La politique algérienne de l’emploi reste à évaluer, réformer et rénover

SELON UN RAPPORT D’UNE FONDATION EUROPÉENNE

La politique algérienne de l’emploi reste à évaluer, réformer et rénover

Le Soir d’Algérie, 6 septembre 2014

La politique algérienne en matière d’emploi et de gestion du marché du travail reste à bien évaluer, réformer, rénover. C’est le constat, la conclusion à laquelle aboutit un rapport sur la politique de l’Algérie dans le domaine de l’emploi, élaboré pour le compte de la Fondation européenne pour la formation (ETF).

Chérif Bennaceur – Alger (Le Soir) – Un rapport a été rédigé en juillet 2013 par un chercheur du Centre de recherches en économie appliquée au développement (Cread), Mohamed Saïb Musette, en collaboration avec Moundhir Lassassi et Mouloud Mohamed Meziani, au profit de la Fondation européenne pour la formation et de la Commission européenne, dans le cadre du dialogue politique entre l’Union européenne et l’Algérie.

Finalité du rapport

Intitulé «les Politiques de l’emploi et les programmes actifs du marché du travail», ce rapport comporte une analyse affinée de la politique de l’emploi en Algérie. En effet, la vocation de ce rapport n’est pas d’analyser les tendances et défis des marchés de l’emploi, mais plutôt de dresser l’inventaire des politiques actuellement menées en matière d’emploi et des programmes actifs du marché du travail (PAMT) existants, et d’en évaluer les résultats ainsi que l’efficacité à relever les défis représentés par l’emploi. Ainsi, ce rapport observe que même si le «Printemps arabe» a épargné l’Algérie, des révoltes de la population, notamment juvénile dans le sud du pays, ont éclaté, quoique «contenues » et les autorités ont dû céder aux revendications salariales. Voire, l’accès des jeunes au marché du travail a été rendu davantage aisé.

De la politique nationale de l’emploi

Présentant un contexte économique et social alors relativement favorable, le rapport indique qu’un budget de 350 milliards de dinars (environ 4,7 milliards de dollars) a été consacré au profit de la création d’emplois. Ce faisant, une politique nationale de l’emploi et de résorption du chômage (accompagnement de l’insertion professionnelle des diplômés, soutiens à la création de micro-entreprises, financement des dispositifs d’emplois d’attente…) a été initiée dès 2008 et confortée par la mise en place de dispositifs et services dédiés, tout en subissant ultérieurement des réajustements et une hausse des dotations budgétaires.

Des services dédiés

Considérées comme les principaux acteurs des politiques de l’emploi et de la gestion des PAMT, voire de la lutte contre la pauvreté, cinq principales agences publiques, l’Agence nationale pour l’emploi (Anem), la Caisse nationale d’assurancechômage (Cnac), l’Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes (Ansej), l’Agence de développement social (ADS) et l’Agence nationale de gestion du microcrédit (Angem), dont la tutelle relève des ministères du Travail, l’Emploi et la Sécurité sociale et de la Solidarité nationale ont vu leurs rôles renforcés et leurs activités réorganisées, tout en bénéficiant de l’augmentation de leurs dotations budgétaires.

Des résultats probants annoncés officiellement

Une dynamique stimulée par l’Etat, marquée par des résultats qualifiés officiellement de probants en termes de création d’emplois (deux millions annoncés en 2011, un objectif de création de 3 millions d’emplois concrétisé à 80% à la fin 2012) mais que le rapport ne manquera pas de remettre en cause de manière objective. Outre le fait que le chômage ait amorcé une décrue, se stabilisant entre 2011 et 2012 à un taux de l’ordre de 10%, soit un peu plus de 1 million de chômeurs, voire moins par la suite. Et cela même si le rapport note des contradictions entre les données administratives et celles statistiques des enquêtes sur les forces de travail (EFT) qu’élabore l’Office national des statistiques (ONS).

Contradictions en matière de collecte des informations

A ce propos, le rapport note que plusieurs EFT n’ont pas été publiées, parfois bloquées par le gouvernement. Comme l’on relève que les EFT et les données administratives sont deux sources d’informations qui agissent chacune avec «sa logique» et «ses limitations». Voire, la rédaction de ce rapport a été contrainte, relève-t-on, par «une certaine réticence à divulguer des informations sur les activités des diverses agences au point que l’on peut parler de véritable occultation», même si nombre de données chiffrées sont rapportées ultérieurement.

Faiblesse du taux d’activité

Analysant la situation du marché du travail, en se référant à l’ONS, le rapport constate notablement la faiblesse du taux d’activité global (de 42% en 2010 à 39,59% en 2011-2012), en faisant état de 10,6 millions d’occupés (dont 9,56 de salariés), sur un potentiel de 27 millions de main-d’œuvre potentielle et une population de 37 millions d’habitants en 2012. Certes, le taux de chômage a décru alors (à 9,96% soit 1,062 million de chômeurs) mais demeure élevé en milieu urbain, chez la population féminine plus vulnérable (17,2%), chez les jeunes (24%) et de manière spécifique pour les jeunes du secondaire et les universitaires femmes. Le taux de chômage des universitaires et des diplômés de la formation professionnelle est également élevé (+13% pour les premiers), note le rapport qui met en avant l’«inadéquation» des formations et le recours élevé à la main-d’œuvre étrangère. Egalement, le rapport note que la participation des femmes au marché du travail stagne à 14,2%.

L’emploi informel aurait baissé

De même, il apparaît que le marché du travail «n’est pas encore sorti des turbulences sociales», avec l’émergence de nouveaux porteurs de revendications, notamment dans le Sud où l’intégration des jeunes continue depuis de constituer un défi. En outre, le rapport observe la faible part du secteur productif, la prédominance du secteur privé (employant à hauteur de 60%), la dominance des emplois temporaires (79,5%). Certes encore prégnant et à l’origine selon le rapport des agitations sociales du début 2011, le secteur informel se caractérise toutefois par le ralentissement de l’emploi, en raison des mesures répressives et d’intégration décidées par les pouvoirs publics. Faisant état d’un niveau d’informalité (défini par l’absence de protection sociale de l’emploi) de 40,7% en 2011 contre 45,6% en 2010, le rapport note toutefois que l’EFT indique un taux d’emploi informel de 73,3% et que la Banque mondiale cite 34,8% du PIB.

À propos des salaires

D’autre part, le rapport évoque le système de rémunération différencié dans le secteur public mais aussi privé, en rappelant l’instauration du Salaire national minimum garanti (SNMG) et la contrainte que pose l’article 87 bis du code de travail, en vigueur depuis la mi- 1990. Mais aussi en citant l’absence de contrôle systématique et régulier de l’évolution des salaires, malgré les enquêtes de l’ONS et les rapports de la Caisse nationale d’assurances sociales (Cnas), et même si des augmentations salariales ont été concédées, le SMG «revu à la hausse sans incidences sur les secteurs économiques» et les pensions de retraites légèrement augmentées en 2013.

L’Algérie n’a pas innové

Des contraintes et «une forte pression» sur le marché du travail que l’insuffisante croissance économique, le rapport constatant que la situation budgétaire est «insoutenable» actuellement, le défi démographique croissant (hausse du taux de natalité de 1,3%), l’absence de système régional d’alerte, le défi de la maîtrise des dépenses sociales et le coût élevé des programmes d’emploi, risquent néanmoins d’aggraver et de les rendre insurmontables. Davantage critique, le rapport de l’ETF observe qu’en matière de stratégie dédiée à l’emploi, «l’Algérie n’a pas innové ». Ainsi, les concepteurs des politiques de l’emploi ont «simplement renforcé la voie adoptée dès 2008» et «l’emploi est régi par plusieurs séries de loi, régulièrement actualisées mais qui restent obscures», considère- t-on. En outre, le nouveau code du travail, attendu depuis 2000, se fait «encore attendre» selon les rédacteurs du rapport de l’ETF qui notent qu’«aucun changement législatif majeur n’a été opéré» et évoquent la poursuite du combat syndical, la dominance de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) et le dynamisme des syndicats autonomes.

Des services dédiés mais aucune évaluation

Dans un autre chapitre, les concepteurs du rapport analysent l’action des services dédiés aux PAMT et voués à atténuer les tensions sociales (Anem et ADS) et à développer la création d’entreprises (Ansej, Cnac et Angem). Au-delà des chiffres sur le nombre d’emplois créés et de l’évolution de leurs missions et de leurs moyens d’actions, sur trois générations, l’on note, ce faisant, que des efforts ont été «fournis» par l’Etat mais qu’«aucune évaluation concrète n’a été encore effectuée». Critiquant clairement le manque de visibilité de la politique de l’emploi, le rapport observe une «contradiction apparente» des statistiques du marché du travail. Certes, «l’EFT a le mérite d’exister», note-t-on, «mais elle n’est conçue ni pour évaluer l’efficacité des politiques ni pour en mesurer les incidences ». A ce propos, l’on note que le nombre de 2 millions créés n’est qu’«une estimation qui ne repose sur rien». Comme il s’avère difficile de vérifier la comptabilité des agences et autres informations relatives aux budgets, le nombre et les caractéristiques des bénéficiaires, le taux d’abandon, le suivi des bénéficiaires et l’évaluation de l’efficacité de la politique en termes de taux de placement, d’incidence sur la durée du chômage et de qualité de l’emploi (par exemple, revenu moyen, travail formel). En d’autres termes, «les interventions de l’État ont certainement eu une incidence sur le marché du travail et, dès lors aussi, sur le taux de chômage, mais en l’absence d’évaluation d’impact, exécutée dans le respect des normes techniques et scientifiques, il n’est pas facile de discuter de la relation entre l’intervention de l’État (selon les sources administratives) et le niveau de chômage en Algérie (selon l’EFT)», est-il rapporté.

Des experts donnent des avis mitigés

Par ailleurs, le rapport de l’ETF se base sur les points de vue de 10 experts, au rang desquels figurent des agents de l’État, d’anciens hauts responsables des agences de l’emploi, des représentants des partenaires sociaux (syndicats et organisations patronales) et des représentants de la société civile. Appelés à se prononcer sur les avantages et inconvénients des programmes, l’existence de bonnes pratiques», l’opportunité de la révision, voire la nécessité d’une nouvelle politique, les «avis» de ces experts ont été assez mitigés. Si certains experts consultés considèrent les PAMT comme «essentiels» et devant être maintenus tels quels, car ayant permis une certaine «dignité » retrouvée et constituant de «bonnes pratiques», d’autres consultants expriment des avis contraires. Selon ces experts qui les qualifient de «déplorables», en relevant tant l’absence de relations intersectorielles, la fragmentation des responsabilités que l’existence de moult dysfonctionnements, insuffisances et incohérences par rapport à la réalité, les programmes de l’emploi doivent être revus.

De la nécessité d’une nouvelle politique de l’emploi

Voire, la nécessité d’une nouvelle politique de l’emploi et de lutte contre le chômage s’impose selon ces consultants qui prônent la nécessité d’une évaluation complète des mesures proposées et appellent à instaurer un nouveau système politique basé sur l’intérêt national, impliquant le secteur public et le secteur privé. Un constat que le rapport de l’EFT semble partager dans ses conclusions. Ainsi, l’on constate que l’élément central autour duquel s’articulent les politiques de l’emploi en Algérie est la mise en œuvre de PAMT par diverses agences publiques, chacune s’étant vu attribuer des programmes différents et bénéficiant de ressources substantielles». Pourtant, «malgré l’énorme quantité de ressources qu’elles absorbent, les informations sont limitées ». Or, si «l’accent est mis essentiellement sur les PAMT et nettement moins sur les politiques de création d’emplois, sur le système d’études et sur la sécurité sociale», fait-on ressortir, des «solutions à plus long terme» peuvent cependant «nécessiter des réformes plus approfondies du marché du travail».

Des «réformes» de l’environnement requises

Il s’agit de «l’amélioration de l’environnement des entreprises et la restructuration économique, le changement du cadre législatif et des institutions, la rationalisation du secteur public, le rapprochement des conditions de travail entre le secteur public et le secteur privé, la croissance des PME et le développement d’un solide secteur privé, l’amélioration des conditions sur le secteur informel… ». De même, l’on estime nécessaire de se concentrer davantage sur l’amélioration de la qualité de l’enseignement et du système d’apprentissage tout au long de la vie.

Penser à une éducation «sérieuse»

Certes, «l’éducation a été la priorité, drainant de nombreux investissements publics et privés au fil des années et permettant de beaux progrès en matière d’accès universel », note-t-on. Toutefois, « le retour sur investissement laisse à désirer en termes de résultats significatifs en matière d’éducation», relève-t-on. Ainsi, «il est sans doute moins onéreux et plus rentable de prévenir les problèmes grâce à une éducation sérieuse et de bonne qualité dès le plus jeune âge que d’y remédier ultérieurement au moyen de mesures de PAMT», est-il observé. De fait, l’on estime qu’«une évaluation réelle s’impose. Nous savons que les PAMT peuvent avoir des effets positifs sur les personnes individuelles, mais ils peuvent aussi n’avoir aucune incidence, voire même avoir une incidence négative, sur l’économie : par exemple, des pertes d’efficacité, un effet de substitution eu égard aux salaires subventionnés, voire un effet de déplacement». Cependant, «sans évaluation préalable, nous ne disposons d’aucune preuve plaidant en faveur ou en défaveur d’une quelconque incidence, bien que nous sachions que les programmes créent généralement des emplois temporaires, et aucune information n’est disponible concernant l’impact à long terme ou la permanence», écriton.

Le développement du secteur privé incontournable

En somme, les programmes «ne traitent dès lors pas les problèmes sous-jacents de l’économie réelle et de sa capacité génératrice d’emplois, mais ils postposent au contraire les problèmes». Et dans la mesure où «l’Algérie est généralement considérée comme un pays doté d’un environnement d’affaires strict qui limite le développement de son secteur privé. Si le secteur privé ne peut croître, il apparaît difficilement possible de résoudre le problème du chômage sans injection permanente de fonds publics ».

Ce que l’EFT recommande

L’opportunité pour le chercheur du Cread et l’ETF de formuler quelques recommandations à l’adresse du gouvernement. Ainsi, l’on recommande d’établir un observatoire national pour l’emploi et la formation qui produira des données fiables et développera des options stratégiques fondées sur leur analyse. Cet observatoire pourra ainsi «mener une enquête annuelle portant sur l’emploi (contenant moins de questions) auprès d’un échantillon plus large, organisée quatre fois par an auprès d’un échantillon à chaque fois partiellement différent». Autres missions, «garantir la publication des données et des résultats (l’ONS ou tout autre centre de recherches pourrait réaliser l’EFT pour l’observatoire) ; réaliser des études approfondies à intervalles réguliers sur des thèmes spécifiques tels que l’emploi des femmes, l’emploi informel, l’emploi des jeunes, le travail des enfants, l’emploi des seniors ou le marché du travail rural et mener régulièrement des enquêtes sur les salaires couvrant toutes les formes de forces de travail, notamment les très petites entreprises». Comme l’on recommande de réactiver le Conseil supérieur de la statistique, de former le personnel des services administratifs à la préparation des données conformément aux normes et normes scientifiques en termes de flux, en particulier avec des programmes d’entrée et de sortie ». Egalement, de mettre en place une équipe d’experts qui analysent régulièrement les données et développent des options stratégiques solides fondées sur les résultats des analyses à l’adresse du gouvernement.

Réformer progressivement les PAMT

En second lieu, on conseille de «maintenir les programmes existants moyennant quelques ajustements à court terme et une réforme totale à moyen terme, après une évaluation rigoureuse de l’impact». Ainsi, le gouvernement «devrait lancer une évaluation complète et un processus d’analyse de l’impact des programmes existants, et les résultats des programmes portant sur le marché du travail doivent être diffusés». À partir de cette analyse, «la structure des agences et leurs programmes doivent être révisés. Deux agences, à savoir l’Ansej et l’Angem, peuvent être transformées en une institution de microfinance unique. Cette institution devrait également être ouverte au secteur privé et devrait opérer de façon transparente». Les trois autres agences, à savoir l’Anem, la Cnac et l’ADS, doivent revenir à leurs missions initiales, à savoir le placement, l’assurance chômage et la lutte contre la pauvreté respectivement.
Planifier avec le privé, développer la coordination locale
En troisième lieu, l’on considère que «tous les programmes en matière d’emploi et d’activation du marché du travail doivent être planifiés avec le secteur privé qui devrait y être davantage associé, de la phase de conception jusqu’aux phases de mise en œuvre, de contrôle et d’évaluation ». Aussi, «les fonds publics devraient soutenir stratégiquement le développement de certains secteurs économiques». D’autre part, «le marché du travail étant une entité horizontale, il n’est pas réaliste de tenter d’obtenir une solide coordination intersectorielle au niveau national. Une telle coordination peut toutefois se développer et exister de manière efficace au niveau local», est-il écrit. La coordination nationale devrait être dirigée par le Premier ministre. La direction de l’Observatoire national de l’emploi devrait dès lors être confiée au Premier ministre. Une direction intersectorielle doit être créée afin de gérer toutes les questions se rapportant au marché du travail. L’emploi ne devrait pas être la responsabilité unique du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale.
C. B.