Quand le boycott a pignon sur rue

Journée de vote en Kabylie

Quand le boycott a pignon sur rue

Par : Yahia Arkat, Liberté, 11 avril 2009

“A boycotté !” Le jeune Nassim a improvisé un fichier électoral devant un centre de vote. Attablé dans un café qui jouxte le centre de vote, notre “administrateur” coche sur une feuille les citoyens qui évitent le centre de vote. Pour lui, il s’agit bien d’autant d’électeurs de moins pour le scrutin présidentiel. Nassim tient sa comptabilité avec une logistique dérisoire : un crayon, quelques feuillets et un café aussi amer que la vie qu’il mène dans ce village délaissé. Il n’est guère dérangé dans son travail. À 10 h, les croix cochées sur son fichier dépassent de loin le taux de vote au centre mitoyen. Après le taux de 1,64% annoncé à l’échelle de la wilaya, Nassim a déjà coché 20% de non-participation dans son village. Son opération a tellement suscité d’engouement que certains jeunes de son âge se sont improvisés observateurs du boycottage.
“Vous voyez bien que l’opération du décompte du boycott se déroule dans la transparence”, ironise-t-il. C’est que le café maure attire plus de monde que le centre de vote. Non seulement Nassim n’a pas voté, mais il veut connaître le nombre de citoyens qui partagent sa position. Son copain, le téléphone collé à l’oreille, ne cesse d’appeler ici et là pour avoir la température électorale dans les autres villages. Des recoupements s’imposent en effet. La tournée des popotes, que nous avons menée dans certaines permanences des partisans du boycott, nous a permis de prendre le vrai pouls de la participation au vote, et par ricochet, le boycott. 14h, siège de la section du FFS de Tizi Ouzou. Les militants ne cessent d’appeler leurs correspondants dans plusieurs communes pour avoir des chiffres qui sont aussitôt décortiqués. “La tendance du boycott l’emporte largement sur la participation jusque-là”, explique un cadre du FFS. Pour lui, il était important de suivre l’évolution du vote dans la commune d’Aït Yahia, dans la daïra de Aïn El-Hammam. Patelin de Aït Ahmed mais aussi des responsables du staff de campagne du Président-candidat. Cette localité de montagne était sous les feux de la rampe en ce jeudi pluvieux. Le tableau de bord électoral affiche 15% à 15h. Le village du leader du FFS beaucoup moins : à peine 10%. Le même score dérisoire est réalisé à Tizi Rached vers 13h, alors que la commune de Yattafen a enregistré un taux de participation de 5%. De quoi galvaniser le jeune Nassim. Mais à Tizi Ouzou, le résultat était imprévisible. Ville cosmopolite s’il en est, Tizi Ouzou avec ses 80 000 électeurs constitue un baromètre difficile de maîtriser à première vue. À 11h, la ville des Genêts enregistre 10,09% de votants. Dans certaines localités, les partisans du boycott ont installé de véritables administrations pour recueillir les résultats du vote au fur et à mesure. “Le vote n’attire pas les grandes foules, les citoyens ont opté pour le boycott”, constate un boycotteur. Les participationnistes et particulièrement les partisans de Bouteflika affichent un profil bas durant cette journée qui semble s’éterniser. Retour au siège du FFS. Même ambiance, on est à l’affût du moindre résultat. Pendant ce temps, Nassim n’a pas quitté son café maure. Il continue son boulot : “A boycotté !”

Yahia Arkat