Rahma, concorde civile et réconciliation: Les raisons militaires

Rahma, concorde civile et réconciliation

Les raisons militaires

Le Quotidien d’Oran, 25 août 2005

Alors que les premiers attentats avaient lieu en 1992, des officiers de l’armée algérienne planchaient dans les bureaux du MDN sur un étrange texte évoquant la possibilité de pardonner aux terroristes.

C’était déjà l’ébauche de la loi sur la Rahma qui allait accoucher d’un long processus de réintégration des islamistes dans un développement politique «positif». Si l’ANP a toujours refusé de «négocier» publiquement avec les mouvements terroristes, elle n’en a pas moins dressé les grands contours de la paix civile en tentant d’en faire profiter l’action militaire.

Les généraux de l’armée algérienne catalogués «éradicateurs» aux premières heures du terrorisme ont livré une guerre sans merci. Mais comme dans tout conflit asymétrique, où une armée professionnelle est confrontée à des mouvements de guérilla, l’équation militaire ne pouvait se résoudre que par l’affaiblissement de la matrice terroriste. Au début de ce processus antiterroriste, l’armée et les services secrets ont adopté la stratégie dite des trois cercles concentriques. Le premier cercle étant composé par le noyau dur des islamistes radicaux, convergences des factions djihadistes les plus extrémistes. On y trouvait des anciens de l’Afghanistan (première génération qui avait combattu l’armée russe et ayant connu Abdallah Azzem et Oussama Ben Laden), des anciens du MIA de Mustpaha Bouyali, les fondateurs du GIA (les 9 émirs de zones lors de la rencontre de Baraki sous l’inspiration de Mansouri Melliani) et quelques affidés de Takfir Ouel Hijra. Le «traitement» de ce premier centre induisait la mobilisation de forces opérationnelles spéciales du moment que l’armée devait avoir des capacités militaires en adéquation avec la menace. Les stages de formation accélérée du GIS (branche d’intervention spéciale du DRS) en Italie, Jordanie, Egypte et Corée du Sud, le fameux Kook Sool, devaient répondre à intervenir contre des groupes terroristes encadrés par des «afghans algériens» surentraînés dans les camps d’Afghanistan.

Ce noyau dur a été traité dans ses grandes largeurs du moment que les émirs du GIA et du GSPC n’avaient pas une espérance de vie qui excédait les 6 à 9 mois en moyenne. Mais la difficulté était que les centres nerveux de ce groupe malgré la disparition des historiques (Chebouti, Baa Azzedine, Brahimi, Cherrati) et l’élimination de leurs «émirs» disciples (Djaffer Al Afgahni, Chérif Gousmi, Djamel Zitouni et Antar Zouabri entre autres), résident dans le fait que le commandement central des groupes terroristes, quoique affaibli, n’a pas été totalement éradiqué. Si des jeunes qui montent au maquis trouvent encore des structures en place et une logistique rudimentaire, les foyers terroristes ne disparaîtront jamais sans une pression soutenue sur les jusqu’au-boutistes que le ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, a qualifié de «desperados».

C’est à eux qu’est adressée la charte de la réconciliation nationale. En proposant cette énième offre de reddition, l’Etat tente de vider le noyau dur de ses dernières ressources humaines. L’armée compte «dégarnir» les maquis en optant pour des effets «collatéraux». L’objectif n’étant pas de faire descendre des têtes (telles que Hassan Hattab, Mokhtar Belmokhtar ou l’émir Abdelouadoud) mais d’influer sur le comportement de leurs derniers fidèles pour qu’ils abandonnent les armes. Les experts tablent ainsi sur 120 à 160 terroristes.

Le deuxième cercle est composé des membres des réseaux logistiques et de soutien tactique. L’évolution fulgurante du terrorisme et les structures efficaces mises en place par les terroristes islamistes doivent énormément à l’action de ce deuxième cercle.

Planques, casemates, faux papiers, véhicules, coursiers, trafic d’armes, surveillance et repérage, renseignements, fourniture de l’alimentaire… la viabilité du terrorisme et sa survie dépendaient considérablement de la multiplication de ces réseaux qui étaient composés d’islamistes, souvent profil d’un militant du FIS à la lisière du radicalisme, qui s’engagent par appartenance à un idéal théocratique.

L’action de l’armée contre ce cercle a été la plus longue et la plus pénible. Même si elle n’est pas coûteuse militairement, elle a nécessité un suivi constant d’un cadre organique que les groupes terroristes ont eu le loisir d’installer grâce au travail en amont du FIS dans les communes après les municipales de 1990. Deux exemples pour illustrer cette difficulté: d’abord, l’infiltration terroriste en milieu urbain a été largement facilitée par l’absence de contrôle sur les agences immobilières et la connaissance des islamistes-terroristes du patrimoine immobilier communal. Les appartements et villas, de sympathisants non identifiés, ont été les points de fixation de la pérennisation des réseaux du GIA dans les grandes villes. L’Etat n’avait aucunement le contrôle de la densité terroriste urbaine et a eu à s’adapter au fait que des attentats se préparaient intra-muros.

Le second exemple concerne la disponibilité des moyens pour la construction de casemates et de khandaqs dans les plaines puis les montagnes. De Tala Acha à Blida jusqu’aux maquis de Médéa ou les Babors, l’armée n’a eu de cesse de découvrir des casemates fortifiées, en béton armé, avec des accès minés qui nécessitent un travail de longs mois et des moyens matériels et humains colossaux (camions, ciment, maçons). C’est au sein de ce second cercle que se recrutait ce personnel discret et indispensable.

Dans la stratégie de l’armée, la pression qu’on pouvait exercer sur ces réseaux de soutien était cruciale. Le lien existant entre les réseaux de soutien (affiliés au FIS puis à l’AIS) a engendré la mise en place de la concorde civile. Cette loi qu’on ne peut restreindre aux troupes de Madani Mezrag et Ahmed Benaïcha, du moment que l’Armée islamique du salut ne pouvait compter entre 600 et 800 membres, a permis d’absorber les anciens du GIA qui faisaient partie de ce second cercle. Les renseignements fournis par ces catégories de terroristes, souvent difficiles à retracer et fichés tardivement, ont permis de briser le lien avec le premier cercle (noyau dur). Les «repentis» fournissant aux services de sécurité des renseignements inestimables sur les techniques, les planques, les routes, les casemates, l’armement, les filières d’approvisionnement et les déplacements de leurs acolytes restants aux maquis, ce qui permettait aux services de sécurité d’isoler le noyau dur.

Sur le plan strictement militaire cette stratégie a été payante tout en étant accompagnée par la mobilisation de forces annexes (patriotes, GLD, gardes communaux) qui resserraient les espaces de mouvement des groupes terroristes en milieu rural. La disparition d’un troupeau de vaches ou de moutons dans un maquis pouvait être, par exemple, un indice de l’existence d’un groupe terroriste dans une localité. Des détails qui n’étaient pas pris en considération les premiers temps de l’antiterrorisme.

Mais ce processus ne pouvait être générateur de résultats qu’avec la prédominance du troisième cercle. Celui des premiers «convertis» au terrorisme. Le conglomérat des islamistes ayant rejoint le djihad a été volumineux. Le troisième cercle a servi en 1991/1993 de plate-forme de recrutement massif, une sorte d’ANPE du djihad. Du simple militant islamiste de base vociférant jusqu’au radical qui peut basculer dans le second et le premier, le troisième cercle a bénéficié d’erreurs stratégiques de l’Etat surtout dans la gestion technique de la lutte antiterroriste les premières années. Traitement répressif, tortures, ouverture du camp de Reggane, entassement dans les prisons sans sélection de délit, ont fourni aux maquis des contingents de terroristes «en puissance».

L’armée s’est alors lancée dans la technique de «l’assèchement des marais» par la prise en charge des islamistes du premier cercle. C’est l’introduction de la loi sur la Rahma. Elle devait porter un coup initial à l’organique des GIA qui étaient à leur apogée. L’idée était d’introduire la scission, les dissensions, la division et de dissuader les recrues potentielles (94/95) d’aller grossir indéfiniment les rangs des groupes terroristes. L’autre but était de donner à réfléchir aux populations civiles qui aidaient les groupes terroristes, par sympathie ou de force, sur la vulnérabilité du GIA. C’était là le début de ce processus qui va conduire au référendum du 29 septembre 2005. Mieux que quiconque, l’armée savait que la guerre contre le terrorisme serait de longue haleine et que le phénomène, imprévisible et régénérateur, ne pouvait se dissoudre dans une lutte strictement technique. Les analystes ont souvent commis l’erreur de considérer les généraux algériens comme inaptes à trouver des solutions de compromis dans la gestion de la lutte contre le terrorisme. Patiemment, les trois cercles concentriques ont été réduits à l’objectif initial. Etouffer le terrorisme progressivement par une batterie de mesures politiques, administratives et juridiques qui avaient un impact psychologique indéniable sur le terrain militaire.

Mounir B.