Des hommes chocs pour des postes sensibles

DIPLOMATIE

Des hommes chocs pour des postes sensibles

Le Quotidien d’Oran, 6 novembre 2005

Ce n’est qu’hier matin que le chef de l’Etat a reçu les ambassadeurs d’Algérie nommés à Paris, Rabat et Rome.

Le président de la République a reçu hier au palais d’El Mouradia Missoum Sbih, Larbi Belkheir et Rachid Maarif respectivement ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République algérienne en France, au Maroc et en Italie. Selon l’APS qui reprend une source officielle, Bouteflika a au cours de ces audiences donné aux ambassadeurs, la veille de leurs départs pour leurs capitales respectives, des orientations et des instructions nécessaires pour mener à bien leur mission.

 C’est donc à partir de cette semaine seulement que Larbi Belkheir, ex-directeur de cabinet de la présidence de la République, prendra ses fonctions en tant qu’ambassadeur à Rabat. Le retard dans son départ a fait l’objet de grandes polémiques que ce soit en Algérie ou au Maroc où la presse s’est emparée de l’information pour en faire des Unes de ses journaux. Eu égard à la sensibilité du poste et des relations entre les deux pays, la nomination de Belkheir, un stratège du pouvoir algérien, en tant que tel n’a laissé aucun milieu indifférent. L’on s’attend à ce que les choses s’accélèrent en matière d’échanges bilatéraux et de relance du dialogue entre les deux pays. L’on s’avance à prévoir une bonne reprise en main des problèmes restés jusque-là en suspens. Surtout quand Larbi Belkheir est donné pour être proche de la famille royale. Seulement, il ne faut pas perdre de vue que comme partout ailleurs, l’exercice du pouvoir commence à changer après la mort de Hassan II et la prise des commandes du Palais royal par Mohammed VI. Des centres importants de décisions ont même changé de titulaires.

 Si c’est ainsi, la mission de laquelle aurait été investi Belkheir n’est pas aisée. Il pourra buter contre l’entêtement du jeune roi à vouloir avoir le dernier mot face à l’intransigeance du président Bouteflika rompu lui à la pratique diplomatique et aux jeux des coulisses universelles. Il y a aussi d’autres paramètres qui ne sont pas pour laisser dire de Belkheir qu’il est bien placé pour provoquer un dégel définitif des relations entre l’Algérie et le Maroc. Ceux qui précisent son envie de vouloir véritablement couper avec le pouvoir. Son entourage dit de lui qu’il est fatigué et qu’il veut rentrer chez lui pour «arroser les plantes». Les bilans médicaux qu’il fait régulièrement à Paris ne le donnent pas non plus pour être en très bonne forme. L’on avance d’ores et déjà qu’il ne tarderait pas beaucoup à Rabat. «Au plus une année», dit-on. Ceci étant, personne n’oublie que Belkheir n’est pas homme à faire des passages à vide même quand il se retire chez lui.

Missoum Sbih lui aussi est nommé ambassadeur comme Belkheir. Conseiller du président de la République et président de la Commission de réforme des missions et des structures de l’Etat, Sbih atterrit dans un pays – la France – qui vient de sauter les pieds joints dans une crise politique grave. L’embrasement des banlieues et même la province, ne facilite pas les choses au président français qui s’apprête tout autant que certains hommes de son entourage politique à s’engager dans la bataille électorale des présidentielles de 2007. Entre les premiers et les seconds événements, Chirac a aussi fait état de sa volonté de vouloir se rapprocher davantage de Bouteflika avec lequel il s’est engagé à signer un traité de paix et d’amitié.

 Pour ce faire, il est question de lever des ambiguïtés qui pèsent lourdement sur le bon cheminement des relations entre Alger et Paris. L’éventuel amendement de la loi du 23 février, sujet à un grand mécontentement notamment au plan national, laisse croire que la France voudrait «se corriger» un tant soit peu vis-à-vis de l’Algérie. Le dossier de la guerre d’Algérie nécessite pourtant bien plus de disponibilité de sa part pour pouvoir tourner la page sans douleurs et sans regrets. L’adjoint au maire de Marseille présent dans un colloque euroméditerranéen a estimé que la position du président Bouteflika sur la guerre d’Algérie est un problème parmi tant d’autres qui empêchent la construction d’un bon partenariat entre les deux rives de la Méditerranée. Les politiques français en sont là. Missoum Sbih commencera certainement son travail à Paris en insistant sur la nécessité du respect de la mémoire collective et de l’histoire. Avant de partir en poste dans la capitale française, Sbih a dû donner les dernières orientations de la mise en oeuvre des recommandations de la Commission de réforme des missions et des structures de l’Etat dont il a été président. Il serait dommage que le travail effectué à cet effet parte en fumée.

 Rachid Maarif pour sa part est donc nommé ambassadeur à Rome. Le poste n’est pas aussi difficile que celui de Paris, encore moins celui de Rabat. D’autant que l’Algérie reconnaît en l’Italie un pays ami qui ne l’a pas laissée tomber durant les années de braise où le terrorisme faisait rage. En effet, les Italiens ont été pratiquement les seuls à accepter de venir en Algérie durant les années 90. Et si Maarif n’avait jusqu’à hier pas rejoint son poste à Rome, c’est uniquement parce qu’il devait faire une bonne passation de consignes à son remplaçant Mokhtar Reguieg en tant que directeur du protocole à la présidence de la République. Rentré fraîchement de Rome où il occupait le poste d’ambassadeur, Mokhtar Reguieg a permuté avec Maarif pour prendre en charge le protocole du président. Il fallait absolument qu’il apprenne les règles d’usage en cette commémoration du 1er Novembre. Et c’était à Maarif d’être présent à ses côtés pour lui apprendre le métier.

Ghania Oukazi