Les limites d’une démarche

Ordonnance portant application de la charte pour la paix et la réconciliation nationale

Les limites d’une démarche

N. Sebti, Liberté, 23 février

Au-delà du traitement technique des problèmes que posent les protagonistes de la tragédie nationale, on peut s’interroger sur la vocation de cette démarche à mettre un point final à la crise politique traversée par le pays.

Six mois après le référendum sur le projet de “charte pour la paix et la réconciliation nationale”, le cadre général de son application, dont le “retard” a donné lieu à moult interprétations, est désormais connu. Le premier constat à faire, à l’issue du conseil de gouvernement de mardi, c’est de noter que le chef de l’État a finalement opté pour une ordonnance et des décrets présidentiels, façon à lui de garder la paternité exclusive de la démarche. Du coup, le parlement se retrouve out, alors que le président Bouteflika avait laissé entendre, dans son discours devant les députés, que l’institution législative allait être associée à la mise en œuvre des textes d’application de la charte. Un choix qui pourrait s’expliquer par le souci probable du président de soustraire la démarche à la surenchère politicienne des députés, qui nuirait à sa portée de texte plébiscité par les algériens, le 29 septembre dernier. Ceci pour la forme. Dans le fond, l’ordonnance a vocation principale de mettre un terme aux problèmes que posent les protagonistes de “la tragédie nationale”. En premier lieu “les artisans de la sauvegarde de la République”, c’est-à-dire les forces de défense et de sécurité qui bénéficient de la reconnaissance de la nation. Pour leurs actes de patriotisme, aucune poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à leur encontre, et toute dénonciation ou plainte est irrecevable. De l’autre côté, les terroristes se voient, eux aussi, exonérés de leurs crimes, dans la mesure où il y a extinction de poursuites à leur égard.
Les adversaires de la démarche ne manqueraient pas de crier à l’impunité. Les familles des victimes du terrorisme et celles des disparus se voient proposer une indemnisation financière, comme l’a suggéré la commission K’sentini. Mais sachant que les familles des disparus refusent la compensation matérielle, en exigeant au préalable la consécration de la vérité et de la responsabilité, on se demande quelle démarche vont-elles adopter dès lors que le recours à la justice ne sera plus permis. Au-delà des solutions politiques et matérielles que propose l’ordonnance pour les protagonistes de la crise, c’est de se demander quel sort sera réservé aux islamistes armés qui n’auront pas rendu leurs armes, à l’issue du délai de six mois fixé par cette ordonnance. Allons-nous, dans six mois, assister à une sorte de “solution finale” contre les maquis terroristes ? La question mérite au moins d’être posée, car on se souvient qu’après le 13 janvier 2000, date d’expiration de la concorde civile, les terrorises continuaient encore à bénéficier de la mansuétude de l’État dans le cadre de la prévention ; pour éviter la répétition de la tragédie, à travers notamment l’instrumentalisation du religieux, faudrait-il s’attendre à la mise en place de garde-fous rigoureux, à la faveur de la révision constitutionnelle, si tant est que ce chantier reste encore inscrit sur la feuille de route du pouvoir ? Autant d’interrogations qui renvoient à la complexité de la crise politique du pays à laquelle cette charte se veut une thérapie.

N. Sebti

 


Somoud réagit aux textes d’application de la charte

Si l’impunité prend le dessus sur la justice et le droit…

Par : Karim Daoudi

Dans un communiqué parvenu hier à notre rédaction, Somoud estime que “traiter les proches et les descendants des éléments des groupes armés islamistes en dehors du cadre de la solidarité nationale pourra glorifier les actes criminels de leurs parents”.

L’association somoud, des familles des victimes enlevées par les groupes armés islamistes, n’a pas mis beaucoup de temps pour réagir aux textes d’application de la charte pour la paix et la réconciliation nationale qui a fait l’objet d’un référendum le 29 septembre dernier. Si l’organisation présidée par Ali Merabet considère que “guider le peuple à prendre conscience que la condamnation du crime est individuelle et que de ce fait, les proches et les descendants des éléments des groupes armés islamistes ne peuvent être responsables des crimes commis par ces derniers”, elle pense, cependant, que “traiter cette catégorie de citoyens en dehors du contexte de la solidarité nationale pourra glorifier les actes criminels de leurs parents”. Ce n’est pas l’unique grief que retient Somoud à l’encontre des textes qu’a eu à traiter avant-hier le conseil de gouvernement. Les dispositions portant sur l’extinction des poursuites judiciaires dont bénéficieront les éléments des groupes armés ont été passées au crible par l’organisation de Ali Merabet. “Est-ce que le terroriste qui a enlevé, probablement torturé et assassiné un citoyen ou deux citoyens civils algériens, ne sera pas poursuivi, ni condamné, ni sanctionné pour les crimes qu’il a commis puisque la charte exige, pour poursuivre un terroriste, qu’il soit auteur d’un massacre collectif”, s’interroge-t-elle avant d’ajouter que “si on fait la sélection de la sorte, personne ne sera identifié coupable des trois catégories des crimes cités dans la charte, à savoir les massacres collectifs, le viol et l’usage d’explosifs dans les lieux publics”. “Si on avait compté les crimes commis individuellement par un terroriste depuis le début, on aurait trouvé que chacun aurait à son actif l’équivalent d’un massacre collectif”, souligne encore Somoud qui s’interroge, en effet : “à qui profite donc l’extinction des poursuites judiciaires?” L’association qui reconnaît, cependant, que le fait d’accorder une indemnisation à la famille du disparu est “une reconnaissance de la responsabilité de l’état face à ce drame et à l’obligation de sa prise en charge”, se plaint toutefois que la catégorie des disparus enlevés par les groupes armés islamistes ne soit même pas citée dans les textes d’application de la charte approuvés par le conseil de gouvernement. Pour Somoud, “la volonté délibérée de la mettre dans le même panier risque de camoufler le feu au lieu de l’éteindre, comme elle risque aussi d’élargir le fossé au lieu de renforcer la cohésion sociale tel qu’il l’est indiqué dans la charte”. “Les textes d’application de cette dernière, indique par ailleurs la même association, ne citent, à aucun passage, le devoir de vérité et le droit à la justice, deux conditions nécessaires et obligatoires, selon elle, à toute tentative de réconciliation”. Toutes les expériences vécues dans le monde depuis tous les temps ont démontré que “la véritable réconciliation ne se réalise en aucun cas par des textes, mais par un processus inscrit dans le temps basé sur deux piliers qui sont la vérité et la justice”, déclare Somoud qui estime que “la véritable réconciliation horizontale n’aura pas besoin d’une interdiction de discrimination à l’encontre des familles dont un membre serait impliqué dans un crime, mais au contraire les obstacles et les fossés disparaîtront automatiquement”.
L’organisation de Ali Merabet considère, en effet, que “si l’impunité prend le dessus sur la justice et le respect des droits fondamentaux de la personne humaine, aucune garantie ne pourra être avancée pour épargner nos futures générations des conséquences de nos problèmes d’aujourd’hui”.

Karim Daoudi


SOS-Disparus à propos du projet d’ordonnance et de décret sur la mise en œuvre de la charte

“C’est une honte !”

Par : Rédaction de Liberte

“C’est une honte !” a qualifié, hier, Mme Nassera Dutour, de SOS-Disparus jointe par téléphone, le projet d’ordonnance et de décrets destiné à mettre en œuvre la Charte pour la paix et la réconciliation nationale examinés et endossés par le Conseil de gouvernement réuni avant-hier. Ce projet stipule dans l’une de ses dispositions, entre autres, que la reconnaissance de la qualité de victime de la tragédie nationale ouvre droit à un jugement de décès pour les personnes n’ayant plus donné signe de vie et dont le corps n’a pas été retrouvé après investigations par tous les moyens légaux. Par ailleurs, des indemnités seront accordées à ceux possédant un jugement de décès. “C’est une honte pour ce pays. C’est à l’image de nos gouvernants. Comment peuvent-ils imaginer que je vais aller dans un bureau et dire que mon frère est mort, que je passe ensuite dans un autre pour demander de l’argent ?” s’est-elle lamentée. Mme Dutour, qui avait pris part dans la matinée à un rassemblement devant le siège de la CNPPDH, plus important par rapport à ceux régulièrement organisés chaque mercredi, s’est interrogée sur les objectifs recherchés par les promoteurs de cette charte. Des interrogations qui n’empêcheront pas pour autant son organisation de saisir le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations unies et certaines institutions internationales. À noter qu’une conférence de presse est prévue par SOS-Disparus ce vendredi à 11 heures à Alger. “Nous sommes prêts à aller en tôle”, a indiqué Mme Dutour pour signifier que son organisation, dont elle est l’une des animatrices les plus en vue, n’est pas près d’abandonner le combat avant de connaître la vérité sur le sort de ces nombreuses personnes disparues pendant la décennie écoulée.

R. N.