Ksentini: « La consolidation de la charte, c’est pour les victimes collatérales du terrorisme »

Me Farouk Ksentini. Président de la commission des droits de l’homme

« La consolidation de la charte, c’est pour les victimes collatérales du terrorisme »

El Watan, 31 mars 2009

Président de la Commission nationale consultative de la promotion et de protection des droits de l’homme (Cncppdh), Me Farouk Ksentini estime que l’idée de la consolidation de la charte de réconciliation est de trouver un habillage juridique correct qui prendra en charge les personnes non prévues dans cette charte.

– Durant toute la campagne électorale, l’amnistie générale a été un sujet qui a particulièrement marqué les discours de certains candidats… En tant que président de la Commission des droits de l’homme, vous avez eu à gérer certains dossiers liés aux repentis. Selon vous, faut-il s’attendre à d’autres mesures de grâce ?

– D’abord, je tiens à préciser que le dossier me préoccupe du point de vue social, humain et des droits de l’homme. Si je me rappelle bien, le président a été très clair à ce sujet. Il a dit aux groupes terroristes : « Rendez-vous ensemble et remettez vos armes et après examen de votre situation, nous allons étudier la possibilité d’une amnistie. » Il considère que l’amnistie est une opération lourde et compliquée qui mérite d’être bien étudiée avant d’être proclamée. De toute façon, c’est la seule solution qui va leur permettre de sauver leur vie, parce que sur le terrain tout le monde sait que la partie est perdue. Militairement, ils ont été vaincus. Pour moi, il ne suffit pas de ramener ces gens, mais aussi de les recycler dans la vie à travers une véritable réintégration sociale, comme leur trouver un emploi ou un logement…

– Mais vous savez bien que le chômage et le problème de logement touchent une bonne partie des Algériens. Le fait de privilégier les repentis par rapport à d’autres qui n’ont pas pris les armes contre leur pays peut être source de problèmes.

– C’est vrai que le problème du chômage touche tous les jeunes, mais il n’y a pas que ça. Parfois, les repentis ne demandent qu’à être écoutés. Ils se sentent abandonnés moralement. L’Etat doit les prendre en charge, parce que je pense que c’est le geste qu’il faut. Il n’est pas question de gratifier ou de leur octroyer des primes pour leurs activités du passé. Rien de cela. C’est juste qu’ils ont besoin de ne pas se sentir marginalisés…

– Selon vous, lorsque le président parle de consolidation de la charte pour la réconciliation nationale, que veut-il dire au juste ?

– Ce sont plutôt des mesures qui relèvent du domaine social. Il est important de savoir que la charte pour la réconciliation n’a pas pris en compte certaines catégories de personnes, comme par exemple les détenus des camps de sûreté du sud du pays ou encore les victimes du terrorisme qui ont subi des dégâts matériels et qui ne sont pas indemnisées. La consolidation politique de la charte pour la réconciliation ne veut pas dire réhabilitation des terroristes, mais plutôt la prise en charge de ceux qui ont été laissés à la marge, lors de l’application de cette même charte. Je cite, par exemple, les dizaines de militaires soupçonnés d’être proches des islamistes et qui ont été relevés de leurs fonctions, sans être jugés. Ils ont perdu leur travail et ont vu leur carrière brisée. Ces gens-là méritent que l’Etat les prenne en charge. Ces catégories sont, en fait, les victimes collatérales du terrorisme et méritent donc que l’on s’occupe d’elles. Ce ne sont pas les chefs terroristes ou les dirigeants politiques du parti dissous qui vont en bénéficier…

– Que pensez-vous alors des propos de cet ancien chef terroriste, Madani Mezrag, qui crie à la trahison, tout en affirmant que Bouteflika n’a pas honoré ses engagements envers les anciens terroristes de son organisation ?

– Ce sont des propos qui n’ont pas de sens. La charte pour la réconciliation a été honnêtement appliquée dans toutes ses dispositions. Je pense que ce sont des propos de campagne électorale seulement. Il y a, cependant, des repentis qui se sont rendus après les délais de cette charte et qui méritent aussi que l’Etat leur trouve un habillage juridique correcte pour leur prise en charge. Ma conception de cette question est que la charte ne doit laisser personne en marge et ce dans la mesure du possible. J’ai toujours dit que la charte est un véritable projet de société.

– Mais certaines dispositions de cette charte n’ont pas été bien appliquées, notamment celles qui écartent les auteurs de massacres, de viols et d’attentats à l’explosif dans les lieux publics, de l’amnistie. Tous les terroristes qui se sont rendus pour être amnistiés se sont présentés comme des fossoyeurs de tombe ou des cuisiniers, alors que nous savons que les terroristes ne donnent de la considération qu’à ceux qui tuent le plus.

– C’est vrai que les enquêtes n’ont pas été très judicieuses à ce sujet. La charte a été un choix politique très difficile à prendre, mais nécessaire. En tant qu’intellectuel, il m’est très difficile d’accepter qu’un tueur ne rende pas compte de ses actes criminels. Mais je sais aussi que toutes les histoires des violences à travers le monde se sont achevées avec une amnistie générale. C’est le seule moyen de régler définitivement les crises. Pour moi, ce qui est important, c’est que ce sont les terroristes qui se sont rendus à l’Etat et non pas l’inverse, comme ont voulu l’imposer certains politiques à travers l’accord de San Egidio, en 1995.

Par Salima Tlemçani