Sommet franco-africain de Paris les 6 et 7 décembre

Sommet franco-africain de Paris les 6 et 7 décembre

La Françafrique est-elle derrière nous ?

Par Khedidja Baba-Ahmed, Le Soir d’Algérie, 5 décembre 2013

Les 6 et 7 décembre se tient à Paris le sommet de l’Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique. A ce jour, 42 chefs d’Etat ou de gouvernement ont répondu favorablement à l’invitation de François Hollande, initiateur de cette rencontre. Le président Bouteflika ne pourra pas être présent pour «raisons de santé», nous a appris l’AFP, la semaine dernière, et c’est le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, qui représentera notre pays à cette rencontre. Pourquoi ce sommet ? Pourquoi à Paris et pourquoi maintenant ? Au-delà des thèmes affichés, que poursuit-on par ce rendez-vous et quels enjeux pour son initiateur, pour la France ? Quel enjeu aussi pour l’Algérie qui, là, beaucoup plus que pour d’autres rencontres portant sur le même sujet ou sur un sujet avoisinant, a tout l’air de s’investir. «Il est important que l’Algérie soit bien associée à la préparation de ce sommet», déclarait Bouguerra, ministre délégué, chargé des Affaires maghrébines et africaines, il y a quelques jours.
En termes de participation, le sommet de Paris revêt un caractère on ne peut plus international : l’ONU, le Conseil européen, la Commission européenne, la Commission de l’Union africaine, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale… sont quasiment tous représentés par leurs premiers responsables. Le président français François Hollande réussira là un grand coup, et il en a bien besoin, lui dont la politique intérieure est décriée, y compris par une partie de son camp qui ne comprend pas la tournure droitière qu’il a fait prendre à certaines grandes décisions ou encore face aux tergiversations et absence de cap que lui reproche l’opposition de droite.
Remonter la pente des sondages qui l’inscrit au plus bas par une action forte à l’international qui donnerait l’illusion qu’il compte à l’extérieur et que sa voix porte est certainement un des buts non affichés, mais surtout pas le seul et pas du tout l’essentiel.
Rappelons que le président français a annoncé ce sommet de Paris le 25 mai dernier à Addis Abeba aux commémorations du cinquantenaire de l’Union africaine. Hollande, qui baignait peu de jours avant dans la satisfaction d’une réussite de son intervention militaire au Mali, se trouvait tout d’un coup confronté aux suites et au prix combien élevé de cette intervention militaire. Au Mali même, la rébellion vaincue momentanément allait refaire surface avec notamment les attentats terroristes commis à Gao, Tombouctou et Tessalit, les indépendantistes touareg de Kidal reprenaient leurs revendications. Dans le même temps, deux journalistes français otages ont été froidement assassinés.
Les 3 000 militaires de l’opération Cerval, qui devaient se retirer progressivement et ne laisser qu’un millier d’ici 2014, vont bien y rester et voir leur effectif très probablement renforcé. Hollande est alors contraint d’installer ses troupes plus durablement au Mali mais pas uniquement dans ce pays.

La France ne renonce pas à garder le contrôle de l’Afrique
La veille de son discours à Addis Abeba, lors d’une déclaration à l’Institut des hautes études de défense, Hollande, nous apprend que l’association Survie, déclarait sa fierté de voir les troupes françaises sollicitées pour intervenir sur divers conflits dans le monde entier. Cela pourrait conforter quelque peu l’idée de la «grandeur de la France», et contrecarrer ceux qui lui reprochent, comme ils l’ont fait à Nicolas Sarkozy, la perte de voix et surtout de poids de la France à l’international. Le poids de la France, son influence, peut, peut-être, signifier quelque chose dans quelques pays d’Afrique et encore. Car au sein même de ces pays, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent notamment de la société civile et parfois même de certains chefs d’Etat, peu nombreux, il est vrai, pour dénoncer cette nouvelle forme de Françafrique. Comment dès lors, pour Hollande, garder le contrôle sur l’Afrique (car il serait illusoire de croire qu’il souhaiterait le perdre) tout en ne se déjugeant pas, lui qui, à plusieurs occasions, avant et après son élection à la tête de l’Etat français dénonçait la politique néocoloniale de ses prédécesseurs en Afrique ? La réponse tient en deux directions : le martellement par des déclarations de foi faisant croire que «l’avis de décès de la Françafrique» a été signé par l’Elysée depuis l’arrivée des socialistes au pouvoir. C’est là un élément du discours produit par les autorités françaises aujourd’hui, même si lorsque ce discours est un peu plus développé, le paternalisme profondément imbriqué par des siècles de politique coloniale décidemment difficile à faire disparaître remonte à la surface. S’il est vrai qu’officiellement ces sommets France-Afrique pour lesquels étaient non pas invités mais «convoqués» les chefs d’Etat du continent africain ont officiellement pris fin selon l’Elysée et s’il est vrai aussi que Hollande ne pourra plus (et très probablement ne souhaitera pas) dicter clairement aux Africains le type de gouvernance qu’ils doivent exercer ni se voir établir un échéancier pour parvenir à instaurer la démocratie, il reste toutefois une deuxième direction de travail qui permet à Hollande de garder la mainmise sur l’Afrique, et ce, grâce à la présence économique française dans le continent. Rattraper son retard économique sur lequel ont largement rogné les Etats-Unis, la Chine, la Turquie… ; se repositionner comme premier partenaire (pourvoyeur d’équipements et de services ?) et surtout comme premier bénéficiaire des richesses des sous-sols de cette région. Au-delà des problèmes de paix et de sécurité, c’est surtout cet aspect qui permettra à la France un retour économique fort et, en soubassement, une influence certaine et durable. Quitte à continuer à s’impliquer au plan militaire et la France continuera à l’être, autant que cette implication serve directement les intérêts de la France. C’est de bonne guerre, sans jeu de mots, et le volet lutte contre le terrorisme lié à la paix affiché par le sommet permettra au moins, si des décisions sont prises, de tirer pour la France deux bénéfices : sécuriser la région pour éviter l’immigration massive dans l’Hexagone et, partant, ne pas entraver sa présence économique en Afrique.
L’intérêt de ce volet économique est qu’il permet en même temps à l’économie française de redécoller et à la France de peser dans la balance à l’international. C’est ainsi que sans qu’on le proclame trop haut, aujourd’hui lorsque le programme du sommet parisien de décembre est décliné, le volet économique est certainement déterminant. Il est si important que de grandes enquêtes et études ont été réalisées en amont de ce sommet. En parcourant celle que vient de réaliser la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat français adoptée le 29 octobre dernier, intitulée «L’Afrique est notre avenir» issue du groupe de travail sur «la présence française dans une Afrique convoitée», on y trouve toutes les raisons qui, selon les sénateurs auteurs de ce rapport, devraient mobiliser les acteurs économiques de l’Hexagone pour regagner ce continent aujourd’hui «si convoité».

Mainmise par l’économie
En termes de bilan de la présence française dans le continent, le constat est qualifié de paradoxal. Alors que la France était fortement présente aux indépendances et qu’elle s’y trouvait seule, aujourd’hui, constatent les rédacteurs du rapport, aucune stratégie n’est définie par la France qui laisse libre cours à ceux qui s’y sont installés, tels que les Chinois, les Indiens, les Brésiliens et les Marocains et qui ont, pour ce qui les concerne, défini chacun une stratégie. Un bilan très fouillé, qui balaie tout le spectre des relations de la France avec le continent africain et qui conclue que la France semble «naviguer à vue» et sa présence «est en net recul». Or il s’agit d’un continent de 2 milliards d’individus, soit un marché colossal, constitué de pays en pleine croissance.
Aussi est-il asséné : «L’avenir de la France comme celui de l’Europe est lié à celui de l’Afrique.» C’est dit, mais comment construire cet avenir ? Les sénateurs y répondent en dégageant 10 priorités et 70 mesures à même de relancer les relations de la France avec ces pays. Pour résumer et au risque d’être réducteur, il est notamment préconisé : de définir une stratégie ambitieuse et cohérente en tenant «un autre discours sur l’Afrique», en «s’émancipant du passé» et en restructurant le «pilotage de la politique africaine» en créant un ministère de la coopération internationale de plein exercice qui prenne en compte la dimension régionale. Dans cette stratégie, il est proposé de faire de l’économie une priorité en élaborant une approche de conquêtes des marchés africains par filière, en améliorant le financement à l’export et en renforçant la coordinations des acteurs de l’export. Dans la même veine, il est suggéré «d’intégrer nos intérêts économiques français dans les missions de notre coopération». Quant aux aspects liés à la défense, le rapport considère «qu’il faut donner un sens africain à la présence militaire française» ; en fait, faire approuver et, mieux encore, impliquer directement les Africains dans les dispositifs militaires français présents en Afrique, donnant ainsi la bénédiction des Africains eux-mêmes aux forces françaises présentes et à venir dans le continent.
Rien de possible en Afrique sans l’Algérie, mais aussi sans la France
Ce rapport très fouillé, qui contient beaucoup d’éléments, est toutefois traversé par une fixation unique : comment faire regagner à la France le terrain perdu en Afrique et gagné par de nouveaux opérateurs essentiellement du Sud d’ailleurs, ce qui semble poser problème au plus haut degré ?
Que peut alors attendre l’Algérie de ce raout franco-africain auquel elle compte participer ? Lors de l’une de ses interventions qui ont immédiatement suivi sa désignation à la tête de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra s’était défendu de pratiquer la politique de la chaise vide. C’était une déclaration venue avant l’initiative du voisin marocain de tenir à Rabat une conférence régionale des MAE sur la sécurité des frontières au Maghreb et au Sahel. Le Maroc, quel que soit le sujet, attire ne serait-ce que par ses atouts touristiques, et l’on a vu cette rencontre regrouper une vingtaine de pays, dont la France et de nombreuses organisations internationales. L’Algérie ne pouvait pas décemment cautionner une telle rencontre et le MAE algérien a informé de son absence à cette réunion. Une conférence pour le moins insolite, d’abord, de par le fait même que son initiateur, soit le Maroc, pays qui, quelques jours plus tôt, déversait toute sa hargne contre l’Algérie et laisser attenter à son drapeau à Casablanca. Ensuite, à quel titre ce pays prenait le leadership de cette rencontre alors que le Maroc est le moins exposé à ses frontières ? Avec l’absence de l’Algérie, les résultats de cette conférence ont été des plus insignifiants. Des velléités sans lendemain, et l’Algérie s’est déclarée s’en tenir aux strictes décisions de la réunion de Tripoli qui s’est déroulée en mars 2012, en Libye. Ainsi, Paris comme Rabat savent que rien ne peut se faire dans la région sans l’Algérie. Nos diplomates le savent en premier. Si la chaise vide a été pratiquée lors de la rencontre de Rabat, et ce, pour des raisons évoquées plus haut et très largement justifiées, elle ne le sera pas à cette conférence parisienne, et pour cause. Ramtane Lamamra (propos rapportés par l’AFP) déclarait le 27 mai dernier, alors qu’il assurait encore la fonction de commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine : «Il est vraiment dommage que cinquante ans après notre indépendance, notre sécurité dépende à ce point d’un partenaire étranger.» Alger sait aussi qu’il partage cette réflexion avec d’autres pays africains, même s’ils sont peu nombreux. Alger sait surtout que la France encore et pour longtemps reste incontournable pour beaucoup de pays, y compris d’ailleurs le nôtre. «La mise en place de mécanismes africains sur les questions de paix et de sécurité nécessite la contribution de nos partenaires, dont la France, pour aboutir à des résultats concrets et satisfaisants et faire face aux problèmes d’ordre sécuritaire auxquels fait face l’Afrique.» Ce sont là les propos de M. Bouguerra, le ministre délégué algérien, chargé des Affaires maghrébines et africaines (in El Moudjahid du 13 novembre 2013), propos tenus à l’issue de son entretien avec Mme le Gal, conseillère Afrique à la présidence française. S’il fallait agir pour résoudre les crises en Afrique et travailler à instaurer la paix et la sécurité en créant une force d’intervention rapide placée sous le pavillon de l’Unité africaine, notre diplomatie devra agir au niveau africain en renforçant son influence (ce que tente de faire le Maroc dont le roi en personne sillonne la région alors que son poids régional n’égal pas celui de l’Algérie) tout en restant réaliste : pour l’instant, dans le continent, rien ne peut se faire sans la France. Quant au volet économique, nous ne retiendrons là aussi que cette déclaration de M. Bouguerra : «Les efforts déployés en termes de développement socio-économique doivent évoluer dans un cadre de partenariat.» Tout est dans ce qu’on met dans ce concept de «partenariat». S’il s’agit de relations contractuelles «gagnant-gagnant», la réciprocité du gain est loin d’être acquise aux Africains comme est d’ailleurs loin la fin de Françafrique même si la volonté affichée des socialistes au pouvoir est d’y mettre fin.
K. B. A.

Etat des lieux des forces françaises en Afrique*

La présence militaire française en Afrique se base en grande partie sur des accords de défense signés pour la plupart au moment des indépendances du début des années 1960, ou des années 1970, pour ce qui est de Djibouti et des Comores. La France dispose de quatre bases militaires pré-positionnées sur le continent africain

Djibouti : La plus importante base militaire française en Afrique, avec environ 2 900 militaires.

Gabon : Environ 900 militaires
Les forces françaises du Gabon maintiennent en alerte des moyens pour soutenir les opérations menées en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.

Sénégal et Cap-Vert : Force pré-positionnée permanente de 1 150 militaires.

La France participe, en outre, à diverses opérations dites de «maintien de la paix» telles que au:
Tchad : Opération Epervier, 950 militaires

Le groupement Terre compte environ 350 militaires et 70 véhicules répartis entre une compagnie motorisée et un escadron blindé à N’Djamena et une unité élémentaire de protection terrestre à Abéché. Le groupement Air comprend environ 150 militaires et 12 aéronefs (dont 5 Mirage et un Transall) stationnés sur la base de N’Djamena.

Côte d’ivoire : Opération Licorne, 450 militaires
Le dispositif militaire français évolue depuis l’automne 2011, dans le cadre de la «normalisation» de la situation dans le pays et de la révision des accords de coopération qui lient la France à la Côte d’Ivoire. Les militaires français ont pour mission d’accompagner la réforme de l’armée ivoirienne et d’assurer la protection des ressortissants français si besoin est.

République centrafricaine : Opération Boali, environ 600 hommes.
Ces hommes sont basés à Bangui dans le cadre de l’opération Boali de soutien de la mise en place de la première force multinationale africaine en Centrafrique (Fomuc) de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac). Hors Afrique, aux Emirats arabes unis 700 hommes. «Camp de la paix» installé depuis 2009. Les militaires participent notamment à l’opération Atalante de lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes.

Au total, environ 6 000 soldats français sont pré-positionnés dans des bases permanentes auxquels il faut ajouter de 3 000 à 5 000 soldats présents dans le cadre d’opérations extérieures ainsi qu’une présence maritime permanente dans le Golfe de Guinée affectée à la protection des sites pétroliers offshore.

Ce dispositif est complété par le Commandement des opérations spéciales (COS). Créé en 1992, il s’agit des forces spéciales, constituées d’un réservoir de 3 000 hommes choisis parmi les troupes d’élites, dotés d’équipements ultra-modernes, dépendant directement de l’Elysée et capable d’interventions sur toute la planète.

*Eléments statistiques du ministère français de la Défense et des quotidiens Le Monde et Libération