Investissement : L’Algérie, un tremplin africain pour la Chine

Investissement : L’Algérie, un tremplin africain pour la Chine

par Ghania Oukazi, Le Quotidien d’Oran, 21 janvier 2016

La Chine a élaboré une stratégie minutieuse pour conquérir l’Afrique en décidant de faire de l’Algérie, la porte qui lui permet d’entrer dans le continent.

C’est ce que le président de la République de Chine, XI Jingping, a présenté, lors du forum sur la coopération Chine-Afrique, organisé au sommet de Johannesburg, du 4 au 5 décembre derniers. Son ambassadeur, à Alger, a pris le soin de remettre un document détaillé de cette stratégie aux journalistes conviés à la conférence de presse qu’il avait animée, lundi dernier.

Les responsables chinois ont précisé en exergue que «les acquis principaux du sommet» énoncent «un partenariat de coopération stratégique global sino-africain basé sur le principe de sincérité, pragmatisme, amitié et franchise, à l’égard de l’Afrique et à la juste conception de la justice et des intérêts.» C’est un partenariat que la Chine veut construire avec les cinq puissances occidentales et dix pays africains (1+5+10), et fixer sur cinq piliers solides qui sont : «l’égalité et la confiance mutuelle sur le plan politique, la coopération gagnant-gagnant au plan économique, les échanges et l’inspiration mutuelle au plan culturel, la solidarité et l’assistance mutuelle en matière de sécurité et enfin la coopération et la coordination dans les affaires internationales.» (Voir ‘Le Quotidien d’Oran’ du mardi 19 janvier 2016). Pour l’ancrage et la consolidation de ces «piliers», la Chine n’a pas hésité à poser ses conditions. Au titre du premier pilier, elle veut que soit «respectée la voie du développement librement choisie par chacun, ne jamais imposer sa propre volonté à autrui, compréhension et soutien mutuels sur les questions touchant aux intérêts vitaux et aux préoccupations majeures et défendre, ensemble, l’équité et la justice.» Elle inscrit, dans cette même case, que «l’Afrique appartient aux Africains, et aux Africains de décider des affaires africaines.» Une note d’une importance cruciale pour les Chinois dont la présence est intensive, notamment, au Soudan, depuis plusieurs années.

LES MANOEUVRES US ET LES AMBITIONS CHINOISES

Mais l’interventionnisme occidental, à sa tête les Etats-Unis, a poussé à la scission entre le sud et le nord d’un pays dont la superficie était la plus grande dans le continent africain. L’histoire retient que tout au début des années 70, les Américains avaient trouvé, dans le sud du Soudan, du pétrole en quantités importantes. Ils ont, cependant, préféré en cimenter les puits pour les préserver «pour l’avenir.» L’arrivée des investisseurs chinois dans tous les domaines économiques n’avait, en évidence, pas plu. La sale affaire du Darfour éclate alors. Les tueries entre les Arabes et les Djandjaouid font rage. La société soudanaise implose. L’Algérie avait une trouille mortelle de voir le Soudan divisé. Mais c’est ce qui est arrivé avec l’aide décisive et déterminante des Occidentaux. L’embrasement de la région toute entière, la bande sahélo-sahélienne et autres endroits de «fitna» n’en finissent pas, depuis, de se déclarer.

«Comme l’Algérie, la Chine soutient qu’il faut régler les conflits du Mali et de la Libye par des solutions politiques, en évitant toute intervention militaire étrangère,» disait son ambassadeur, dans sa conférence de presse de lundi dernier.

La Chine veut s’ériger comme partenaire incontournable pour «corriger» les inégalités socio-économiques des pays africains. Elle veut au titre du 2ème pilier de la stratégie de son président «concilier la justice et les intérêts, tout en privilégiant la justice, favoriser le développement de l’Afrique par le développement de la Chine, mettre à profit la confiance politique mutuelle et la complémentarité économique, entre la Chine et l’Afrique, pour réaliser le bénéfice mutuel, le gagnant-gagnant et le développement partagé, s’appuyer sur la coopération en matière de capacités de production, ainsi que sur la construction des trois réseaux, routier, ferroviaire et aérien régional et la promotion de l’industrialisation en Afrique.» «Nous sommes prêts à accompagner la stratégie de diversification économique de l’Algérie,» affirmait l’ambassadeur de Chine à Alger. «Nous sommes confiants en l’avenir économique et donc en la solvabilité de l’Algérie,» a-t-il en outre, souligné.

LES DONS «PROMETTEURS»

Au plan culturel qu’elle classe comme 3ème pilier, elle veut «renforcer le dialogue et l’inspiration mutuelle, entre nos deux grandes civilisations, accroître les échanges entre les jeunes, les femmes, les think-tanks, les médias et les établissements d’Enseignement supérieur, favoriser l’enrichissement mutuel des cultures, la coordination des politiques.» L’ambassadeur de Chine à Alger a tenu à cet effet, à rappeler les deux dons chinois à l’Algérie, l’Opéra d’Alger et le Centre culturel et de loisirs pour les jeunes que la Chine compte réaliser à Baraki.

La sécurité et le maintien de la paix dans le continent figurent en pôle position, dans la stratégie du président XI Jingping. La Chine, disait lundi dernier, son ambassadeur à Alger «accorde une importance particulière au rôle de pivot et de rempart de l’Algérie, dans le maintien de paix et de la sécurité dans cette région, apprécie hautement, les efforts inlassables, patients et le rôle incontournable de l’Algérie sur les dossiers du Mali et de la Libye.»

Son 4ème pilier dans la construction de son partenariat avec l’Afrique consiste à «soutenir les efforts africains pour régler les questions africaines par des solutions africaines, participer activement aux initiatives africaines de renforcer les capacités de maintien de la paix et de la sécurité, soutenir les efforts de l’Afrique pour accélérer le développement, éliminer la pauvreté et réaliser la paix durable.» Pour rappel, elle prévoit 60 milliards de dollars pour soutenir financièrement, la mise en œuvre sur les 3 ans à venir, de 10 programmes de coopération avec les pays africains. «L’Algérie se trouve dans le peloton de la tête et joue un rôle de premier plan sur le continent africain. Nous avons bon espoir que le partenariat Chine-Algérie occupe une place importante dans le cadre du forum de coopération Chine-Afrique,», a soutenu son ambassadeur. Il a annoncé que «l’ambassade travaillera avec la partie algérienne pour identifier des projets pouvant entrer dans le cadre de ces 10 programmes et bénéficier, ainsi, de soutiens financier, technologique et infrastructurel.»

Le 5ème pilier est consacré aux questions internationales pour lesquelles la Chine recommande d’ «intensifier les consultations et la coordination pour faire évoluer le système de gouvernance mondiale dans un sens plus juste et plus rationnel, défendre les droits et les revendications légitimes de l’Afrique, au sein des Nations unies et dans d’autres enceintes, soutenir le rôle croissant de l’Afrique sur la scène internationale.» La Chine, disait encore son ambassadeur «est (…) désireuse de renforcer sa coopération avec l’Algérie en s’inspirant de son expertise et en lui fournissant des soutiens matériels et technologiques.» L’on apprend que la Chine a déjà proposé de fournir des équipements militaires à l’armée algérienne mais l’Algérie n’en avait pas donné suite, du moins à l’époque de la demande.

Très active, politiquement, aux côtés de la Russie dans le traitement des lourds dossiers du monde arabe, la Chine mène en parallèle, une forte offensive diplomatique pour convaincre les Etats africains de sa «volonté» de les aider à relancer leurs économies et ce, en mettant généreusement la main dans la poche. Depuis qu’elle vit un ralentissement de sa croissance économique qui a atteint, selon son ambassadeur «le taux le plus faible, depuis plus de 20 ans (7% en 2015)», elle tient à conquérir les marchés africains, encore vierges mais potentiellement prometteurs. Bien qu’elle évoque sa difficulté géographique (son éloignement d’Alger et de l’Afrique), elle pense que l’Algérie est toute indiquée pour lui permettre de réaliser cet objectif. «La Chine souhaite œuvrer ensemble avec l’Algérie pour rendre plus fort ce partenariat et relever, ensemble, les défis auxquels nous sommes confrontés,» a dit son ambassadeur. Le ton chinois est ainsi donné pour la conquête du continent africain. La participation politique active du gouvernement chinois et financièrement des banques chinoises, dans la réalisation du port centre algérien, d’envergure régionale, en est la parfaite démonstration. La chine veut faire de l’Algérie ce hub qui lui permet de desservir l’Afrique, en tous produits, en investissements et en présence accrue sur ses marchés.


La stratégie de XI Jingping en Afrique

par G. O.

La Chine a mis au point dix programmes de coopération au profit de pays africains pour consacrer son influence économique mais aussi politique et militaire dans le continent.

Dix programmes qu’elle qualifie de «prioritaires» dans sa coopération avec l’Afrique. Elle évoque en premier l’industrialisation au titre de laquelle elle veut comme prévu dans la stratégie de son président de la République, «encourager les entreprises chinoises à investir et à développer leurs affaires en Afrique, coopérer avec l’Afrique pour la construction ou la mise à niveau de parcs industriels, envoyer des experts et conseillers de haut niveau auprès de gouvernements africains, établir des centres régionaux de formation professionnelle et des instituts pour le développement des capacités, former en Afrique 200.000 techniciens et accueillir 40.000 Africains en Chine pour la formation». Son 2ème programme concerne «la modernisation agricole» pour laquelle elle prévoit de «transférer des technologies agricoles adaptées, coopérer avec l’Afrique dans le domaine de la culture massive, de l’élevage, du stockage et de la transformation des produits agricoles(…), mettre en œuvre le projet d’enrichissement de la population grâce à l’agriculture dans 100 villages africains, envoyer 30 groupes d’agronomes en Afrique, établir un mécanisme de coopération 10+10 entre établissements de recherche agricole des deux côtés, fournir des aides humanitaires d’urgence d’un milliard de yuans RMB». Elle promet par ailleurs d’«accompagner les pays africains dans la construction de 5 universités spécialisées dans le transport et de soutenir une participation active des entreprises chinoises à la construction des infrastructures (chemins de fer, route, aviation régionale, électricité et télécommunications)».

Après l’Algérie qui a décidé de payer ses transactions en yuan RMB, la Chine veut élargir ce mode de paiement à d’autres pays africains et ce, en encourageant ses institutions financières entre autres, à «établir plus de succursales en Afrique.» Elle pense aussi «mettre en œuvre 100 projets d’énergies propres, de protection de la faune et de la flore (…) et la construction de villes intelligentes». Elle compte promouvoir son commerce en lançant, entre autres, «50 projets à cet effet, négocier avec les organisations régionales et pays africains, des accords globaux de libre échange couvrant le commerce des marchandises, des services, d’investissement, de sorte à accroître l’exportation africaine vers la Chine». 200 autres projets qu’elle veut réaliser «pour réduire la pauvreté», est-il souligné dans sa feuille de route. Elle promet aussi d’«exempter les PMA africains (Pays les moins avancés), des dettes gouvernementales sans intérêt échues à fin 2015».

Au plan de la santé, la Chine veut construire en Afrique «des centres de contrôle des maladies, fournir des antipaludéens (…), soutenir l’établissement de 20 partenariats pilotes entre les hôpitaux des deux côtés, continuer à envoyer des équipes médicales chinoises, encourager les entreprises pharmaceutiques chinoises à localiser la production en Afrique». La culture sera consacrée par la construction par la Chine de «5 centres culturels en Afrique, la mise en oeuvre de projets d’accès à la télévision satellite dans 10.000 villages africains, son accueil de 12.000 africains pour la formation diplômante, tout en accordant 30.000 bourses gouvernementales, organiser chaque année des visites en Chine pour 200 chercheurs africains et des séminaires pour 500 jeunes africains, former chaque année 1000 Africains travaillant dans les médias.»

Pour la réalisation des 10 programmes de coopération, elle consacre 60 milliards de dollars qu’elle décompose en «5 milliards pour une aide sans contrepartie et prêts sans intérêts, 35 en prêts préférentiels et crédits à l’exportation, 5 en prêts spéciaux pour le développement des PME africaines, 10 en fonds de coopération sur les capacités de production Chine-Afrique et enfin 5 milliards pour le fonds de développement entre les deux parties.»

La Chine programme par ailleurs, une aide à l’Union africaine «sans contrepartie» de 60 millions de dollars «pour appuyer la construction et les opérations de la force permanente et la capacité africaine de réaction rapide aux crises (…).»

Elle compte débloquer une aide militaire de 100 millions de dollars «sans contrepartie» sur les 5 années à venir pour le programme de maintien de la paix et de la sécurité en Afrique. Depuis 2009, elle comptabilise l’envoi de 21 flottes d’escorte composées de 60 navires, 46 hélicoptères, 1300 membres des forces spéciales et quelque 1700 officiers et soldats dans les actions internationales contre la piraterie au large du golfe d’Aden et des eaux somaliennes.