Affaire des touristes enlevés: Echec à la reine!

Affaire des touristes enlevés: Echec à la reine!

www.lesdebats.com, 27 August 2003

L’affaire se sera donc terminée comme elle a commencé, dans l’opacité la plus totale. Les quatorze touristes survivants de l’infernale odyssée qui aura duré plus de six mois entiers ont été rendus à la liberté dans des conditions qui laissent songeur le plus avisé des observateurs.

Tous les Etats concernés par cette affaire affirment ne pas avoir payé de rançon, les ravisseurs n’ont fait état d’aucune revendication d’aucune sorte et le communiqué de Abderrazak El Para qui fait le bilan de l’opération donne tout l’air d’être un véritable mode d’emploi destiné à cerner l’affaire dans des limites bien précises. En y regardant de plus près, nous serions même tentés d’y voir un rapport quasi militaire d’une opération qui en possède toutes les caractéristiques. Il est vrai que le chef du commando des preneurs d’otages est un ancien membre des forces spéciales de l’ANP, mais quel besoin avait-il de noter le lieu et la date du début de l’opération ainsi que le lieu et la date de son achèvement avec au passage la date exacte de la première libération du premier groupe d’otages. Autant de précisions d’ordre géographique et chronologique qui ne sont guère dans les habitudes de groupes terroristes dont la seule préoccupation n’est en principe que celle de l’impact et de la rentabilité politiques des actions accomplies.

Ni revendication ni rançon

Dans nos précédentes éditions, nous avions largement relevé que cet enlèvement était ce qu’il est possible de qualifier d’opération terroriste hors normes. Car s’il est tout à fait compréhensible que lesdits terroristes ne fassent pas de communiqué à l’issue d’un carnage ou d’un massacre, il en va tout autrement pour une prise d’otages dont le seul objectif n’est en principe que d’obtenir quelque chose en échange de la libération de leurs otages. En principe, un acquis d’ordre politique ou alors une rançon. Or, nous nous trouvons depuis ce 18 août 2003 devant une véritable première en matière d’enlèvement, la prise d’otages pour rien. Certes, cela aura fait parler du GSPC et de l’organisation d’Al Qaïda pendant six mois, mais sans aucun bénéfice tangible pour ces deux organisations, d’autant plus qu’à l’arrivée ce n’est même pas Hassan Hattab qui a signé le communiqué annonçant la fin de la prise d’otages, mais le chef de la 5e région du GSPC, un obscur ancien soldat radié des rangs de l’ANP pour raisons disciplinaires et qui peut disparaître de la circulation à tout moment, comme ont disparu avant lui des dizaines d’anciens lieutenants de Hassan Hattab.

Cela dit, l’opinion publique aura eu connaissance, par le biais de la presse allemande, d’une demande de rançon de 4,6 millions d’euros par otage, soit l’équivalent d’à-peu-près 35 millions de francs, ce qui paraît tout de même énorme lorsqu’on sait que le coût final pour l’Etat qui aurait payé se serait élevé à plus de 500 millions de francs français. La somme à elle seule rend l’estimation grotesque et il ne fait aucun doute que bien peu d’Etats prendraient alors la lourde responsabilité de mettre entre les mains d’un démembrement d’Al Qaïda une telle manne financière synonyme de grandes possibilités d’acquisition de moyens de destruction.

La riposte de Bouteflika

En vérité tout porte à croire que cette libération aussi subite qu’incompréhensible ne peut être qu’une réaction défensive faite dans la plus grande précipitation après que les commanditaires de l’opération eurent été pris de court face au niveau et à la nature de la riposte imaginée par le président de la République pour faire échec à la tentative de déstabilisation qui le visait par le biais de cette prise d’otages.

En mettant sur pied un comité ad hoc chargé de gérer opérationnellement la question des disparus et en faisant un pas décisif dans la reconnaissance de cette tragédie permanente par le souhait officiellement exprimé de demander pardon à leurs familles, le président Bouteflika a effectivement porté le feu aux portes de cercles qui étaient jusque-là convaincus d’une totale impunité dans le dossier. Il faut à ce propos se demander pourquoi le président a d’ailleurs mis autant de temps à s’impliquer d’une façon aussi effective dans un dossier où d’innombrables témoignages, tous concordants, indiquent de la plus évidente des façons qu’un grand nombre de disparitions ont commencé avec l’intervention d’agents ou d’éléments des différents corps de sécurité au vu et au su de la population. Aucun observateur sérieux n’écarte à cet égard l’implication de certains démembrements ou de certains éléments desdits services de sécurité. La seule question qui se pose est de savoir jusqu’à quel niveau de responsabilité remontent ces enlèvements et de savoir également s’ils ont été ordonnés ou couverts par les hiérarchies officielles.

Après quatre années de présidence, il est à peu près certain que Abdelaziz Bouteflika a fini par se faire une idée assez précise sur la question grâce la collaboration active bien que discrète des chefs des trois grands corps de sécurité. Il sait ainsi à présent avec une grande précision quels hauts responsables civils et militaires, quels milieux d’affaires, quelles officines étrangères ont trempé dans l’encouragement, l’organisation et la couverture d’une partie du terrorisme qui a frappé et qui continue par intermittence à frapper la société algérienne, notamment ses couches les plus vulnérables. Il sait aussi que le problème des disparus est le fait d’éléments fascisants qui, de l’intérieur même du régime, tentent d’instiller au sein de la population une terreur diffuse tendant à inhiber ses éléments les plus contestataires et à neutraliser par la peur toutes les volontés de changement et de progrès. Le message ainsi propagé consiste à dire que si le multipartisme est instauré et la démocratie proclamée, il reste des limites à ne pas franchir et des forces à ne pas défier. En d’autres termes, nul n’est à l’abri de la violence occulte qui peut revêtir toutes les formes y compris celle de la disparition pure et simple.

Ce qui rend malheureusement le message encore plus explicite c’est que ces enlèvements sont effectués dans des conditions telles qu’elles ne laissent aucun doute sur l’implication d’éléments ou de structures bien précises de l’Etat dans ces crimes. Là encore, l’explication est d’une effarante simplicité, il consiste à signifier aux dirigeants légalistes de l’Etat qu’en cas de conflit au sein du pouvoir le problème ainsi créé peut se révéler une arme redoutable aux mains de la caste des sanguinaires de ce même pouvoir qui menacent ainsi, ni plus ni moins, que de détruire l’Etat tout entier au cas où leurs intérêts se trouveraient menacés. Disons le tout de suite, cette démarche n’est pas nouvelle, puisqu’elle a été empruntée avec un certain succès par certains généraux des armées d’Amérique latine et de ceux de beaucoup de pays africains et arabes qui en créant le problème des disparus ont réussi à tenir en respect aussi bien les sociétés ainsi terrorisées que les autres dignitaires du régime qui ne sont pas prêts à user de violence extrême pour se maintenir au pouvoir.

Toujours est-il que ce dossier est de nature à mettre dans l’embarras tout président légalement élu qui se retrouve alors avec une épine profondément plantée dans la carotide de l’Etat. Toute tentative de l’enlever pouvant se solder par une hémorragie qui peut anéantir l’Etat tout entier. Seuls des dossiers solidement ficelés et des balises politiques placées aux endroits névralgiques du bon fonctionnement des rouages les plus sensibles de l’Etat pouvaient aider à désamorcer la bombe des disparus sans que tout ne saute.

Ce travail titanesque semble aujourd’hui avoir été réalisé par les chefs des trois corps de sécurité et le président donne tout l’air de disposer alors d’une vue très précise de la situation, suffisante en tout cas pour démanteler le réseau fasciste qui a réussi à se lover dans les appareils les plus sensibles de l’Etat et que le président Liamine Zeroual qualifia en son temps de “criminels, traîtres et mercenaires, situés dans les centres les plus névralgiques de la décision politique”.

En mettant en place le fameux comité ad hoc, il est clair que Abdelaziz Bouteflika a trouvé le moyen idoine de neutraliser ceux de ses opposants au sein du pouvoir qui depuis plus d’une année maintenant le tiennent comme ils tiennent le reste de la population d’ailleurs pour une quantité tout à fait négligeable et qui sont même allés jusqu’à lui monter, grâce à l’aide très intéressée d’une officine bien connue, une sordide affaire d’enlèvement de touristes destinée à le dépouiller de son atout politique le plus essentiel, son indéniable réussite au plan international.

Un accord tacite ?

Il aura ainsi suffi que Abdelaziz Bouteflika abatte la carte du dossier des disparus, pour que moins de cinq jours plus tard l’affaire trouve miraculeusement son dénouement à travers la libération sans condition de l’ensemble des touristes enlevés depuis six mois. Abderrazak El Para aura beau raconter ce qu’il veut, il ne convaincra personne que lui et son groupe aient pris autant de risques et enduré autant de souffrances pour le seul plaisir de mettre en difficulté l’armée algérienne qui lui a d’ailleurs généreusement ouvert le passage jusqu’au Mali à travers 1200 kilomètres parmi les plus terribles de la planète.

Pour autant, si le problème des otages est définitivement réglé, celui des disparus est malheureusement loin de l’être et il serait étonnant que le président de la République se comporte comme Abderrazak El Para et qu’il lâche le dossier comme ce dernier a relâché les otages. Sachant, d’une part, que jamais ses ennemis politiques au sein du pouvoir ne cesseront de chercher à lui nuire par tous les moyens imaginables et que, d’autre part, il a suscité auprès de la communauté des familles de disparus un espoir aussi fou que réel de trouver enfin la paix de l’âme en étant fixées sur le sort des leurs.

Le fait que les otages aient été relâchés au Mali et non pas en territoire algérien indique en tout cas une nette volonté de ne permettre au président Abdelaziz Bouteflika de ne tirer aucun dividende politique de cette libération, même si les principales capitales occidentales concernées ont tenu à marquer leur reconnaissance à l’action positive du président algérien dans ce dossier.

Libérés le jour où six titres de la presse privée sont suspendus

Il est par contre un élément qui tend à introduire un certain malaise dans la compréhension de cette douloureuse autant qu’intrigante affaire, c’est le fait que la libération des otages a correspondu exactement au jour où les six titres dominants de la presse algérienne ont été interdits de parution pour la raison officiellement avancée de non-paiement de créances aux imprimeries.

Il se trouve à cet effet que Ahmed Ouyahia qui est suspecté d’être derrière la mesure de suspension a été ambassadeur au Mali et est resté très branché sur toutes les questions qui touchent à ce pays. Son intervention de quelque nature que ce soit dans les contacts avec les autorités maliennes à propos des otages occidentaux est pratiquement certaine.

Le fait est que la libération des otages est passée pratiquement inaperçue auprès d’une opinion nationale tenue en haleine par la disparition des principaux journaux du pays des étals des buralistes et que ce n’est que le samedi 23 août que le communiqué signé le 19 août par Abderrazak El Para est transmis formellement aux différents organes d’information du pays. Formellement parce qu’en réalité le chef de la 5e région du GSPC ne l’a transmis qu’à un seul quotidien, El Khabar. A croire que ce chef terroriste supposé en fuite aux fins fonds du désert malien est en parfaite symbiose avec la situation médiatico-politique dans le nord de l’Algérie au point de savoir exactement à qui faxer son message et à quel moment.

Tout cela pour dire que les coïncidences les plus bizarres ne manquent pas dans une affaire qui s’est jouée à cheval sur deux pays, au milieu du plus grand désert du monde, impliquant au moins trente cinq terroristes et trente deux touristes issus de quatre grands pays européens. Le tout sur fond de guerre ouverte entre les deux ailes opposées d’un seul et même pouvoir. Mais, c’est peut-être là que réside le fond du problème.

Abderrahmane Mahmoudi