Obscure libération pour des otages au Sahara

Obscure libération pour des otages au Sahara

Dix-sept des trente-deux touristes enlevés ont été récupérés après un assaut de l’armée algérienne.

José Garçon, Libération, 15 mai 2003

Il reste encore 15 touristes (10 Allemands, 4 Suisses et 1 Néerlandais) «aux mains d’un second groupe terroriste», selon le ministre algérien de l’Intérieur, Yazid Zehrouni.

Les pressions discrètes mais insistantes des gouvernements allemand et autrichien auront fini par payer : dix-sept des trente-deux touristes européens disparus dans le Sahara algérien ont recouvré la liberté, hier à l’aube, et étaient attendus, dans la soirée, dans leur pays respectif après un bref passage à l’hôpital militaire, Aïn Nadja d’Alger. Cette première libération survient en effet moins de vingt-quatre heures après que le chef de la diplomatie allemande, Joschka Fischer, s’est rendu à Alger pour tenter de débloquer une affaire très énigmatique au cours de laquelle sept groupes de touristes se sont volatilisés, entre mi-février et mi-mars dans l’immense triangle Ouargla-Djanet-Tamanrasset (Libération des 6 et 12 mai).

«Bref assaut». Les conditions dans lesquelles ont eu lieu ces premières libérations ne sont pas plus claires (lire ci-contre). Officiellement, c’est à la suite d’un assaut de l’armée algérienne que la moitié des disparus – 6 Allemands, 10 Autrichiens et 1 Suédois – ont été libérés à Amguid, à 350 km au nord de Tamanrasset. «Bref assaut», se borne ainsi à dire un communiqué de l’état-major de l’armée algérienne en désignant les ravisseurs : un «groupe terroriste du GSPC», le Groupe salafiste pour la prédication et le combat, dont Alger affirme, depuis le 11 septembre, qu’il est lié à Al-Qaeda. Ce communiqué ne souffle mot des pertes subies par les ravisseurs – «neuf morts au cours de violents accrochages», selon le quotidien El Watan – ni, surtout, du sort des 15 touristes manquants (10 Allemands, 4 Suisses et 1 Néerlandais).

«Ils sont dans les mains d’un second groupe terroriste», a toutefois déclaré, sans plus de détail, le ministre de l’Intérieur, Yazid Zehrouni, tandis qu’El Watan les situait dans «les monts de Tamelrik», à 150 km au nord d’Illizi. Non sans souligner qu’une offensive y serait «beaucoup plus risquée» en raison de l’étendue de la région et de l’existence de nombreuses grottes.

Garantie. Cette perspective est visiblement la hantise de Berlin qui, opposé à «l’emploi de la force», insistait, hier, sur la nécessité de retrouver tous les otages sains et saufs. Nous «partons du principe que tout sera fait pour que leur vie ne soit pas menacée», affirmait un porte-parole du gouvernement allemand, réitérant ainsi la demande pressante déjà adressée par Joschka Fischer au président Bouteflika «de tout faire pour garantir (leur) intégrité physique».

Cette inquiétude est largement partagée par Berne. Alors que quatre de ses ressortissants sont toujours détenus, le gouvernement suisse ne cache pas qu’il aurait préféré que les premières libérations ne soient pas rendues publiques afin de ne pas mettre en danger la vie des otages restants. «Nous avions convenu de ne rien divulguer», regrettait, hier, un porte-parole suisse.

Pour le reste, Berlin, Vienne, Berne et La Haye s’en tiennent à la plus grande discrétion. Notamment sur l’identité des ravisseurs. Alger a, certes, tout intérêt à désigner le GSPC, qui demeure le groupe armé le plus organisé, à le criminaliser et à l’assimiler à Al-Qaeda. On comprend cependant mal comment ce groupe qui, aux dires mêmes des autorités algériennes, agit «principalement en Kabylie et à l’est du pays», se retrouve soudain assez implanté et organisé à l’extrême sud du territoire pour pouvoir assumer, trois mois durant, une prise d’otages d’une telle envergure. Si la plupart des groupes armés sont aujourd’hui beaucoup plus proches de bandits et de racketteurs que de prosélytes religieux, il reste aussi à expliquer un fait éminemment nouveau : l’enlèvement, avec demande de rançon, d’étrangers par le groupe islamiste le plus structuré du pays, connu jusqu’ici pour s’attaquer aux cibles militaires et aux forces de l’ordre algériennes et pas à la population.

Visite d’Etat. Comment comprendre en outre les versions contradictoires distillées par Alger au cours des dernières semaines, notamment sur l’origine des disparitions ? «La seule chose qui semble acquise, c’est que la gestion de cette affaire est devenue un conflit algéro-algérien que les grandes manoeuvres en vue de l’élection présidentielle de 2004 n’ont fait qu’envenimer», estimaient des sources diplomatiques européennes. Une donnée que Berlin et Vienne ont largement pris en compte. Dès hier, le président autrichien renouvelait ainsi son invitation à son homologue algérien Abdelaziz Bouteflika pour une visite d’Etat en Autriche, qui pourrait avoir lieu les 17 et 18 juin.