Décryptage d’un limogeage

LAKSACI REMERCIÉ

Décryptage d’un limogeage

Le Soir d’Algérie, 2 juin 2016

Pendant ses quinze années passées à la tête de la Banque centrale, Mohamed Laksaci a toujours fonctionné comme un gentil lanceur d’alerte à l’intérieur du système politique. Il maîtrisait parfaitement son sujet malgré sa docilité. Son limogeage prédit d’un recours imminent à la planche à billet. Décryptage…

Lyas Hallas – Alger (Le Soir) – Le limogeage du gouverneur de la Banque d’Algérie a été décidé avant-hier par le Conseil des ministres. Mais la clé de ce changement intervenu au moment où le contexte le justifiait le moins, a été donné d’abord par Amar Saâdani, secrétaire général du parti au pouvoir, le Front de libération nationale (FLN) puis par le Premier ministre Abdelmalek Sellal lui-même.
Le premier a actionné ses députés lors des plénières consacrées à la loi de finances pour 2016 pour présenter la dévaluation du dinar comme «une catastrophe nationale» avant de prendre le relais et l’accuser de «trahison de la confiance du président de la République». Le second a souligné lors de sa toute dernière visite à Tizi-Ouzou que, grâce aux réserves de change, «le pays peut tenir quatre ans».
En clair, le propos de Sellal signifie que l’Etat manque de dinars qui lui sont nécessaires pour les changer en devises. Il regrette ainsi la baisse des recettes budgétaires malgré la disponibilité des devises. Or, les liquidités se trouvent plutôt dans la sphère informelle de l’économie et le gouvernement trouve du mal à les réorienter vers les circuits formels.
Le nouveau modèle économique dont parle Sellal fait ainsi appel à de nouveaux instruments de financement de l’économie. L’emprunt national donne un avant-goût de ce «nouveau modèle» : le maintien des dépenses publiques comme moteur de la croissance ainsi que le niveau de ces dépenses. Et le limogeage de Laksaci qui a fait jusque-là preuve de lucidité, en agissant rationnellement sur la valeur du dinar déterminée par le prix du pétrole et le niveau des dépenses publiques, obéit à la même logique.
Quand bien même Laksaci est une pâle personnalité, consensuelle à souhait, ne pouvant déranger les décideurs, c’est sa maîtrise technique qui n’a pas plaidé en sa faveur. Cela rend difficile l’accès aux devises pour les opérateurs gravitant autour du pouvoir politique.
Le poste de gouverneur exige en effet un minimum de background politique, une maîtrise des ratios macroéconomiques et celle des instruments de contrôle des banques commerciales.
Or, le réflexe défensif de la Banque centrale développé à la suite des scandales financiers impliquant les banques privées au début de la décennie 2000, couplé au retournement du cycle pétrolier, a fini par bloquer la machine économique. Il ne reste presque plus que la planche à billets pour financer l’économie.
Ainsi, le renouvellement du personnel dans cette institution majeure à ce moment précis correspond moins à des aspects techniques qu’à une feuille de route politique exigeant plus de capacités d’adaptation avec les choix des décideurs politiques. Le profil du successeur, à savoir Mohamed Loukal, désormais ancien P-dg de la Banque extérieure d’Algérie, lequel n’est pas moins compétent, préside à ce choix politique. Il aura développé à la tête de la BEA, banque de la Sonatrach et banque par le biais de laquelle se font les paiements des institutions importantes du pays comme l’armée, les capacités d’adaptation nécessaires à sa mission.
L. H.


Samy Oussedik au sujet du limogeage de Laksaci

«Il aura géré la fin de l’autonomie de la Banque d’Algérie et le rôle de paratonnerre»

Le Soir d’Algérie : A quoi obéit le limogeage de Mohamed Laksaci ? Gentil lanceur d’alerte à l’intérieur du système qu’il est, il n’a pas la forte personnalité de ses illustres devanciers Hadj Nacer ou Keramane pour déranger les politiques…

Samy Oussedik : Certes, on peut se poser la question de la personnalité du gouverneur de la Banque d’Algérie et de son éventuelle capacité à «déranger» les politiques mais la vraie question, celle qui est essentielle, réside dans la nature du lien entre pouvoir politique, et plus particulièrement l’exécutif, et la Banque centrale. Pour ma part, je parlerai de la nécessité d’une pleine autonomie, plutôt que d’une totale indépendance.
En quelques mots, coopération en matière de définition des objectifs macro-économiques et autonomie en matière de choix et de mise en place des instruments.
Or, depuis 2003 et la révision de la LMC (loi sur la monnaie et le crédit, ndlr) adoptée en 1990, la Banque d’Algérie a perdu toute autonomie. Ainsi, elle n’a plus pu et ne peut toujours pas «déranger» les politiques en exerçant, entre autres, son rôle de garde-fou face aux dérives budgétaires de l’exécutif.

Puisque Laksaci et son institution ont toujours cautionné les politiques budgétaires du gouvernement, pourquoi on le remplace maintenant ?

Dans une phase où la dégradation des comptes publics va s’accentuer et au moment où une nouvelle stratégie économique est annoncée, l’exécutif procède au premier changement significatif à la tête d’une institution monétaire, financière et économique majeure. Il est à observer que depuis sa nomination en 2001, M. Laksaci aura bien tenu son rôle en gérant, d’une part, avec discrétion et célérité, la fin de l’autonomie de la Banque d’Algérie et le problème Khalifa Bank, et d’autre part, depuis quelques mois, en assurant le rôle de paratonnerre pour le compte de l’exécutif et de sa politique monétaire et financière.
Pour son successeur, la même question se posera, celle de l’autonomie de l’institution qu’il dirigera. La réponse me semble déjà évidente…

Quelle est la logique qui a présidé justement à la nomination de Mohamed Loukal, ancien P-dg de la BEA, pour succéder à Laksaci ?

Toute nouvelle stratégie économique commande un changement dans les hommes amenés à la mettre en œuvre. C’est là une logique compréhensible. En effet, comme je vous l’ai dit, M. Laksaci aura tenu son rôle au regard de sa mission, le temps était venu de lui trouver un successeur.
M. Loukal est un homme qui a un long parcours dans le secteur bancaire public et, de ce fait, est instruit des questions qui ont trait aux banques commerciales. Cependant, le rôle de la Banque d’Algérie ne s’arrête pas, loin s’en faut, à l’encadrement et au contrôle du secteur bancaire. Elle est un instrument majeur de la politique monétaire, économique et financière d’un pays.
Pour ma part, je suis convaincu de deux choses. La première est, et comme j’ai eu déjà à le dire, qu’il faut remettre, à tous les niveaux, de l’intelligence, de l’expertise et de l’expérience dans l’Etat et ses institutions. La Banque d’Algérie ne peut échapper à ce constat.
La seconde est que l’autonomie de la Banque centrale est une nécessité.
A l’image de la séparation des pouvoirs en politique, elle concourt aussi à garder le cap lorsque l’exécutif se laisse aller à des politiques économiques représentant un danger pour les grands équilibres économiques et financiers d’un pays.
Propos recueillis par
L. H.