L’Espagne veut-elle placer ses armes en Algérie ?

LE GENERAL LAMARI A MADRID

L’Espagne veut-elle placer ses armes en Algérie ?

Le Quotidien d’Oran, 21 janvier 2004

En se rendant en Espagne, le chef d’état-major de l’ANP, le général de corps d’armée Mohamed Lamari, veut renforcer la coopération militaire de l’axe Alger-Madrid qui est déjà actif au niveau politique et diplomatique. Même si Rabat apprécie peu que les militaires algériens nouent des liens avec leur premier fournisseur d’armements.

Le général Lamari qui répond à une invitation du ministre espagnol de la Défense, Federico Trillo, et de son homologue espagnol, l’amiral Antonio Moreno Barbera, passera quatre jours en Espagne, qui abrite la principale base de l’OTAN en Méditerranée de l’ouest. Entretiens bilatéraux, séminaire sur les forces armées espagnoles et visites de sites d’armements sont au programme de cette visite du patron de l’armée algérienne qui doit également rencontrer le chef des services de renseignements espagnols afin d’évoquer la lutte antiterroriste. Déjà, hier, le CEM/ANP a rendu visite à l’usine Casa de Séville, selon la presse espagnole, qui est spécialisée dans la fabrication d’armes terrestres et aéronavales et qui représente le fleuron de l’industrie militaire espagnole actuellement en pleine expansion. Ces usines ont la particularité de fournir des chars et des blindés nouvelle génération qui intéressent également l’armée royale marocaine qui a passé commande d’une centaine d’unités récemment afin de renforcer ses lignes offensives en direction de l’Algérie et du Sud. Mais rien n’indique, selon les informations du centre d’études stratégique de Madrid, que les Espagnols accepteront de fournir la fine fleur de leur matériel mécanisé pour alimenter une armée marocaine dont une grande partie de l’état-major espagnol se méfie après la fameuse crise de Perijil. C’est dans ce contexte que le déplacement du général Lamari prend une signification stratégique. Depuis deux années, et l’intensification des relations algéro-espagnoles marquées par la signature d’un pacte d’amitié par le président Bouteflika à Madrid, Alger a prouvé aux Espagnols qu’ils peuvent compter sur un allié stratégique au sud de la Méditerranée autre que le voisin marocain. Rabat n’a eu de cesse d’agiter le foulard rouge pour avertir les Espagnols que «la menace» militaire est davantage algérienne en alimentant certains médias espagnols sur la capacité des missiles algériens de «frapper Madrid» ou sur «l’arsenal nucléaire» algérien comme le rapportèrent El Mundo et El Pais il y a quelques mois. Rabat voulant contrebalancer les craintes que suscitait dorénavant le Maroc au sein de l’establishment militaire espagnol, notamment les services espagnols du CESID, pour continuer à s’alimenter régulièrement en armements espagnols.

Car la crise de Perijil qui avait nécessité l’envoi par Madrid d’une flottille de 5 bâtiments de guerre a invariablement changé la donne militaire dans cette zone du Maghreb. La marine algérienne a été mise à contribution afin d’aider les Espagnols à juguler les dizaines d’embarcations de fortune remplies d’immigrés clandestins marocains qui exploitaient de nouvelles routes maritimes vers les côtes espagnoles. La contribution algérienne a également touché la lutte contre les stupéfiants dont des navires remplis de cannabis pour alimenter la mafia galicienne en résine traitée dans le Rif marocain. L’armée espagnole apprécie également la prise de position algérienne lors de la crise de Perijil et les services secrets espagnols ne tarissent pas d’éloges sur leurs homologues algériens du DRS notamment dans le cadre du démantèlement de cellules du GSPC et d’Al-Qaïda en Espagne.

Tous ces facteurs font que l’armée espagnole est actuellement décidée à fonder un axe militaire avec Alger même si l’ANP ne compte pas Madrid comme un fournisseur traditionnel de ses équipements militaires telles que la Russie, la Chine, l’Afrique du Sud ou la Tchéquie. La panoplie d’armements espagnols est assez diversifiée et pourrait intéresser les militaires algériens qui savent, pertinemment, que les offres espagnoles n’auraient pas été réalisables sans le consentement du Pentagone. En effet, les Américains qui, à défaut de fournir les équipements souhaités par Alger notamment ceux entrant dans la lutte antiterroriste, peuvent encourager les Espagnols à les vendre surtout que Madrid a développé une industrie de pointe dans ce domaine pour lutter contre l’ETA notamment les hélicoptères Tigre Hand qui vont être déployés en Irak.

Ainsi, l’axe Paris-Rabat qui fonctionne à plein régime sur le plan militaire notamment avec la fourniture récente de deux frégates et des batteries de missiles sol-sol pourrait être contrebalancé par un axe militaire Alger-Madrid. Les Espagnols le souhaitent afin de fidéliser un partenaire stratégique qui, à terme, est destiné à intégrer l’OTAN et faire partie du commandement du sud de la Méditerranée basé à Grenade.

Mounir B.