Algérie-Union européenne : Des idées et des atouts

Algérie-Union européenne : Des idées et des atouts

par Ghania Oukazi, Le Quotidien d’Oran, 13 février 2013

L’Union européenne (UE) se donne aujourd’hui une nouvelle mission auprès des pays de l’Afrique du Nord, en s’activant à lancer «le processus d’intégration maghrébine».

Les Occidentaux n’ont jamais voulu que les pays du Maghreb ne se coalisent en une entité homogène pour qu’ils puissent avoir plus de force pour défendre leurs intérêts d’une manière rationnelle, pragmatique et unifiée. Les Européens ont été les plus concernés par la question. Non pas d’aider à la création du grand Maghreb en tant que groupement régional mais pour conforter et renforcer la séparation et l’absence de coordination entre les pays de la région. Preuve en est que l’UE les a toujours encouragés à négocier, chaque pays tout seul, un accord d’association et un plan d’action dans le cadre de la PEV. Aujourd’hui, les choses ont profondément changé au point où l’UE sent ses intérêts menacés à l’exemple de ceux liés à son approvisionnement en énergie. Approvisionnement qu’elle cherche à sécuriser en ces temps de déstabilisation et d’insécurité qui secouent l’Afrique mais qu’elle préfère qualifier d’ «accélération de l’histoire» ou alors de «processus de transformation historique». Les appellations sont bien choisies comme c’est le cas pour ce qui est désigné pompeusement «printemps ou révolution arabe».

Pressée par cette «accélération de l’histoire», la Commission européenne refuse d’ailleurs de s’attarder sur ce volet. «Je ne crois pas trop à la politique du complot ni à celle des manipulations, ce sont des explications fantasmées», estime-t-on du côté de Bruxelles. Néanmoins, l’on s’arrête au niveau du sacré développement technologique qui transforme jusqu’aux cerveaux pour avouer à demi-mot à propos de l’ébullition de la rue arabe, qu’«il est vrai que la technologie fait des miracles en matière de contacts, ce sont des vases communicants». «Nous sommes confrontés à des processus historiques, ce ne sont pas de simples changements», disent les Européens. Ils reconnaissent cependant que les mécanismes de l’UE ne peuvent pas régler les problèmes. «Il faut déjà que les volontés populaires s’expriment», estiment-ils.

Dans cet ordre d’idées, Bruxelles reste très discrète sur les raisons qui ont poussé la France à intervenir militairement au Mali. «Avant de le décider, la France a fait probablement des analyses d’intérêts (…), nous avons bien l’impression qu’il y a des choses qui se sont passées avant…», glisse-t-on du côté de la CE sur un ton certes très diplomatique. L’on note du côté de Bruxelles que la semaine dernière, Catherine Ashton a présidé une réunion de représentants maliens à laquelle a assisté entre autres le ministre délégué algérien chargé des Affaires maghrébines et africaines. L’UE a accordé 50 millions d’euros pour le soutien et la formation de l’armée malienne. «L’on s’interroge où sera cette région dans 30 ou 40 ans ?», se demandent les Européens qui estiment avoir réagi dans l’urgence depuis que la France a décidé d’aller au Mali.

UNE AUTRE FEUILLE DE ROUTE EUROPEENNE POUR L’AFRIQUE DU NORD

Dans une communication intitulée «Soutien européen pour l’intégration au Maghreb», la Commission européenne (CE) et la Haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité proposent une série d’actions pour, lit-on, «renforcer la coopération entre l’UE et le Maghreb». Le texte n’évoque pas clairement la construction de l’Union pour le Maghreb arabe (UMA) dont le socle juridique et politique a été dressé par les pays maghrébins eux-mêmes, depuis de très longues années. On relève juste une ligne dans la communication qui rappelle que «depuis les révolutions, les pays du Maghreb ont pris conscience de l’importance de développer les relations entre eux (…). Sous l’impulsion du président tunisien, Marzouki, un sommet de l’UMA pourrait prochainement avoir lieu.» L’on sait sans conteste que ce ne sont pas les fortes turbulences qui bouleversent la Tunisie qui permettraient la concrétisation d’une telle idée.

(Re)parler de l’UMA au niveau européen, serait peut-être aider à la réanimation de l’idée de la construction d’un groupement régional politique dont les atouts sont importants mais trop audacieux pour ne pas déranger les Occidentaux. C’est pour cela que tout a été fait pour ne pas permettre son émergence. Au point où des pouvoirs dictatoriaux ont été soutenus, aidés et renforcés à la tête des différents pays maghrébins pour qu’ils ne se rapprochent jamais l’un de l’autre. L’intégration maghrébine que l’UE tient à réaliser est projetée sous l’angle d’un marché régional globalisé de plus de 80 millions de consommateurs.

CES TRANSFORMATIONS HISTORIQUES QUI APPATENT L’UE

Un idéal pour les Occidentaux pour déverser leurs marchandises et garantir leurs approvisionnements en ressources naturelles. Ces transformations historiques et l’insécurité dans le continent africain poussent aujourd’hui Bruxelles à appeler de ses vœux à la réalisation de cette forme d’intégration régionale maghrébine.

«Le Maghreb est en effet une des régions les moins intégrées de la planète, plusieurs études ont montré qu’une plus forte intégration pourrait accroître la richesse de chacun des pays de 1 à 2% par an», affirme la CE par la voix de sa responsable des AE et de la sécurité.

Un non Maghreb fait donc perdre à la région 1 à 2% de gains. «L’intégration régionale exige des efforts d’adaptation mais nous sommes convaincus qu’elle procurerait d’importants bénéficies pour toute la région et aussi pour l’UE», est-il écrit dans la même communication. Ses représentants dans les pays de la région lui ont rapporté que «(…), la société civile exprime des revendications fortes, partout de nouveaux acteurs politiques sont apparus et demandent de participer pleinement à la vie politique ; les populations aspirent à une vie plus digne, des emplois plus nombreux et de meilleure qualité, le respect des libertés fondamentales et la bonne gouvernance.» Renforcée par le prix Nobel de la paix qu’elle a reçu, l’UE se propose de «donner des idées aux pays du Maghreb afin de rapprocher les populations, d’accélérer la croissance et l’emploi, de favoriser le règlement des différents politiques et de développer des solidarités concrètes et ainsi faire face aux problèmes communs, tels la menace terroriste, la création d’emploi, la désertification ou le changement climatique».

QUAND LA POLITIQUE EST INITIEE PAR LES RESEAUX

La CE projette de se voir «renforcer le dialogue politique, notamment en matière de sécurité et de défense ainsi que de droits de l’homme et de démocratisation, développer le dialogue politique et la coopération entre l’UE et les organisations et initiatives régionales telles que l’UMA et le 5+5, notamment dans la stratégie UE-Afrique ou pour faire face à l’instabilité dans la région sahélo-saharienne ; intensifier la coopération sectorielle, notamment en matière de transport d’énergie, de commerce, de développement social, de politique maritime, d’environnement, de développement culturel et humain…»

La CE a pris le soin de préciser ses ambitions en matière d’énergie dans cette même feuille de route. «Le développement de la coopération énergétique est un domaine où l’intégration maghrébine pourrait avoir des bénéfices à la fois pour les pays partenaires et à plus long terme pour l’Union européenne, en ouvrant la voie à l’exportation d’électricité d’origine renouvelable du Maghreb vers l’UE», fait-elle savoir. Un soutien européen concret est alors assuré aux pays maghrébins pour «construire ce marché commun électrique». Au-delà de ses intérêts économiques et commerciaux qu’elle est prête à discuter et négocier avec les gouvernants de la région, la CE fait de ses contacts avec la société civile une priorité identifiée «(…) comme un outil de soutien à la transition politique et un moyen de mieux obliger les gouvernements à rendre des comptes à leurs populations». Elle déclare être «disposée à soutenir la constitution et le développement des réseaux de ces organisations (…).» Elle conclut en affirmant que «c’est l’ambition de ces nouvelles propositions que nous allons maintenant discuter plus en détail avec les Etats membres de l’UE et nos partenaires magrébins».


Coopération entre l’Algérie et l’UE

par G. O.

Dans une note concise qu’ils ont rédigée, les représentants de la CE, accrédités à Alger, affirment que « (…), le développement soutenu et équilibré de l’Algérie est un objectif évident pour l’UE.» Développement auquel Bruxelles estime participer par «le biais d’un éventail très important de programmes de coopération et qui témoignent d’un engagement à long terme.» La note évoque les instruments qu’elle utilise à cet effet, depuis les années 80, à savoir : les protocoles méditerranéens, les programmes MEDA I et II, la PEV, l’Union pour la Méditerranée.

L’UE quantifie ses programmes bilatéraux avec l’Algérie (hors Etats membres) à près de 250 millions d’euros et son engagement financier, dans le cadre de la PEV, pour la période 2007-2013, à plus de 350 millions d’euros. L’UE a dégagé ces sommes pour aider l’Algérie à financer des programmes, en direction de la croissance économique et de l’emploi, du renforcement des services publics et de l’Etat de droit et de la gouvernance. «La coopération permet d’accompagner l’Algérie dans ses réformes, en vue d’un changement structurel de son économie et de ses secteurs sociaux,» lit-on dans la note. Coopération qui, dit la représentation de la CE à Alger, se poursuit au profit de «la réforme des services de santé et de l’enseignement supérieur, la diversification de l’économie et la réforme de la gestion des finances publiques, le commerce, l’amélioration de la gestion environnementale, l’assainissement et les ressources en eau, la réforme de la justice et des services pénitentiaires, la consolidation de l’Etat de droit et l’amélioration de la gouvernance.»

L’UE a, par ailleurs, proposé à l’Algérie, ce qu’elle appelle des «jumelages» qu’elle déclare financer à 100%, pour lui assurer des appuis techniques et d’expertise, comme ce fût le cas pour l’installation du Conseil de la Concurrence, l’artisanat traditionnel, qualité et distribution de l’eau, conformité industrielle, finances publiques. Deux autres sont en cours de réalisation au profit du Centre de recherche pour le développement de la pêche et de l’aquaculture (CNRDPA) et du développement de l’observatoire des filières agricoles et agroalimentaires (INRAA).


Intégration maghrébine : Le test européen

par G. O.

La délégation de l’UE en Algérie organise un concours d’écriture interrogeant les jeunes Algériens si : «L’Union européenne peut-elle être considérée comme référence pour l’intégration au Maghreb ?» ou pas.

Concours qu’elle précise ouvert aux étudiants algériens des différentes universités du pays, âgés entre 18 et 25 ans. Les textes proposés doivent être présentés sous forme d’un essai de 5 pages, «soit un maximum de 20.000 signes (format World et caractère Times New Roman)», et rédigés en arabe, français ou anglais.

Les contributions devront être envoyées avant le 30 mars 2013, à l’adresse de la délégation de l’UE, à Alger. Elles seront évaluées par un jury composé de 5 représentants européens. Les noms des lauréats seront rendus publics, le 15 avril de l’année en cours.

Trois prix leur seront décernés : au 1er un voyage à Bruxelles de 4 jours «pour connaître les institutions européennes», au 2ème une tablette numérique et au 3ème des lots de livres.


Politique européenne de voisinage rénovée

par Ghania Oukazi

La Commission européenne espère «avancer durant ce premier semestre» pour finaliser la préparation d’un plan d’action avec l’Algérie, conformément au principe de la PEV qu’elle affirme avoir rénovée en vue «de plus de flexibilité». La délégation a initié un dialogue structuré (…) pour discuter du plan d’action et du 2e sous-comité «Droits de l’homme, dialogue politique et sécurité», annonce-t-elle dans sa revue du 4e semestre 2012. Lancées le 10 octobre dernier, ces discussions ciblent plus les représentants de la société civile activant dans le domaine des droits de l’homme.

L’Algérie, faut-il le rappeler, a longtemps refusé d’adhérer à la PEV sous prétexte que les plans d’actions sur lesquels elle repose ressemblent fortement à des plans d’ajustements structurels que le FMI impose aux pays endettés. «Nous refusons qu’on fouille dans nos caisses et qu’on nous impose des programmes qui ne nous conviennent pas», n’avaient de cesse de répéter des responsables algériens lorsque la question de leur refus de la PEV leur était posée.

Les Européens semblent avoir trouvé l’astuce pour les amener à la table des négociations dans ce cadre. En fait, ils n’ont pas trop cherché, ils ont rajouté à la PEV le qualificatif «rénovée». «Nous n’avons rien changé dans le fond, nous avons juste précisé les domaines et détaillé les propositions», nous disait un représentant européen rencontré dans un séminaire sur le thème en question, organisé à Bruxelles. Il faut croire alors que les deux parties n’ont pas vraiment le choix. «La PEV rénovée est un nouvel instrument adapté, remis à jour avec l’idée d’offrir aux pays du voisinage sud des outils de coopération conformes au contexte régional et mondial qui s’impose à nous tous», explique notre interlocuteur. C’est ainsi que l’Algérie s’est vue contrainte d’accepter, l’année dernière, une invitation du Conseil européen «pour en faire le bilan».

LES ARGUMENTS DE L’UE

L’on essaie du côté européen de justifier et même de minimiser cette contrainte en indiquant que «l’Algérie a pris le temps de réfléchir pour s’engager quand elle veut dans ce processus». La PEV est présentée comme étant «un outil de travail qui se veut pragmatique, pour plus de rapprochement entre nous, ceci pour des raisons évidentes de voisinage qu’on ne peut imaginer s’il n’y a pas de rapprochement pour discuter et gérer les défis et les crises qui s’imposent à nous». Bruxelles a les arguments qu’il faut pour défendre ses instruments de «voisinage». La capitale de l’Europe refuse, par exemple, de qualifier la coopération, que l’UE entretient avec l’Algérie, de purement commerciale. «L’aspect commercial en est un aspect important mais la réduire à ce niveau seulement, c’est passer à côté de l’essentiel», soutient-on. D’où, commente-t-on au niveau de la CE, «la nécessité du rapprochement politique, de la modernisation des sociétés du voisinage sud, le partage des expériences européennes avec elles par la diversification des outils de coopération pour que ça aille effectivement au-delà des échanges commerciaux». Bruxelles pense même que l’accord d’association, une fois entré en vigueur (septembre 2005), n’a rien changé à la structure de ces échanges. «La part des marchés européens n’a pas évolué depuis à peu près 8 ans, c’est la même chose pour le niveau des exportations algériennes d’hydrocarbures vers l’Europe qui n’a pas non plus bougé», fait-on remarquer du côté européen. L’on se demande alors qu’a pu changer l’accord d’association puisque tout semble figé, selon ces propos bruxellois, depuis 8 longues années. Aujourd’hui, l’UE estime que le contexte n’est pas à ce genre de calculs.

L’Algérie n’en parle d’ailleurs plus depuis que Bruxelles a accepté de parapher sa demande de changement du calendrier du démantèlement tarifaire consacré dans son accord d’association.

La PEV rénovée est en vogue chez les Européens pour en faire un instrument de «démocratisation des sociétés de la rive d’en face, d’encouragement des réformes économiques pour leur assurer un développement durable, inclusif, ceci par une meilleure répartition locale des richesses des pays concernés par la mise en œuvre des plans d’action». L’on allège le sentiment de domination susceptible d’être mis en avant pour en refuser le principe par une simple précision qui dit que «les priorités contenues dans ces plans d’action sont fixées par les pays eux-mêmes». Ces derniers doivent cependant prendre l’engagement devant l’UE d’appliquer les réformes économiques qu’elle leur suggère. «Ils peuvent alors prétendre à des aides financières européennes, à des appuis techniques et d’expertise», est-il dit. Avant d’être mis en œuvre, le plan d’action doit être adopté par les institutions des deux parties. Bruxelles espère qu’elle avancera dans la préparation de celui de l’Algérie, «durant le 1er semestre de cette année».