Informations contradictoires sur le Abderezak el-Para selon la presse algérienne

PORTRAIT DU RAVISSEUR DES OTAGES EUROPEENS

Le dernier acte de Abderezak el-Para

Le Quotidien d’Oran, 9 août 2003

Propulsé au devant de la scène, l’émir du GSPC, Ammari Saifi alias Abderezak el-Para, le cerveau de l’enlèvement des touristes européens dans le sud algérien joue avec les nerfs des médiateurs et des diplomates allemands.

Depuis sa première embuscade dans les monts de Zbarbar en 1992, Abderezak el-Para rêvait d’une situation qui le placerait au centre des événements. Le médiateur Targui Ayad Ad Agaly qui l’a rencontré quatre fois a laissé entendre qu’il : « demande trop, menace, devient nerveux avant de redevenir coopérant ». Les Allemands seraient prêts à lui verser les 70 millions de dollars pour libérer les 14 otages toujours disséminés en petits groupes dans le désert de Kidal. La presse allemande le décrit comme un « militaire redoutable » qui ne fait aucune concession.

Pourtant une question lancinante n’a pas été posée : Abderezak el-Para peut-il tuer les otages ? Le ministre allemand des Affaires étrangères Joshcka Fisher fait des cauchemars à cette idée et joue son avenir politique autant que Gerard Shrodeor qui s’informe, quotidiennement, du sort des otages. La mort par insolation de Mme Spitzer a remis le dossier des otages du Sahara au devant de la scène et les diplomates allemands craignent un scénario similaire à celui des 7 moines de Tibherine.

Mais Abderezak el-Para n’est pas Djamel Zitouni. La légende veut qu’il ait déserté de l’école des forces aéroportées d’élite de Biskra en compagnie de 4 autres élèves parachutistes et de son ami Okacha, pour rejoindre les maquis de Lakhdaria. Ils auraient emportés des Kalachnikov, des RPG7 et du matériel de transmission. Mais son dossier militaire évoque une radiation dès 1998. Son commandant suspectant cet aspirant de 22 ans d’être un élément instable et « trop porté sur la prière ». Son comportement intriguait sa hiérarchie au point qu’il faisait peur à ses camarades lors des exercices de sauts en parachutes dans la région d’El Oued. C’est dans cette ville, infestée à l’époque par des salafistes ayant fait les camps d’Afghanistan, qu’il a eu ses premiers flirts avec l’islamisme. Les récits des anciens Afghans ayant fait le coup de feu avec le commandant Massoud ou Hekmetyar le fascinent. Ses rapports avec son commandant se détériorant, il a fini par frapper un de ses supérieurs avant de se faire radier.

Mais Abderezak el-Para aura déjà acquis une solide formation de commando d’élite que les années de maquis vont davantage aguerrir. Dès 1991, il est dans le noyau du GIA de la zone-est et côtoie Chebouti, émir du MEI. Alors que des anciens du FIS de Bouira soupçonnent une infiltration de la part de ces anciens militaires rugueux, tacites et professionnels, Abderezak el-Para enseigne aux membres du GIA toutes les techniques militaires. Embuscades, techniques de close combat et confection de bombes artisanales. Durant des années il sera l’ombre de Hassan Hattab alias Abou Hamza. Dans un premier temps, Abderezak el-Para le sert loyalement avant de prendre ses distances. Il fera partie du noyau dur des dissidents du GIA de la zone II (Kabylie) qui, en 1996, rompent les amarres avec Djamel Zitouni et constituent le groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC).

Descentes dans les villages, prêches improvisés dans les douars, massacres, embuscades contre les militaires et surtout racket. Le GSPC amasse une fortune et s’enrichit. Hattab investit cet argent dans des bus, des locaux commerciaux, des appartements, une bijouterie et une station-service. Abderezak el-Para veut sa part qu’il estime à 3 milliards de centimes sur le trésor salafiste. Premier accroc entre les deux hommes. Blessé à un oeil en 1999, Hattab s’affaiblit face à la montée en puissance de son lieutenant froid et calculateur. Abou Hamza se méfie encore de Abderezak lorsque des contacts avec l’ancien imam de Lakhdaria aboutissent à la reddition de 96 éléments salafistes dans le cadre de la concorde civile. Hattab est tenté par cette offre, Abderezak sait qu’il devra assumer des charges considérables an tant qu’ancien militaire ayant trahi le sermon de l’armée. C’est le deuxième accroc. Les proches d’Abou Hamza lui conseillent de l’affecter ailleurs, loin des maquis de Sid Ali Bounab où Hattab a sa base. Hattab hésite mais finit par se séparer de ce concurrent dangereux qui pouvait le tuer et prendre le leadership à tout moment.

Abderezak atterrit à Tébessa. Se sentant investi d’une mission spéciale il commence un « nettoyage » dans les rangs des seriat salafistes de l’est. Les émirs de Tébessa, Souk-Ahras, Khenchla, Annaba et Batna sont exécutés après des procès sommaires dans les maquis de Chréa. Ils ne voulaient pas reverser le 1/5 de l’argent du racket. Abderezak el-Para veut également démontrer qu’il existe en dehors de l’aura de Hattab que la presse occidentale présente comme « l’homme fort » des mouvements terroristes en Algérie. Sans avertir son émir national, il passe à l’action, avec 25 éléments, contre un poste frontière tunisien et provoque une première. L’enlèvement du député de Tébessa le place au coeur de l’actualité. L’embuscade de Teniet el-Abed, à Batna, contre un détachement d’appelés de l’ANP qui a fait 47 morts dont deux officiers et deux blessés, début 2003, prouve que Abderezak el-Para est passé à une autre dimension dans la terreur. La raison ? ses contacts avec Al-Qaida, motif de sa brouille définitive avec Hattab. L’ex-parachutiste reçoit le yéménite Emad Abdelwahid Ahmed Alwan, un émissaire d’Oussama ben Laden dans la région du Sahel dans les maquis de Batna. Rien n’a filtré sur les recommandations de ce membre d’Al-Qaida aux salafistes algériens mais l’intégration du GSPC dans le nébuleuse Ben Laden se confirme. Avant d’être abattu, le Yéménite présente un contact soudanais à Abderezak qui le suivra partout.

C’est à cette époque que l’idée de l’enlèvement d’otages européens au Sud a germé. Alors que la Tunisie a eu Djerba, le Maroc, Casablanca, l’Algérie n’a pas encore intégré les plans du stratège égyptien Ayman Al Zawahiry. « L’idée a été mûrie depuis une année » assurent les experts. Le communiqué du GSPC du 15 septembre 2001, quatre jours après les attentats du 11/09, menace les intérêts américains notamment dans… le grand Sud où s’est redéployé el-Para avec la complicité de Mokhtar Belmokhtar. Hattab dément avoir menacé les Américains. Le communiqué a été préparé par el-Para qui veut réellement s’imposer comme le chef incontesté du GSPC. On raconte que c’est Amrane Helouane, frère de l’ancien émir GIA, Nouredine, qui « légifère » en matière de fatwas. Mais le kidnapping des 32 touristes européens a du avoir l’aval d’Al-Qaida.

Les médiations difficiles avec Abderezak el-Para prouvent, malgré des analyses irréalistes, qu’un assaut contre les ravisseurs serait suicidaire. Mortel pour les touristes otages. L’armée algérienne l’a exclu tant la topographie est contraignante et les risques élevés. El-Para n’étant pas un amateur, il a scindé les 14 otages en petits groupes et aurait piégé les alentours de sa zone de repli à Tessalit. Sa technique est invariable. Les bombes artisanales à l’acétylène sont sa spécialité et portent la signature des camps d’entraînement d’Al-Qaida en Afghanistan. Les spécialistes évoquent la présence de deux anciens des phalanges d’Oussama ben Laden, ayant obtenu leurs « brevets » dans la confection des bombes sales à Kandahar. On cite Abou Abdellah, l’artificier et El Habib, de son vrai nom, Saouli Mohamed, le bras de droit d’el-Para qui aurait péri dans l’assaut d’Amguid.

En tout état de cause, le médiateur, fortement appuyé par Bamako et Berlin, a fort à faire avec un homme calculateur et déterminé. Mais la gestion de l’enlèvement, qui a fini dans le cul-de-sac malien, renseigne sur une volonté des salafistes de ne plus retourner en Algérie. Abderezak el-Para a-t-il fait ce coup d’éclat pour ramasser des millions d’euro et prendre sa retraite (Okacha, son « frère d’armes » qui a eu la jambe amputée chercherait à négocier une reddition avec l’armée) ? Une thèse qui épargnerait, en tout cas, la vie des otages.

Mounir B.

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TOURISTES OTAGES
L’intervention militaire n’est pas exclue

El Watan, 9 août 2003

La situation des touristes otages d’un groupe de terroristes algériens au nord du Mali n’a pas évolué. Les quatre négociateurs, des notables de Tombouctou, Gao, Bamako et Kidal, n’arrivent toujours pas à convaincre Abderrazak El Para, cet ancien déserteur de l’armée algérienne, un des chefs du GSPC, de libérer les six otages malades et les personnes âgées.

Cette condition a été imposée par les autorités allemandes dans le but de s’assurer de la volonté des ravisseurs à mettre un terme à cette crise. Les quatre négociateurs sont repartis mardi soir à Taoudeni, une ancienne mine de sel où les terroristes se sont réfugiés. Selon le négociateur en chef, cette étape sera cruciale et devra déterminer l’issue de cette prise d’otages. Pour le négociateur en chef, Abderrazak El Para, «est resté tout au long des nombreux contacts, ayant eu lieu en dehors du lieu du rapt, intransigeant sur le paiement des 5 millions d’euros pour chacun des otages, mais également sur certaines conditions irréalisables». L’intervention militaire n’est pas exclueSuite de la page 1Nous voulons le convaincre d’abord à libérer les six otages gravement malades et les personnes âgées, avant toute négociation sur la concrétisation des autres revendications». Pourtant, du côté des autorités et des services de sécurité maliens, la stratégie du négociateur en chef, Aya Ag Ghali, est mal perçue. «Il semble que le négociateur de Kidal a eu un penchant pour les terroristes. Il pourrait même être derrière l’idée de scinder les otages en plusieurs groupes, et celle d’exiger la présence d’un seul négociateur» a révélé le commissaire de Kidal. Ces soupçons ont poussé les autorités maliennes et allemandes à se préparer à une éventuelle solution militaire de cette crise. «Si les derniers rounds des négociations n’apportent aucun résultat, l’option d’une libération par la force sera prise et tout le monde est d’accord pour en finir avec cette affaire le plus rapidement possible afin d’éviter d’autres victimes à cause des mauvaises conditions de détention et surtout de la chaleur…», a affirmé le commissaire de Kidal. De son côté, le négociateur en chef a reconnu la difficulté des tractations, notamment avec Abderrazak El Para, qu’il a qualifié de «redoutable, nerveux, intransigeant et imprévisible». Il a indiqué que personne n’a pu accéder à l’endroit où sont détenus les 14 otages, et encore moins à connaître le nombre des terroristes. «Les négociations se sont déroulées dans un endroit en dehors du lieu du rapt, et souvent le chef vient seul ou avec deux de ses éléments seulement. Il nous a déclaré qu’il appartenait au groupe salafiste de prédilection et du djihad (GSPC) et que son chef est Hassan Hattab sans plus de détails». Pour sa part, le commandant de la brigade de la gendarmerie de Kidal a indiqué que les services de sécurité maliens ont mis près d’une semaine pour localiser le groupe de ravisseurs. «Ces derniers ont d’abord pris refuge à Tessalite, avant de remonter vers le nord en direction de Taoudeni, à plus de 400 km, une sorte de no man’s land, fréquentée par des contrebandiers. Le choix de cette région, des anciennes mines de sel, est intelligent. Une planque idéale pour toute organisation mafieuse. Ont-ils été conseillés et par qui ? Pour l’instant nous n’en savons rien», a déclaré l’officier de la gendarmerie. Ce dernier a estimé que les négociations avec les ravisseurs n’ont pas beaucoup de chance d’aboutir et qu’il est probable que les autorités optent pour la solution armée. «Il est vrai que le Mali n’a pas les moyens d’engager une telle action, mais avec l’aide des pays concernés par cette affaire, notamment l’Allemagne et l’Algérie, il est certain que les résultats seront positifs», a t-il précisé. A Kidal, cette histoire de prise d’otages est au centre de toutes les discussions, sans pour autant qu’elle fasse l’objet d’inquiétude. «Nous n’avons pas de problème avec les Algériens. Ils vivent ici depuis longtemps et nous nous entendons très bien avec eux. C’est grâce à eux que la ville fait face à la famine et à la misère. Tous ces produits qui sont dans les commerces viennent de l’Algérie grâce aux Algériens. Lorsque des terroristes comme Belmokhtar, ou celui qui tient en otage les touristes passent, il suffit qu’ils donnent de l’argent ou de la nourriture aux nomades qu’ils rencontrent pour que ces derniers les vénèrent et les protègent même…;», a déclaré un notable targui de Kidal, très au fait de la situation au nord du Mali.

Par Salima Tlemçani
Kidal (Mali) : De notre envoyée spéciale

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LES PRENEURS D’OTAGES COINCES DANS LE DESERT DU MALI

Le pari perdu de Abderazak El Para

L’Expression, 9 août 2003

Ses velléités d’hégémonie et sa scission supposée d’avec Hattab semblent l’avoir irrémédiablement perdu.

Amari Saïfi, «Abderazak El Para» pour ceux qui prisent les noms de guerre des chefs de groupes armés, semble sur le point de perdre «sa» guerre, au moment même où il a réussi le coup médiatico-terroriste le plus spectaculaire de l’année. Son groupe a réussi à négocier sa fuite vers le Mali en emmenant avec lui, les otages européens, en leur possession depuis plus de cinq mois, mais il semble aujourd’hui, irrémédiablement perdu dans le désert du nord-est du Mali, entre les services spéciaux, des aventuriers alléchés par «la prime de capture» et des populations de plus en plus hostiles. Toutes les hypothèses envisageables ne permettent pas d’espérer une autre issue que celle de la mort ou fr la capture. Avec 60 millions d’euros en poche, rançon demandée pour libérer les 14 otages, dont 4 sont très très malades, Abderazak El Para ne peut échapper de nouveau au maillage qui s’est refermé sur lui, dans une terre hostile, qu’il connaît très peu, coupé de ses relais et appuis en Algérie. Même son plus fidèle allié, Mokhtar Belmokhtar, ne peut plus lui être de quelque secours. Son ambition démesurée, sa lutte de leadership avec Hacène Hattab et son tempérament de battant et de commando rompu à la guérilla, l’ont emmené à tenter de perpétrer une action spectaculaire qui lui permettrait d’asseoir son propre pouvoir tout en discréditant son chef et émir national de Gspc, Hacène Hattab. Le rapt des 32 touristes européens dans le Sahara algérien a provoqué un tel bruit dans les médias internationaux qu’il était devenu possible pour Abderazak El Para de voler la vedette à Hattab. La déconfiture d’Amgrid, où 17 touristes avaient été délivrés par les troupes spéciales de l’armée, a déjà donné un avant-goût sur l’avenir du n°2 de la hiérarchie militaro-terroriste du Gspc. La fuite spectaculaire vers le Mali a été ressentie comme une victoire par le groupe qui détenait encore les 15 touristes restants. 10 Allemands dont une femme décèdera, 4 Suisses et 1 Néerlandais. Mais le repli malien n’a pas été aussi prometteur que les ravisseurs le pensaient : ni le soutien logistique, ni l’appui des Touareg rebelles, ni encore moins les caches sûres n’étaient au rendez-vous. Aujourd’hui, c’est pratiquement un chef fini, et on ne peut que suivre le dénouement de l’affaire des otages pour connaître le sort qui lui sera réservé. Est-il effectivement parmi les preneurs d’otages? Beaucoup pensent que oui, et il n’est pas exclu que Hattab prie pour que son plus dangereux rival soit tué ou capturé en terre malienne.
Abderazak El Para, ex-membre des troupes spéciales de l’armée, est un homme imposant par sa carrure et son esprit de guerrier. Né un 1er janvier 1968 à Guelma, selon les avis de recherche lancés contre lui par le commandement de la Gendarmerie nationale, un 23 avril 1966 à Guelma, pour les services de renseignements de l’armée. Il a habité la commune de Bouhachana, daïra de Boucheghouf, dans la wilaya de Guelma. Dès 1988, il adhère à l’islamisme et l’année d’après, il commence à montrer ses dispositions pour l’instauration d’un Etat islamique en Algérie. Djoundi contractuel – et non officier déserteur de l’armée comme le suggèrent les médias occidentaux – des troupes spéciales, il est condamné par la juridiction militaire de Constantine à trois mois de prison ferme pour le chef d’inculpation : infraction aux consignes générales de l’armée. Des sources au sein de l’armée affirment qu’il a déserté en 1991. C’est-à-dire en plein délire de l’ex-FIS face à un pouvoir «en fin de règne», avec le grade de sergent de l’active dans un corps de commandos stationné à Biskra. D’autres sources soutiennent qu’il a été radié des rangs de l’armée à partir du 30 avril 1991 pour fin de contrat. Islamiste convaincu et haineux envers les autorités, il rejoint naturellement la guérilla menée, alors, par le GIA. Très rapidement, il est promu au rang de chef, et, à l’époque de Zitouni, il est membre de la direction du GIA. Fin 1996, le plébiscite contesté de Antar Zouabri l’éloigne du GIA. Avec Hattab, Saâdaoui et les autres membres séparatistes, il crée le Gspc, né officiellement en septembre 1998 dans la région kabyle. Abderazak El Para, chef parmi les chefs, et promu n°2 de la hiérarchie militaire de l’organisation armée prend le commandement de la 5e zone, qui comprend les régions de Batna, Tébessa, Oum El-Bouaghi et Sétif, villes et maquis qu’il connaît bien. Spécialisé dans les attaques surprises contre les contingents de militaires et les rondes de police dans l’Est du pays, il était devenu au fil des jours la hantise des services de sécurité. A partir de 2002, il commence à prendre ses distances avec son chef et n°1 du Gspc, Hattab Hacène. Son penchant pour les «coups médiatiques» l’ont poussé à s’attaquer aux touristes européens enlevés à la fin du mois de février 2003 dans le «triangle de feu» Tam – Illizi – Ouargla.

Fayçal OUKACI