Afrique : Richesses importantes sur fond de sous-développement

Déficits chroniques, instabilité politique, démographie et absence de réformes

Afrique : Richesses importantes sur fond de sous-développement

El Watan, 30 mai 2016

Les mauvaises notes s’enchaînent pour l’Algérie. Après l’évaluation du Fonds monétaire international (FMI) qui a fait ressortir récemment la vulnérabilité de l’économie nationale face au choc pétrolier et mis en garde contre des difficultés économiques sévères en cas d’absence de réformes structurelles, c’était au tour, la semaine dernière, de la Banque africaine de développement (BAD) de dresser un diagnostic loin d’être rassurant sur l’économie algérienne.

Dans un rapport sur les perspectives économiques en Afrique pour 2016, le quinzième du genre rendu public à l’occasion des assemblées annuelles de la BAD tenues du 23 au 27 mai à Lusaka (Zambie), la BAD, tout comme le FMI, relève la nécessité d’opérer des réformes structurelles pour en finir avec la dépendance vis-à-vis de la rente.

«Cette situation conjoncturelle devrait être une opportunité d’accélérer les réformes visant la diversification et la transformation structurelle de l’économie», soulignent les rédacteurs du rapport. Pour ces derniers, l’Algérie doit diversifier son économie en s’appuyant moins sur les hydrocarbures et transformer son modèle de croissance. Un dossier, dit-on, sur lequel travaille actuellement le gouvernement. Aussi, les experts de la BAD plaident pour des réformes vigoureuses afin de doper la croissance et créer des emplois pour une population jeune qui augmente rapidement.

Rappelant que la croissance s’est établie à un niveau estimé à 3,9 % en 2015, tirée principalement par l’agriculture et un rebond dans le secteur des hydrocarbures et qu’avec un secteur pétrolier qui génère environ 49% des recettes publiques et 96% des exportations, la banque africaine note que la baisse des cours du pétrole a réduit les épargnes budgétaires et extérieures. Ce qui met en évidence la nécessité de diversifier les sources de financement public de l’économie. Et ce, d’autant que les défis à relever en matière d’emploi, d’éducation et de santé sont importants face à un boom démographique (40 millions d’habitants) avec une population urbaine à 70% après avoir enregistré une transition entre 1987 et 1988.

Des prévisions moroses

L’épuisement des marges de manœuvre budgétaire et les indicateurs macroéconomiques qui sont dans le rouge n’arrangent guère la situation (voir tableau 1). Avec une croissance réelle du Produit intérieur brut (PIB) qui s’est établie à 3,9 % en 2015 contre 3,8 % en 2014, tirée principalement par l’agriculture, en particulier la production végétale et un rebond dans le secteur des hydrocarbures, les perspectives s’annoncent moroses pour 2016 et 2017. La BAD prévoit respectivement des PIB de l’ordre de 3,4% et 3%. L’institution finacière met par ailleurs en garde contre le retour de l’inflation. En 2015, le taux était de 4,8% en hausse après deux années consécutives de baisse. «C’est le résultat de l’augmentation des prix des produits alimentaires et des biens manufacturés.»

Ce retour à l’inflation tient à des dysfonctionnements des circuits de distribution, notamment des produits agricoles frais et des produits alimentaires industriels», explique la Banque qui prévoit dans le même sillage des taux d’inflation de 4,3% et de 4% en 2016 et 2017 (voir tableau 1). Autre indicateur inquiétant : pour la première fois depuis 16 ans, la balance commerciale affiche un important déficit de 9% du PIB en 2015, en raison de la couverture des importations (31% du PIB) par les exportations (21% du PIB), entraînant une diminution des réserves officielles de change.

Les comptes de l’Etat sont affectés par l’érosion des ressources du Fonds de régulation des recettes (FRR), consécutive à la baisse notable de la fiscalité pétrolière, passée de 20 à 13% du PIB entre 2014 et 2015. Avec des recettes totales en baisse (27% du PIB en 2015 contre 33% en 2014) et des dépenses budgétaires toujours élevées (43% du PIB en 2015 et 2014), le déficit global s’est creusé. Il est passé, selon la même source, à 16% du PIB en 2015 contre 8,3% en 2014.

Les prévisions pour 2016 et 2017 sont respectivement de 15,4% et 14,7%. «La conjoncture est surtout marquée par l’impact de la chute drastique des cours du pétrole sur la position extérieure ainsi que les comptes publics», note encore le rapport de la BAD. Un document qui place l’Algérie parmi les pays riches africains les plus affectés par la conjoncture internationale. En effet, dans de nombreux cas, les positions budgétaires et les comptes courants se sont dégradés.

«La chute des cours des produits de base a fortement déstabilisé les budgets des pays riches en ressources, et ce, dès 2014. Ces pressions sont allées en croissant en 2015», lit-on dans ce rapport.

La BAD poursuit : «La plupart des pays ayant accumulé des réserves lors du précédent boom ont réussi à faire face à ce revirement. Mais les déficits budgétaires relativement importants affichés pour certains en 2014 se sont aggravés en 2015». C’est le cas, en plus de l’Algérie, du Congo, de la Libye, du Sud-Soudan et de la Zambie.

Pour ces régions, la dégradation de la balance extérieure (liée à une baisse des recettes d’exportation) a entraîné la dégradation de l’équilibre budgétaire (lié à un manque à gagner fiscal dans les industries extractives).
Dans plusieurs cas, la dépréciation de la monnaie a aussi favorisé cette détérioration récente de la position extérieure, en renchérissant les importations.

«Mais cet affaiblissement de la monnaie finira par redresser la balance commerciale dans la mesure où les entreprises nationales deviendront plus concurrentielles à la fois sur les marchés extérieurs et sur les marchés nationaux», explique à ce sujet le rapport de la BAD dans lequel les rédacteurs préconisent, pour éviter le phénomène dangereux des déficits jumeaux, de faire preuve de prudence budgétaire mais aussi de poursuivre une politique de taux de change concurrentielle et d’améliorer constamment l’environnement opérationnel des entreprises nationales et le climat des IDE (Investissements directs étrangers). «Ce faisant, les deux déficits finiront par baisser.

Lorsque les déficits courants restants sont en grande partie financés par les IDE, ils restent tenables dans la mesure où ce type de financement n’aggrave pas la dette extérieure», relève la BAD.

Ce qui n’est pas le cas en Algérie où le flux des IDE est timide. Un constat observé dans la majorité des pays de l’Afrique, essentiellement en Afrique du Nord.

L’Egypte, première destination des IDE

En 2015, les premières destinations africaines des IDE sont l’Egypte (10,2 milliards USD), le Mozambique (4,7 milliards), le Maroc (4,2 milliards), l’Afrique du Sud (3,6 milliards), le Ghana (2,5 milliards), la RDC (2,5 milliards), la Zambie (2,4 milliards), la Tanzanie (2,3 milliards), l’Ethiopie (2,1 milliards), la Guinée (1,9 milliard) et le Kenya (1,9 milliard). Sans l’Egypte, les investissements en Afrique du Nord auraient fondu, mais ce pays a bénéficié d’une hausse des apports entre 2014 et 2015, de 5,5 à 10., milliards USD. Les investisseurs des EAU ont joué un rôle important dans le redressement de l’économie égyptienne.

Les apports en faveur du Maroc sont passés de 4,7 milliards USD en 2014 à 4,2 milliards en 2015, le pays restant cependant la troisième destination des IDE en Afrique. «Le terrorisme et l’insécurité grandissante dans certains pays du Sahel, sans parler de l’instabilité politique, pourraient menacer ces flux d’investissements», avertit la BAD qui évoque également différents facteurs externes et internes qui conditionnent la rentabilité de ces opérations, dont le ralentissement des activités des économies émergentes et la morosité de la reprise dans les pays de l’UE.

En effet, le repli des cours du pétrole et ceux des métaux ont poussé les opérateurs étrangers à réduire leurs investissements dans les pays riches en ressources.

Une croissance moyenne de 3,7% en Afrique en 2016

A titre indicatif, le rapport porte globalement sur l’évolution du continent dans son ensemble. Il souligne les conséquences négatives du fléchissement des cours du pétrole et des produits de base, d’une conjoncture internationale hésitante et des incertitudes politiques intérieures pour de nombreuses économies africaines ; par ailleurs, l’analyse met en évidence la réponse des gouvernements. Elle examine ensuite les performances économiques récentes du continent et les prévisions pour 2016 et 2017, ainsi que les moteurs de l’offre et de la demande. Les perspectives économiques présentées dans ce rapport et qui tablent sur une croissance moyenne modérée en 2016 (3,7 %), qui devrait rebondir en 2017 à 4,5% reposent, faut-il le noter, sur l’hypothèse d’une stabilisation des cours du pétrole et des autres produits de base, puis d’une redynamisation l’entreprise. Cependant, vu les niveaux actuels, en 2016 les prix resteront inférieurs en moyenne à ceux de 2015 et ne commenceront à se redresser qu’en 2017, prévient-on au niveau de la BAD . Ainsi, en tablant sur un prix moyen du baril de pétrole à 37 USD en 2016 et 48 USD en 2017, les cours de pétrole céderont 27% en 2016 avant de regagner environ 30% en 2017. Pour la BAD, les incertitudes entourant l’économie mondiale en général et le marché du pétrole et des produits de base en particulier rendent cependant ces hypothèses particulièrement fragiles, la probabilité qu’il faille les revoir à la baisse étant plus plausible que le scénario inverse.

L’urgence de réformes structurelles

Parallèlement à la situation des pays comme l’Algérie, les pays moins dépendants du pétrole et des autres produits de base ont dû également gérer de fortes contraintes budgétaires et, pour certains, se sont retrouvés en 2015 avec un déficit supérieur ou égal à10% du PIB. Une situation observée au Congo, en Egypte, en Erythrée et en Gambie.
«Une poignée de pays a cependant enregistré des excédents en 2015 (Botswana, Lesotho et Seychelles), de nombreux autres se retrouvant avec un déficit raisonnable, autour de 3% du PIB, voire moins», fera remarquer toutefois le document citant dans ce cadre le Burkina Faso, les Comores, l’Ethiopie, le Gabon, la Guinée Bissau, la Mauritanie, le Nigeria, la RDC, le Soudan, le Swaziland et le Zimbabwé. Quel que soit leur degré de vulnérabilité mondiale, comment ont réagi les gouvernements face à ce contexte économique difficile ? «La plupart des gouvernements prennent des mesures pour contenir ces déficits», répond la BAD pour qui les politiques publiques doivent s’efforcer de stabiliser les sources actuelles de financement et d’en mobiliser de nouvelles pour soutenir les infrastructures, la formation et l’emploi.

Ainsi, le défi commun aux pays africains dont certains sont marqués par l’instabilité politique est lié aux réformes structurelles et réglementaires. Ce qui tarde à se faire dans une région minée par la corruption.

Samira Imadalou


Développement humain

L’Afrique toujours à la traîne

Si les progrès en termes d’éducation, de santé et de niveau de vie se poursuivent, ils sont cependant trop lents. C’est ce que relève le rapport de la BAD dans le chapitre du «développement humain».

Le document en question met en exergue les inégalités entre pays, à l’intérieur des pays et entre hommes et femmes et le manque de débouchés pour les jeunes, la faiblesse de la transformation structurelle, surtout dans les secteurs où sont concentrés les groupes marginalisés (agriculture, économie informelle).

D’ailleurs, les Agendas 2030 et 2063 rendent parfaitement compte de l’ampleur du défi du développement humain face à une population toujours plus nombreuse et mobile.

D’où la nécessité de s’attaquer, préconisent les rédacteurs du rapport, à la pauvreté urbaine. Elaboré sous le thème spécial «Villes durables et transformation structurelle», le document sur les perspectives économiques en Afrique estime urgent d’assurer la sécurité, de promouvoir les droits de l’homme et protéger les membres les plus vulnérables de la société. «Face à des citoyens qui revendiquent avec toujours plus de force de meilleures opportunités économiques et des institutions plus crédibles et plus responsables, ce sont là des conditions impératives», résume-t-il pour mettre en garde contre les tensions sociales. Pour la BAD, une réponse adaptée passe par des politiques réglementaires solides et des services publics efficaces.

Car l’urbanisation rapide de l’Afrique représente une grande opportunité pour les citadins comme pour le développement rural. Les 2/3 des investissements nécessaires dans les infrastructures urbaines à l’horizon 2050 n’ont pas encore été effectués de sorte que les dirigeants africains disposent d’une réelle marge de manœuvre pour faire des villes du continent les moteurs d’une transformation structurelle durable.

L’urbanisation, une opportunité en manque de stratégie

«La création d’emplois productifs pour la masse croissante de citadins doit être un objectif central», note encore le document qui plaide pour des nouvelles politiques de la ville, nationales et locales.

Des politiques qui ont, selon la même source, un triple rôle à jouer : pour le développement économique, en renforçant la productivité agricole, l’industrialisation et les services ; pour le développement social, avec des logements plus sûrs et accessibles à tous et des filets de sécurité sociale plus solides ; et pour la gestion de l’environnement, via l’atténuation des effets du changement climatique.

Autant de solutions nécessaires pour remédier notamment aux pénuries d’eau et d’autres ressources naturelles, le contrôle de la pollution atmosphérique, des systèmes de transport public propres, une collecte des déchets optimisée, et un meilleur accès à l’énergie. Pour cela, il faudrait augmenter les investissements dans les infrastructures urbaines, resserrer les liens avec le monde rural, adapter le marché immobilier formel à la demande de logements, contrôler l’étalement urbain et concevoir des systèmes de transport de masse en ville et entre les villes.

C’est le cas justement en Algérie où 70% de la population est concentrée dans les villes et où l’aménagement du territoire a intégré les concepts d’urbain et de durabilité dans les lois qui sont actuellement, pour rappel, en phase d’élaboration ou de modification puisque le schéma national directeur d’aménagement et de développement territorial est en révision.

Samira Imadalou