Ahmed Ouyahia s’est égaré dans sa lutte administrative contre les importations

Ahmed Ouyahia s’est égaré dans sa lutte administrative contre les importations

El Kadi Ihsane, Maghreb Emergent, 09 Janvier 2011

Ahmed Ouyahia a du essuyer ce week-end les premiers morts d’émeutiers sous son « dernier » gouvernement – il y’en a eu à chacun de ses passages aux affaires depuis 1996. Mais qu’est ce qui a pu conduire à une telle impasse une conjoncture économique décrite régulièrement de faste pour les finances publiques ? Le premier ministre a décidé de faire de la réduction des importations la priorité de sa politique économique en 2009 et en 2010. Un acharnement qui, s’ajoutant à la stagnation de l’économie hors budget de l’Etat et à la restriction des libertés, a fini par se payer en vies humaines. Comme c’est l’habitude en Algérie.

Les émeutes de jeunes ne sont pas restées longtemps sans drames humains en Algérie. Les trois premiers morts ont été enregistrés lors des dernières 24 heures et la situation ne montre pas de vrais signes de détente. Les causes de la colère sont bien sur profondes et l’absence d’expressions démocratiques dans le pays leur a donné cette forme radicale de l’émeute de la jeunesse démunie. Mais le gouvernement a pris le parti de proposer ses propres explications à l’embrasement actuel. La plus audacieuse est celle qui évoque la résistance de « certains milieux de spéculateurs et de lobbys d’intérêts » à la reprise en main par l’Etat de son rôle régalien de régulateur dans les opérations commerciales. C’est ce que soutient un représentant du RND, Seddik Chiheb, vice président de l’Assemblée populaire nationale (APN) et proche du premier ministre. La flambée des prix serait donc une manipulation des réseaux commerciaux de l’informel qui souhaitent y rester. Une manipulation en réponse à la tentative de l’Etat d’établir la transparence sur les transactions, en exigeant, registre de commerce, comptes sociaux et à partir du 1er avril prochain, chèque obligatoire pour toute opération supérieure à 500 000 dinars. Si telle était vraiment la principale raison de la poussée des émeutes, en progression constante en Algérie depuis deux ans faut-il le noter, le réseau des spéculateurs nationaux a déjà gagné sa bataille. Le ministre du commerce Mustapha Benbada a ordonné aux fournisseurs de livrer les grossistes sans exiger d’eux les conditions documentaires qu’il a lui-même instauré sous peine de redressement fiscal. La décision du conseil interministériel de samedi de suspendre taxes de douanes, TVA et impôts sur le bénéfice pour les importateurs de la filière sucre et huile, achève de montrer combien le gouvernement était peu certain de la justesse de sa démarche et peu préparée à ses conséquences.

Recul en rase campagne après tant d’avertissements

Réduction des importations, obligation des opérateurs à l’activité formelle : le gouvernement Ahmed Ouyahia opère un repli en rase campagne au bout de trois jours d’émeutes généralisées. Ce ne sont pourtant pas les avertissements qui auront manqué depuis la loi de finance complémentaire de 2009. Le rush vindicatif du premier ministre pour maintenir « par contorsions » le volume des importations de l’Algérie en deçà du pic de 39,6 milliards de dollars de 2008 a été qualifié plus d’une fois d’irréfléchi à la fois par des acteurs de l’économie et par des experts. La suppression du crédit à la consommation a frappé indistinctement importations, productions locales et industrie bancaire. L’instauration du crédit documentaire comme unique moyen de paiement des importations à partir d’août 2009 a désorganisé les circuits d’approvisionnement de l’appareil de production qui dépend, hormis pour les matériaux de construction, des importations d’intrants. Réda Hamiani prévenait déjà dans un entretien à Maghrebemergent.info en mai dernier qu’il était « dans l’obligation de donner de la voix » dès lors que les mesures prises par le gouvernement, « sans concertation », ont une « répercussion directe sur le fonctionnement des entreprises».

Pour le président du forum des chefs d’entreprise (FCE), la « correction » de la politique économique, dans le sens du contrôle des importations, au profit de la production nationale « aurait eu du «sens» si elle avait été accompagnée de mesures en faveur des producteurs. Or, le gouvernement a fait dans le tout venant.

«Les producteurs souffrent de la lourdeur de l’appareil d’approvisionnement. Ils sont désorientés, exaspérés. La confiance est largement effritée. Nous avons des remontées de partout : c’est le ras le bol » avait déjà prévenu Réda Hamiani, avant d’essuyer des représailles du palais du gouvernement. Mohamed Draou, trader, rappelle de son côté : « Ouyahia s’est attaqué à 40% des importations. Les 60% restantes ne pouvaient pas être touchées. Elles sont générées par les programmes d’équipement de l’Etat. Et dans les 40% ciblés, il n’y avait pas que des voitures et des fruits d’hors saisons. Il existait des importations incompressibles comme des anesthésiants chirurgicaux dont la pénurie a restauré les ambiances du temps des vaches maigres ».

Le Credoc seul génère jusqu’à 5% d’inflation importée

Le résultat de la traque administrative contre les importations aura été un premier déclencheur de l’accélération de l’inflation importée durant une année 2009 où la crise mondiale a pourtant provoqué une quasi déflation des prix. « Le Credoc engendre entre 3,5% et 5% de surcoût sur les produits et les matières premières importées. Avec la lettre de crédit il y’a le contrôle de qualité automatique que le fournisseur répercute sur sa facture. Il est de l’ordre de 500 euros par container. A cela il faut ajouter la surcharge administrative créée par la licence statistique délivrée par les wilayas et exigée pour chaque importation. C’est un travail pour lequel j’ai été obligé de recruter une personne » explique un important opérateur dans la filière des intrants chimiques. Tout comme Réda Hamiani et la plupart des chefs d’entreprises, il pointe l’entêtement du gouvernement et de son premier ministre à agir sans concertation. « Depuis deux ans, toutes les mesures sont prises sans parler avec les acteurs du secteur. Elles débouchent invariablement sur des échecs dès leur mise en œuvre ». La toute dernière, celle en rapport avec la commercialisation des produits de base, a même débouché sur des morts. Si l’on veut bien retenir l’explication officielle complaisante que les émeutes n’ont pas de fond politique qui va au-delà du prix du litre d’huile.