tribus sourcilleuses à en mourir de tout ce qui touche à l’honneur de la représentation publique de la tribu, qui se devait d’être portée à bras-le-corps quand ce n’est pas au bout du khchem. Le plus souvent d’ailleurs, fusils en joue. Dans le cas des référendums, il suffisait en effet de déterminer un taux de participation «politiquement correct» (en général plus ou moins 80%) puis le taux de «oui» (celui qui dépasse 95% recueille en général les faveurs des décideurs) et l’opération de répartition des quotas de chaque wilaya pouvait commencer. En série… Pourtant, l’opération de traitement des chiffres des référendums, nous avertit le Journal officiel, devrait faire l’objet d’un peu plus de retenue et de pudeur. En effet, le Journal officiel, qui a l’âge exact de l’Algérie(1), jour pour jour, ouvrit son premier numéro un certain 6 juillet 1962 par la publication des résultats de la réponse franche et massive que les Algériens donnèrent alors à la question qui leur avait été posée par la puissance coloniale «Voulez-vous que l’Algérie devienne un Etat indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par les déclarations du 19 mars 1962 ?» Le taux de participation était ce jour-là de 91,87%, le taux d’abstention s’élevait à 9,13% et les résultats laissèrent même transparaître le chiffre de 25 565 Algériens qui votèrent… contre l’indépendance de leur propre pays. Dans un pays comme l’Algérie qui connaît le prix réel de la liberté, le taux de participation à ce référendum ayant rendu la liberté aux Algériens devrait être protégé comme la prunelle des yeux des 37 millions d’Algériens. Et c’est à la Constitution de l’ériger comme Kassamen en chiffre inviolable et pour l’éternité, avec ses deux chiffres après la virgule ! Il devrait devenir inaliénable, imprescriptible et incessible pour le bas et vil commerce électoral, exactement comme la terre arrosée du sang du million et demi de braves qui en ont permis la libération et des dizaines de milliers qui en ont maintenu le cap républicain aux temps des vents contraires de l’histoire, particulièrement dramatiques. A partir de là, toutes les séries statistiques électorales se rapportant aux taux de participation qui s’autoriseront la liberté de dépasser ce seuil moral, patriotique, historique et qui auront l’outrecuidance et la suffisante verticalité d’afficher publiquement ces chiffres doivent être disqualifiées et leurs auteurs jugés pour… haute trahison ! Que dire alors des différents référendums organisés par l’Algérie depuis l’indépendance dont les chiffres sont tout simplement invraisemblables, dictés par une paranoïa qui n’a d’égal que le déficit en légitimité de ceux qui y ont eu recours avec une insatiabilité sans repères moraux et politiques décents. Le dernier de ces référendums en date peut être cité : c’est celui qui a permis de «faire adopter par le peuple algérien» la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Plus de la moitié des wilayas aurait réalisé des scores de participation supérieurs au taux de participation des Algériens au référendum d’autodétermination de 1962. Khenchela et Adrar se sont particulièrement distinguées en laissant libre cours au zèle sans chiffre après la virgule de leurs walis, véritables éradicateurs de l’esprit civique de leurs citoyens : ces deux wilayas exposent des taux de participation se rapprochant de 99% ! Même Blida, dont nous avons calculé par curiosité la moyenne de participation à toutes les élections depuis l’ouverture politique de 1989 (51,05% ), se permet d’afficher un taux de 98,34% ! Mais là encore, les taux de participation les plus démentiels resteront à jamais et pour l’histoire les taux de 100% mis sur le compte de près d’une dizaine de communes des wilayas de Laghouat, Batna, Tamanrasset, Sidi-Bel-Abbès, El Bayadh et El-Tarf. Dans la commune la plus peuplée, pour ne citer qu’elle, celle de Tadjemout, dans la wilaya de Laghouat, ce sont les 5 620 inscrits qui ont tous voté… pour la réconciliation nationale. Chadli a fait des émules… depuis 1979, mais cette fois-ci, c’est dans les contreforts du Djebel Amour et non à l’étranger !
M. K.
(1) Le JORADP aura le 6 juillet prochain un demi-siècle


2007

LA SALUTAIRE RÉPONSE DU CORPS ÉLECTORAL

Contre fraude massive, abstention massive

Une alliance présidentielle conservant la majorité avec seulement 13% de voix, un FLN arrivé en tête avec seulement 8% des voix mais disposant de la coquette gerbe de 136 députés à l’APN loin devant le RND et près de 80% de citoyens (65% d’abstentionnistes et près de 15% de bulletins nuls) qui ont refusé d’offrir leurs voix aux «bourreurs d’urnes» et aux fossoyeurs de P-V, tels sont les résultats de la dernière élection législative, que tous les acteurs politiques ont analysée comme un scrutin ayant délivré un grave message à dimension historique sur le processus électoral en Algérie pour qui veut le décoder. Le seul qui y a vu une «preuve de maturité du peuple algérien et de son attachement au processus démocratique» est l’inénarrable Zerhouni, ministre chargé de l’organisation du scrutin. Pour tous les autres, à l’instar du chroniqueur du Quotidien d’Oran Kamel Daoud(1), l’inquiétude est grande, angoissante même : «Des millions d’Algériens assis dans un endroit hors champ, hors couverture, sourds, muets et non convertibles aux enthousiasmes. Le problème est qu’ils n’ont ni parti, ni acte, ni geste, ni poids, ni avenir.» Passé le constat momentanément amer, le même Kamel Daoud conclut sur la signification profonde des résultats de l’impasse politique historique majeure que donnent à lire les résultats de l’élection législative de mai 2007 : «L’avenir sera donc fait de ce qui a fait l’actualité des émeutes (…) : une majorité sans issue face à une minorité sans interlocuteurs. C’est-à-dire un Etat qui n’accouche que de lui-même, même lorsqu’on le croise avec la démocratie et un peuple qui ne reproduit que des chiffres, même lorsqu’il refuse de voter… Faut-il se réjouir d’un système de plus en plus mal élu ? Oui. Un peu. Cela ouvre l’espoir d’un changement par l’isolement. Faut-il se réjouir du spectacle d’un peuple qui ne vote pas ? Non. Un peu. Cela n’annonce pas des jours meilleurs. Cela prouve qu’on peut dépeupler un pays, sans déplacer les populations.» Le mot est lâché : trop de fraude conduit à trop d’abstention et trop de fraude et d’abstention conduisent à désertifier le pays.
M. K.
(1) Kamel Daoud, Chronique Raina Raikoum, Le Quotidien d’Oran, 19 mai 2007.


2012
LÉGISLATIVES

La fin annoncée de la fraude électorale ?

En reconnaissant officiellement et publiquement à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire 2012 que «l’Algérie avait eu par le passé des élections à la Naegelen», le premier magistrat du pays semble avoir pris la pleine mesure du danger moral, éthique, historique et politique pour l’Algérie de continuer à produire et surtout à exhiber ostentatoirement et publiquement des chiffres aussi hideux que ceux que nous avons mis en évidence dans le présent dossier.
Nos voisins marocains et tunisiens avec lesquels nous partageons la presqu’île du Maghreb et qui ont assidument fréquenté comme nous les nombreuses écoles «Naegelen » érigées au lendemain de nos indépendances respectives viennent de prendre les chemins de la rédemption historique en passant la certification ISO en matière d’organisations d’élections honnêtes, même si elles ne sont pas encore tout à fait propres. L’Algérie est attendue par tous au tournant d’histoire de son demisiècle d’indépendance. Les injonctions de l’histoire sont de plus en plus lourdes et pressantes. Saura-t-elle négocier ce vertical virage historique ? Elle en a les moyens. La mémoire aussi. Les exemples à suivre sont légion, heureusement. En quittant le perchoir de l’Assemblée nationale à l’issue d’une spectaculaire et inattendue démission, le président Ferhat Abbas écrivait au lendemain de l’indépendance dans sa lettre de démission le testament suivant : «Je refuse à l’avenir de siéger dans une Assemblée désignée par le gouvernement et je n’y reviendrai que si le peuple a le droit de choisir ses députés…» Cinquante ans après, aucun député n’a encore le courage de faire un geste aussi auguste, citoyen tout simplement réellement respectueux de la légende de son peuple. Ils savent pourtant tous lever la main pour approuver massivement et un sourire au coin des lèvres pour s’exhiber face à la caméra de «l’Unique» tout ce qui leur tombe du ciel… Le peuple algérien, ou ce qui en reste après la prochaine révision exceptionnelle des listes électorales, choisira-t-il vraiment ses députés en mai prochain en toute liberté ? Pour la première fois peut-être depuis l’indépendance, la réponse à cette question est prématurée. Et même s’il le fait, ce sera pour probablement «voter silencieusement» dans le secret de son urne intime, puisque «celle qui lui sera exhibée cette année à la sortie de l’isoloir sera réellement transparente…» Après l’ère des urnes opaques aux résultats transparents connus à l’avance, serions-nous passés aux urnes transparentes aux résultats opaques ! Réponse au début du printemps.
R. N.


Les politiques et la fraude

«… Nous n’avons pas besoin de faire campagne, nous remporterons le match.» Abdelaziz Belkhadem (campagne électorale législatives mai 2007)
«Si fraude il y a, ce sera la faute des partis.» Zerhouni, 16 mai 2007
«Le bourrage des urnes est la source de tous les maux qui rongent le pays.» Dr Saïd Sadi, 16 mai 2007
«La fraude est une constante dans la culture politique algérienne depuis l’indépendance.» Abdelaziz Rahabi, ancien ministre, Liberté8 avril 2004

Les journalistes et la fraude

«Ce chiffre magique de 83,49% qui est la marque de fabrique de la fraude.» Boubekeur Hamidechi, le Matin, 11 avril 2004.
«On ne le répétera jamais assez : toute construction démocratique passe techniquement par l’initiation concomitante et nécessaire d’un processus électoral régulier et transparent.» Ammar Belhimeur, le Soir d’Algérie, 8 mars 2005.